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08/09/2016
Jacques Donguy : La Monte Young. Inside of Sounds
Editions Aedam Musicae – 245 pages – 24 euros





Que sait-on de La Monte Young (né en 1935)? A moins d’être un universitaire spécialisé (pléonasme) ou d’avoir assisté aux «concerts-happenings» du compositeur, pas grand-chose: une discographie peu accessible jointe à l’absence – à tout le moins sur notre sol – de ses œuvres aux programmes des concerts dits de «musique contemporaine» ne rend pas la tâche aisée. A cela s’ajoute très peu de partitions imprimées consultables. Les mélomanes parmi les plus avertis ne croisent son nom (certes inoubliable) que par surcroît: coincé entre deux virgules en tant que précurseur du mouvement minimaliste, ou placé sur orbite autour des astres John Cage ou Fluxus.


Le grand mérite du livre de Jacques Donguy, enseignant à l’Université Paris 1 Saint-Charles et proche de La Monte Young, est de lever enfin (en français) le voile sur une vie et une œuvre: enfance à Bern dans le fief des Mormons; premières expériences musicales: bruit du vent dans la cabane, grouillement des insectes, avant la découverte du jazz à Los Angeles – il joue alors du saxophone. La Monte Young s’inscrit à la John Marshall High School, au Los Angeles City College – où il suit les cours de Leonard Stein, disciple de Schoenberg – puis à l’University of California, tout en travaillant à l’usine. Sa nature hospitalière fait que son parcours esthétique pourrait se résumer à ses rencontres, avec les êtres, les instruments, les musiques: «le raga, le blues, la musique japonaise gagaku qui a des sons soutenus avec un instrument comme le Sho, et Anton Webern à travers le mouvement lent de la Symphonie Opus 21, se sont mélangés comme sources d’inspiration pour devenir ce qui sera sa musique». Son Trio à cordes (1958) lui vaut le surnom de «père du minimalisme». Autres rencontres déterminantes: celles des compositeurs Karlheinz Stockhausen et John Cage, ainsi que du pianiste David Tudor, à la faveur du festival de Darmstadt.


Le début des années 1960 voit la naissance du groupe Fluxus et de l’art conceptuel. La Monte Young y fait figure de pionnier. Pour Jacques Donguy, «Well-Tunes Piano est l’œuvre la plus importante pour piano de la musique américaine depuis la Concord Sonata de Charles Ives, par sa dimension et par ses innovations». Il se passionne par la suite pour le concept d’Intonation juste, qui propose une autre échelle que celle en usage dans la gamme occidentale, et met au point la Dream House: celle de Paris, en 1990, «crée un environnement sonore dans lequel la position de l’auditeur dans l’espace affecte son expérience de l’œuvre».


«Seules m’intéressent des œuvres qui élargissent l’horizon de l’art», dit La Monte Young: à en croire l’inventaire précis établi par Jacques Donguy, son propre catalogue (certes inachevé), de minimalisme à l’Intonation juste en passant par le synthétiseur, semble répondre à cette injonction. Peut-être pourrait-on reprocher à l’auteur de ne pas suffisamment discuter l’héritage de La Monte Young: car si elle n’omet aucune rencontre déterminante et aucune œuvre marquante, la biographie de Jacques Donguy, percluse dans un déroulement chronologique très linéaire, pèche par son manque de mise en perspective, son ton hagiographique, son aspect trop énumératif, limitant les enjeux véritables de l’art de la composition à une liste d’opus. Une tâche à laquelle s’emploie dans ses remarquables essais (édités chez Minerve) le compositeur et musicologue spécialiste de la musique américaine de cette période Jean-Yves Bosseur. On passera sur quelques approximations (du type «... le Concerto pour piano de Bartók», comme s’il n’en avait composé qu’un) et un style bien relâché qui donne souvent l’impression de lire une traduction de l’anglais faite à la diable.


Après avoir refermé ce livre, le reste du chemin reste à parcourir, c’est-à-dire l’écoute de la musique: à l’issue de cette confrontation, l’on pourra prendre la mesure de la place de La Monte Young: Est-elle essentielle ou secondaire? N’est-il qu’un (génial) pionnier, valant moins pour sa production que pour sa descendance? Un intuitif sans véritable métier? Un inventeur faisant feu de tout bois? Ou bien, pour reprendre le jugement sévère de Boulez à l’encontre de John Cage, laisse-t-il à la postérité «moins une œuvre qu’une posture?» A chacun de se forger sa propre opinion; ici réside la vertu de cet ouvrage, en nous donnant quelques clés, que d’y contribuer.


Jérémie Bigorie

 

 

 

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