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11/27/2000 Isabelle His : Claude Le Jeune, v. 1530 – 1600, un compositeur entre Renaissance et baroque. Actes Sud. 2000. 512 p.
Du musicien Claude Le Jeune, figure mythique mais mal connue, la musicologue Isabelle His dresse dans ce livre un remarquable portrait qui fera sans nul doute date dans l'histoire de la musique.
Les repères biographiques étant extrêmement pauvres, elle a construit ce portrait à partir de quatre facettes essentielles de l'art de Le Jeune, appelé parfois aussi Claudin : son ancrage dans sa terre natale et l'importance de l'héritage musical franco-flamand, le protestantisme, les influences italiennes et l'attrait pour l'antiquité et en particulier pour la musique "mesurée à l'antique". Quatre aspects essentiels qu'elle suit à la trace dans l'ensemble de l'œuvre, partitions en main.
De son ancrage dans la tradition franco-flamande, Le Jeune a hérité un fort goût pour l'"industrie" musicale, un attachement certain pour les procédés anciens, un attrait pour les contraintes imposées (allant parfois jusqu'au défi en matière de composition).
Toujours du fait de sa naissance à Valenciennes, dans les années 1530, il s'est trouvé confronté aux thèses de Luther et s'est engagé très tôt aux côtés de la Réforme. Son œuvre en porte la marque puisqu'à maintes reprises, il a travaillé à l'harmonisation de psaumes, notamment les psaumes du fameux psautier huguenot publié en 1562 par Clément Marot et Théodore de Bèze. C'est après sa mort que sera publié le psautier complet harmonisé, sur une polyphonie homophone simple, écrite note contre note, et qui, en concurrence avec celui de Goudimel, connaîtra une diffusion et un succès exceptionnels. On lui doit deux autres importants recueils autour des Psaumes, le Dodecacorde de 1598 et les Pseaumes en vers mezurez publiés en 1606. Mais Le Jeune est aussi l'auteur d'un très important répertoire profane, composé pour l'essentiel de chansons. Ses principaux recueils sont le Printemps publié en 1603 et les Octonaires de La Vanité et Inconstance du Monde.
Claude Le Jeune est aussi un musicien de la Renaissance et comme tel a été profondément marqué par l'Italie. Il a été un des propagateurs les plus fervents des vues théoriques de Zarlino sur les modes et a su adapter maintes formes du répertoire italien, canzonetta ou madrigal, avec un souci constant d'illustrer musicalement le poème.
Un des aspects les plus novateurs de son œuvre, enfin, concerne le retour à l'antique, autre trait dominant de son époque, mouvement vers le passé qui paradoxalement va faire de Le Jeune un musicien d'avant-garde. Et cela, au travers de la redécouverte de la prosodie et de la mesure à l'antique. Ce sera tout le sens de son travail à l'Académie de poésie et de musique qu'il fonde avec le poète Jean-Antoine Baïf.
Le livre d'Isabelle His fait enfin le point sur la postérité de Le Jeune. Elle souligne en particulier l'intérêt très soutenu que lui a porté Olivier Messiaen, qui l'inscrivit régulièrement à ses célèbres cours d'analyse, non sans délaisser un peu injustement les aspects autres que celui de la métrique grecque.
Ce livre est un livre d'érudition, certes, avec un remarquable appareil critique : nombreux et souvent très beaux documents d'époque insérés dans le texte ou reproduits en annexe (poèmes, dédicaces et envois, préfaces), reproductions de substantiels extraits musicaux, bibliographie, catalogue de l'œuvre avec la composition intégrale de chaque recueil, discographie succincte (ce qui, hélas, reflète surtout la pauvreté des réalisations modernes), index. Mais c'est aussi une mine d'informations sur l'époque, les courants qui la traversent dans ses dimensions historiques, culturelles, religieuses. Période de transition, passionnante et dont Le Jeune est un des meilleurs représentants, figure emblématique en qui se résolvent les tensions entre protestantisme et catholicisme, France et Italie, Renaissance et baroque, tradition et modernité.
Florence Trocmé
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