Back
08/31/2013 Richard Wagner : Der Ring des Nibelungen, ein Bühnenfestspiel für drei Tage und einen Vorabend: Das Rheingold [1], Die Walküre [2], Siegfried [3] & Götterdämmerung [4] John Bröcheler (Wotan, Der Wanderer), Jeannine Altmeyer (Brünnhilde), Heinz Kruse (Siegfried), Henk Smit (Alberich), Chris Merritt (Loge), Graham Clark (Mime), John Keyes (Siegmund), Nadine Secunde (Sieglinde), Kurt Rydl (Hunding, Hagen), Reinhild Runkel (Fricka), Carsten Stabell (Fafner), Peter Mikulás (Fasolt), Anne Gjevang (Erda, Waltraute [4]), Wolfgang Schöne (Gunther), Eva-Maria Bundschuh (Gutrune), Carola Höhn (Freia), Jürgen Freier (Donner), Albert Bonnema (Froh), Gabriele Fontana (Woglinde), Hanna Schaer (Wellgunde, Waltraute [2]), Catherine Keen (Flosshilde, Siegrune), Stefan Pangratz (Waldvogel), Hebe Djikstra (1. Norn, Schwertleite), Irmgard Vilsmaier (2. Norn, Gerhilde), Kirsi Tiihonen (3. Norn, Helmwige), Annegeer Stumphius (Ortlinde), Regina Mauel(Grimgerde), Elzbieta Ardam (Rossweisse), Koor van de Nederlandse Opera, Het Residentie Orkest in Den Haag [1], Nederlands Philharmonisch Orkest [2, 4], Rotterdams Philharmonisch Orkest [3], Hartmut Haenchen (direction), Pierre Audi (mise en scène), George Tsypin (décors), Eiko Ishioka (costumes), Wolfgang Göbbel (lumières), Misjel Vermeiren (réalisation)
Enregistré en public au Het Muziektheater, Amsterdam (1999) – 1008’ (y compris les bonus)
Coffret de 11 DVD Opus Arte OA 1094B D – Format : 16/9. Region code : 0 (worldwide) – Notices de présentation en anglais et sous-titres en français, anglais, allemand, espagnol, italien, japonais et néerlandais
La reparution – sous boîtier cartonné – de ce Ring amstellodamois – mis en scène par Pierre Audi en 1999 et déjà publié en 2006 par Opus Arte – colle opportunément avec l’année Wagner 2013. Lors des représentations de 1999, ConcertoNet parlait d’une «mise en scène révolutionnaire», faisant le pari que le spectacle resterait «comme l’un des grands événements de cette fin de siècle, faisant déjà penser, par sa modernité scénique, aux espoirs du prochain millénaire». Le DVD permet d’en juger... dans le cadre (plus modeste que la gigantesque scène de l’Opéra néerlandais) de son téléviseur.
Si l’expérience théâtrale vécue par le Ring depuis une quinzaine d’années atténue nécessairement l’impact de certaines des idées novatrices de Pierre Audi, cette mise en scène continue de produire son effet. Comme pour le spectacle de Harry Kupfer chez le même éditeur, on déplore, en revanche, une réalisation vidéo inégale... ainsi qu’une vilaine coupure en plein milieu de la musique de L’Or du Rhin (pour permettre le passage au deuxième DVD). Le gros plan (dont use et abuse le réalisateur) porte parfois un préjudice à cette mise en scène hors norme – dévoilant certains artifices, brisant la magie du sfumato, contraignant à l’excès le regard. Mais les choses s’améliorent au fil des journées et il faut reconnaître que ce spectacle où orchestre et chef sont placés sur scène rend les choix d’angles de vue bien complexes.
Il semble ainsi difficile de rendre véritablement justice – en vidéo – à la mise en scène à la fois symboliste et mécaniste de Pierre Audi (dont l’impact physique ne se révèle qu’en salle). Un documentaire de cinquante minutes (figurant parmi les bonus) explique ce choix d’une intime proximité entre la scène et le public, guidé par la volonté d’une lecture plus humaine que mythologique... même si le dispositif scénique est l’un des plus spectaculaires qu’on ait vu. En réalité, Pierre Audi explique qu’au départ, il ne pouvait même pas imaginer de décors pour sa Tétralogie: «tout a déjà été fait. Aussi j’ai opté pour l’absence de décors, pour des espaces, comme des théâtres dans le théâtre, dans lesquels raconter cette incroyable pièce sur la passion. Et dans cette optique, j’ai mis en scène la musique, en intégrant l’orchestre à la dramaturgie du spectacle». A dire vrai, cela ne va pas sans poser de problèmes de synchronisation avec les chanteurs, parfois dos à l’orchestre et devant affronter un volume sonore excessif: un anti-Bayreuth, en quelque sorte!
