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09/14/2013 Richard Wagner : Die Walküre
Petra Lang (Brünnhilde), Tomasz Konieczny (Wotan), Robert Dean Smith (Siegmund), Melanie Diener (Sieglinde), Iris Vermillion (Fricka), Timo Riihonen (Hunding), Anja Fidelia Ulrich (Gerhilde), Fionnuala McCarthy (Ortlinde), Heike Wessels (Waltraute), Kismara Pessatti (Schwertleite), Carola Höhn (Helmwige), Wilke te Brummelstroete (Siegrune), Nicole Piccolomini (Grimgerde), Renate Spingler (Rossweisse), Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, Marek Janowski (direction)
Enregistré en concert à la Philharmonie, Berlin (24 novembre 2012) – 216’29
Coffret de trois SACD hybrides PentaTone PTC 5186407 – Notice de présentation en français, anglais et allemand
PentaTone poursuit l’édition de la seconde Tétralogie de Marek Janowski – enregistrée sur le vif avec l’Orchestre de la Radio de Berlin. Captée deux jours après un Or du Rhin plein de promesses, cette Walkyrie bénéficie du même soin éditorial – comme en témoignent la qualité de la prise de son et un livret de plus de deux cents pages.
Le projet de Janowski prend désormais tout son sens: s’imposer comme la grande lecture chambriste du Ring. Les cordes sont travaillées avec une précision et un détail tels qu’on se croirait parfois en présence d’une formation réduite. Galvanisée par le direct, la flexibilité inouïe des lignes musicales rafraîchit une partition dont on penserait presque découvrir certaines portées. La méticulosité de l’accompagnement permet ainsi aux chanteurs de magnifier leur texte sans s’époumoner. Quel dommage, du coup, que le premier acte manque à ce point d’électricité... Bien entamé par une forêt de coups d’archet, il s’enlise vite dans des lenteurs que les chanteurs ne parviennent jamais à remplir. Marqué par la véhémence de cuivres menaçants à souhait, le deuxième acte brille, à l’inverse, par l’aptitude du chef à soutenir ses chanteurs. Et, sur le strict plan orchestral, le dernier acte fascine – transformé en véritable poème symphonique, avec un souci du détail qui ne nuit jamais à la trajectoire d’ensemble, impressionnante de la première à la dernière mesure (...et avec moins de chutes de tension que dans les actes précédents). L’allégement spectaculaire du discours, lors des «Adieux de Wotan» et de la confrontation avec sa fille qui précède, ne connaît pas – à notre connaissance – d’équivalent dans la discographie.
La distribution est moins remarquable que dans la récente version de Valery Gergiev (Mariinsky). Voix mâle et équilibrée, Robert Dean Smith présente bien le vibrato héroïque qui sied à Siegmund, mais le résultat reste laborieux, marqué par le souci permanent de domestiquer une ligne de chant à l’instinct fuyant, à l’intonation périlleuse et à la couleur naturelle trop mate. La Sieglinde de Melanie Diener présente moins de défauts techniques – avec son timbre riche et sa capacité à habiter les phrases avec une constance égale – qu’un manque de personnalité vocale. Curieux choix que celui de Timo Riihonen – à la justesse suspecte, aux nuances comme au phrasé timides: affecté d’une nasalité générale du timbre, il paraît confondre Hunding avec le Roi Marke, même s’il crédibilise in extremis son incarnation avec des «Wehwalt!» remplis de fougue. Par la justesse défaillante des attaques et certaines bizarreries dans l’intonation, la Fricka d’Iris Vermillion bouscule toujours autant la ligne de chant, mais l’incarnation – engagée (...on plaint le pauvre Wotan au deuxième acte!) – n’est pas inintéressante. Davantage que celle des Walkyries – à la fraîcheur fanée.
Fait rarissime au regard des enregistrements récents de cet opéra, les deux premiers rôles sont mieux distribués que les autres. On peine, en effet, à reconnaître le Tomasz Konieczny du Prologue tant son Wotan s’est humanisé dans cette Première Journée, qu’il investit de son timbre – toujours mat et à l’intonation un brin nasale – avec une présence haute en couleur (quel monologue de caractère au II) et une douceur paternelle assez déchirante dans le dernier acte. De même, le métal de Petra Lang rapprocherait presque sa Brünnhilde de la lignée d’une Birgit Nilsson. Dommage que les notes soient systématiquement prises par le dessous – possible stigmate de son passage du mezzo (on l’entendait encore chanter Waltraute en 2008) au registre plus aigu. Comme on le relevait déjà à Bastille (mais pour le seul Crépuscule), sa walkyrie assume l’écrasante tessiture du rôle malgré une couleur d’ensemble peut-être trop noire pour s’enflammer. Surtout, l’émotion, qu’on aurait pu craindre monolithique, se révèle – se brise, oserait-on dire – dans le dernier acte, avec une sincérité telle qu’elle fait oublier une «Annonce de la mort» en mal de justesse.
Une Walkyrie inégale, qui ne déparera pas votre discothèque et devrait même passionner les amoureux de l’œuvre.
Gilles d’Heyres
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