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05/12/2016
Franz Liszt: Tout le ciel en musique. Pensées intempestives choisies et présentées par Nicolas Dufetel
Le Passeur, collection «Sursum corda» – 248 pages – 18,50 €


Must de ConcertoNet





«Liszt et Haydn, les deux musiciens les plus mal compris parmi les grands, partagent, malgré leurs différences, un point commun: leur biographie donne trop peu matière à compassion», a écrit Alfred Brendel (Musique côté cour, côté jardin). Trop de fracas, de mondanité, de grandiloquence, mêlés à un goût immodéré pour la contradiction, ont tôt fait d’apporter de l’eau au moulin des persiffleurs. Aussi tout lisztien digne de ce nom se double-t-il d’un militant: il y a toujours un préjugé à saper, une idée reçue à combattre. Au vrai, on n’aura jamais assez de bonnes raisons d’aimer Liszt et de le défendre.


Fin connaisseur du compositeur (à qui il consacra sa thèse de doctorat), habitué à sonder les bibliothèques de Weimar et de Budapest de ses doigts de sourcier, Nicolas Dufetel nous propose, réunies pour la première fois en un volume (dans la bien nommée collection «Sursum corda»), ces «pensées intempestives (...) extraites de ses écrits publics comme de sa correspondance privée». Si Serge Gut a affirmé que Liszt fut «culturellement français, musicalement plutôt allemand, et, pourrait-on ajouter, sentimentalement plutôt hongrois», ce recueil le fait surtout apparaître «comme un produit culturel franco-allemand» (Dufetel), dont la passion pour la maxime concilie les moralistes français (Chamfort, La Rochefoucauld) et «la tradition allemande des Aussprüche (bons mots)» dans laquelle s’inscrivent Lichtenberg, Schlegel et, un peu plus tard, Nietzsche. Où l’on constate que ce cosmopolitisme qui lui est trop souvent opposé en mauvaise part se révèle un atout de choix pour tenter de saisir la prose du monde dans toute sa complexité.


Au gré d’un découpage thématique – forcément arbitraire – distinguant «L’art et les artistes», «La musique et les musiciens», «Figures», «L’homme et le monde», «Peuples, villes et pays», «Spiritualité et religion» et «Miscellanées», le lecteur goûtera quelques aphorismes pour eux-mêmes («Mieux vaut faire la guerre qu’une mauvaise paix», «Il ne suffit pas de faire; il faudrait réussir à parfaire» ou «Les œuvres ne durent que par leur style») tandis que d’autres renverront immanquablement à la vie du compositeur et pianiste.


«Tout talent jeune doit avoir un certain degré de charlatanisme – qui n’est que l’exagération de son individualité» sonne comme le regard lucide de l’abbé Liszt venu à résipiscence sur les mondanités et la gloire qui auréola le prodige batteur d’estrade qu’il fut. Point de complaisances mortifères pour autant: n’en déplaise au roi Salomon, tout n’est pas vanité quand on a l’amour de l’art: «Labourer son champ, "cultiver son jardin" (comme le recommandait M. de Voltaire) et remplir ses devoirs envers le prochain à commencer par les domestiques et terminer avec les princes, ne sont pas choses vaines: pas non plus la Divine Comédie de Dante, ou la 9e Symphonie de Beethoven». Pour l’auteur de la Sonate en si mineur, les chefs-d’œuvre des grands hommes composent, au trébuchet du jugement dernier, ce qui pèsera le plus de poids pour racheter l’humanité de ses turpitudes.


Intitulé «Liszt et le hérisson», le brillant essai signé Nicolas Dufetel refermant cette anthologie s’appuie sur la définition du fragment romantique donnée par Friedrich Schlegel: «Pareil à une petite œuvre d’art, un fragment doit être totalement détaché du monde environnant, et clos sur lui-même comme un hérisson». Et l’auteur de conclure que si Liszt-compositeur, à la différence d’un Schumann et d’un Chopin, s’est relativement peu exprimé par le truchement de la petite forme (à l’exception notable des dernières pièces pour piano à l’harmonie aventureuse), le fragment s’avère la forme littéraire privilégiée dans laquelle il a coulé ses pensées, ses réflexions, voire ses humeurs.


On ne s’ennuie pas un seul instant à la lecture de ces pages qui contribuent grandement à la connaissance de ce musicien hors norme. Mieux: Liszt en sort grandi. A acquérir toutes affaires cessantes.


Jérémie Bigorie

 

 

 

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