Mais certaines images marquent l’esprit. Dans L’Or du Rhin, d’immenses plateaux inclinés figurent les différents mondes, le feu du Nibelheim est bien réel et l’or a des éclats auxquels il est difficile de résister. Dans La Walkyrie, l’efficacité de la scénographie et de la mise en espace s’impose sur la quasi-absence d’accessoires et de décors: une immense structure en béton et en bois à l’acte I (... qui complique la tâche des preneurs de son), l’image forte d’une Brünnhilde «ange de la mort» à l’acte II (brune, habillée comme à la ville – tout en noir –, revêtant un casque en forme de tête de mort et des ailes argentés), les flammes bien réelles de la chevauchée à l’acte III (qui manquent de mettre le feu aux harpes mais dévoilent de glaçantes walkyries, aux battements d’ailes de charognards – s’animant des gestes brusques et tranchants des vautours). Siegfried surprend davantage encore par la configuration de la scène (un orchestre franchement placé au centre, avec des protagonistes tournant autour), qui rend la musique explosive et culmine dans une scène de la forge plus vraie que nature – laissant pantois. Faire chanter l’Oiseau par un jeune sopraniste, qui accompagne Siegfried – tel un ange gardien – pour décoder le langage piégé de Mime, est, du reste, une fort bonne idée. Mais c’est dans le Crépuscule que le travail de Pierre Audi semble culminer, s’appuyant sur un dispositif scénique plus épuré et aisé à filmer. On y retient plus spécialement un Prologue saisissant – dans lequel la scène des Nornes vire à l’ultra-expressionnisme – et l’effroyable armée des ombres surgissant des appels de Hagen au deuxième acte. Et partout, l’intelligence de la direction d’acteurs – à l’image du retour de Waltraute, apeurée, agitée de mouvements convulsifs et raides, comme un oiseau blessé semblant vraiment venu d’un autre monde. D’une puissance tellurique, ce Crépuscule des dieux est un bijou de mise en scène.
Hartmut Haenchen dirige trois orchestres différents pour cette Tétralogie: l’Orchestre de la Résidence de La Haye, l’Orchestre philharmonique des Pays-Bas et l’Orchestre philharmonique de Rotterdam. Le premier – le moins attachant – officie dans L’Or du Rhin sous une battue claire et lisible mais qui manque parfois de densité et souvent de poésie. Dans Siegfried, l’Orchestre philharmonique de Rotterdam triomphe de la plupart des embuches de la partition – se la jouant «métal hurlant». C’est finalement dans La Walkyrie et Le Crépuscule – avec la Philharmonie néerlandaise, dont il a été le directeur musical de 1985 à 2002 – que Hartmut Haenchen convainc le plus. Nerveuse, la baguette se fait plus lyrique aussi. On regrette néanmoins que certains passages (le fin du Prologue du Crépuscule des dieux notamment) s’achèvent dans un concert de décibels, contraignant les chanteurs à forcer. Mais la puissance tellurique – amplifiée par l’absence d’enfouissement en fosse – ne laisse jamais indifférent.
La distribution réunie à Amsterdam est de grande tenue. Elle ne connaît pas de faiblesse notoire dans L’Or du Rhin et brille par une intelligente caractérisation vocale. L’Alberich de Henk Smit est maîtrisé malgré la sécheresse du timbre. Le Loge de Chris Merritt présente une voix instable et usée mais une suprême intelligence du rôle. Le Wotan de John Bröcheler a peu d’éclat (et des graves défaillants) mais une certaine classe. La Fricka de Reinhild Runkel est, par le métal amer de sa voix, la mégère attendue. Et les autres dieux tout comme les Filles du Rhin sont impeccablement bien chantants et investis. Mention spéciale pour le Mime de Graham Clark, acteur chanteur exceptionnel (habillé en une sorte de répugnant cafard), et pour le Fasolt, lyrique à souhait, de Peter Mikulás.
Le casting de La Walkyrie est plus bruyant mais efficace. Le choix de voix puissantes davantage que subtiles est, en effet, un peu assommant à la longue... La Brünnhilde de Jeannine Altmeyer est ainsi obligée de forcer (voire de crier) tant l’orchestre joue fort, mais sa grande expérience du rôle parle et le métier fait accepter une ligne de chant (parfois) en lambeaux. Attachants à voir, les jumeaux ne marquent vocalement pas. Le Siegmund de John Keyes est affecté d’un vibrato prononcé et d’une justesse pas toujours infaillible. Son format est plus héroïque que poétique, à l’image de la Sieglinde de Nadine Secunde qui passe en force ce qu’elle ne parvient pas à exprimer avec subtilité et sombre souvent dans le beuglement. Le Wotan impeccable de John Bröcheler est plus à son aise que dans le Prologue et achève le troisième acte avec les honneurs. La Fricka de Reinhild Runkel est également nettement plus marquante que la mégère sans âme qu’elle incarnait dans L’Or du Rhin, dévoilant de l’émotion malgré une voix toujours aussi large et manquant de douceur. Enfin, le Hunding de Kurt Rydl pourrait davantage soigner sa ligne de chant mais possède l’épaisseur requise.
Dans Siegfried, c’est peu dire que le Mime exemplaire de Graham Clark casse la baraque. Le Wanderer très en voix de John Bröcheler en impose (... quel lyrisme dans le troisième acte!). La confrontation des deux personnages au premier acte est ainsi, musicalement, un des moments forts de ce Ring. Le regretté Heinz Kruse (décédé en 2008) est un Siegfried inattendu, capable d’intimisme et d’émotion, osant le parlando et la mezza voce – assez déroutant en somme. Frais jusqu’au terme de l’œuvre, il offre le visage d’un anti-héros: un Siegfried humain et débordant de sensibilité, une force tranquille. Dommage que Jeannine Altmeyer, bien que dans une forme vocale supérieure à sa Walkyrie débraillée, n’explore pas le même chemin. Pour le reste, l’Alberich de Henk Smit ne laisse pas d’empreinte. Le Fafner de Carsten Stabell non plus. Mais l’Erda d’Anne Gjevang en laisse davantage que dans le Prologue, s’investissant dans son rôle jusqu’au surexpressionnisme.
Dans Le Crépuscule des dieux, l’acoustique complique la tâche des voix qui se perdent un peu dans l’immense scène d’Amsterdam. Jeannine Altmeyer débute l’œuvre en bien meilleure forme qu’elle n’avait achevé la Deuxième Journée... Les choses se gâtent un peu face à la Waltraute impressionnante d’Anne Gjevang – qui compense un timbre ordinaire et une émission parfois poussive par un investissement admirable. Elles se détériorent dans la véhémence du deuxième acte, l’investissement scénique autorisant à passer sur l’essoufflement et les nombreux écarts de justesse de cette Brünnhilde, mais ne s’empirent pas au dernier acte – endurante jusqu’au brasier final malgré les faiblesses de sa voix (avec des défauts dans l’émission comme dans le souffle). Un peu pataud dans ses fausses fourrures et son costume de samouraï, le Siegfried de Heinz Kruse continue d’étonner par la simplicité de l’approche, le naturel du timbre et la fraîcheur de l’émission. Quant au Hagen de Kurt Rydl – bête de scène torse nu et bretelles en cuir... sorte de capitaine Haddock SM qui évoque la cruauté d’un John Claggart (allant jusqu’à tuer Gunther comme Gutrune) –, il réussit un remarquable premier acte, même si cette voix puissamment noire gagnerait à davantage soigner ses attaques et surveiller la justesse de son intonation. Ses deuxième et troisième actes ne souffrent, en revanche, aucune réserve. Le Gunther de Wolfgang Schöne n’a pas le format vocal adéquat, court en souffle comme en moelleux, mais, tout comme la Gutrune d’Eva-Maria Bundschuh – voix ordinaire qui se cantonne à un personnage de potiche avant de se révéler en veuve déchirée –, il se fond parfaitement à la mise en scène qui fait des Gibichungen des nobles d’Ancien régime. Si l’Alberich de Henk Smit reste toujours aussi neutre et transparent, les deux ensembles féminins (Nornes et Filles du Rhin) convainquent.
Au total, voici un Ring inégal en vidéo (... comme tous les autres, d’ailleurs) mais passionnant – jusqu’à une exceptionnelle Dernière Journée que les wagnériens se devraient tous de connaître.
Gilles d’Heyres
|