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08/08/2013 Richard Wagner : Das Rheingold
Tomasz Konieczny (Wotan), Jochen Schmeckenbecher (Alberich), Christian Elsner (Loge), Günther Groissböck (Fasolt), Timo Riihonen (Fafner), Andreas Conrad (Mime), Iris Vermillion (Fricka), Ricarda Merbeth (Freia), Maria Radner (Erda), Antonio Yang (Donner), Kor-Jan Dusseljee (Froh), Julia Borchert (Woglinde), Katharina Kammerloher (Wellgunde), Kismara Pessatti (Flosshilde), Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, Marek Janowski (direction)
Enregistré en concert à la Philharmonie, Berlin (22 novembre 2012) – 140’27
Coffret de trois SACD hybrides PentaTone PTC 5186406 – Notice de présentation en anglais
Enfin, le Ring... en couronnement de l’intégrale entreprise par Marek Janowski et les forces de la radio berlinoise chez PentaTone, dans le cadre des hommages rendus à Richard Wagner (1813-1883). Après la publication des volumes 4 (Lohengrin), 5 et 6 (Tristan et Isolde, Tannhäuser), voici le volume 7 consacré à L’Or du Rhin.
On dit parfois que le Ring de Karajan (DG) est une version «chambriste»: celui-ci l’est bien davantage! A en juger par le seul prologue de cette Tétralogie, on ne peut que louer la lisibilité inouïe (renforcée, en occurrence, par la qualité du SACD) de la battue de Marek Janowski, plus analytique mais aussi plus anguleuse que dans son premier essai chez Eurodisc. La somptuosité de la prise de son (pour ce qui semble être une prise unique de concert) frappe d’emblée à l’écoute du prélude: transparent comme l’air, liquide et clair comme les eaux fantasmées du Rhin, d’un débit dynamique et grisant. Peu d’enregistrements parviennent à ce point à déchaîner la violence sourde des cuivres et des timbales à l’entrée des Géants ou à sublimer les traits de cordes qui ouvrent les deuxième et troisième scènes – mettant d’autant mieux en valeur le contraste entre les univers souterrain et céleste. Marek Janowski pousse ainsi les musiciens de l’Orchestre symphonique de la Radio de Berlin à leur meilleur niveau. Le caractère chambriste de la conception tend toutefois à rendre presque apathiques les moments les plus introspectifs (la fin de la deuxième scène notamment, assez anonyme) ou à enlever quelque peu d’emphase aux instants de grandiose (l’entrée au Walhalla, par exemple).
La distribution est remarquablement homogène et intelligemment composée. En Alberich, Jochen Schmeckenbecher n’égale pas les plus grands titulaires du rôle (voix tremblante, intonation un peu basse, usage abusif du «Sprechgesang»...). Mais il s’affirme progressivement (parvenant même au splendide lors de la troisième scène) et, surtout, se fond à merveille dans le geste de Janowski – révélant l’intimité d’un personnage brisé au début comme à la fin, pathétique jusque dans l’épuisement de son organe, vibrant d’émotions juste avant le vol de l’Or, vraiment splendide dans la malédiction qu’il prononce. On peut dire à peu près la même chose du Wotan de Tomasz Konieczny, qui paraît bien appliqué dans la deuxième scène – déclamant presque scolairement ses premières interventions, plutôt laborieux dans sa projection sonore – mais se révèle dans la seconde partie de l’opéra (franchement convaincant arrivée la quatrième scène). Et lui aussi colle exactement à la vision du chef.
Celui qui répond le mieux aux attentes et aux exigences de la conception de Janowski reste néanmoins Christian Elsner. Le ténor allemand apporte une maturité inédite à Loge – et une virilité particulièrement séduisante (avec son grain de voix mûr et sa diction impeccable). Pour le reste, le Fasolt à l’intonation enrhumée et au spectre vocal trop étroit de Günther Groissböck est logiquement terrassé par le Fafner de Timo Riihonen, qui présente bien plus de vigueur (dans la caractérisation du personnage évidemment, mais aussi dans la technique et la projection). Quant à Mime, la voix d’histrion – parfaitement assumé et avec les moyens adéquats – d’Andreas Conrad convainc pleinement, promettant un Siegfried passionnant.
Les Filles du Rhin s’investissent jusqu’au déchaînement – révélant du coup certaines limites (la justesse contestable de la Woglinde de Julia Borchert et de la Wellgunde de Katharina Kammerloher, le souffle court de la Flosshilde de Kismara Pessatti). Bien qu’elle dresse un portrait très juste de Fricka, Iris Vermillion devrait davantage surveiller sa ligne de chant (... qui bouge dangereusement parfois, en raison d’un métal un peu usé). Ricarda Merbeth a une voix probablement trop héroïque et sombre pour Freia, mais elle met indéniablement le feu au personnage. Enfin, l’Erda expressionniste de Maria Radner – dont l’entrée évoquerait presque la Troisième Symphonie de Mahler – fait son effet. Bref, on attend la suite avec impatience.
Gilles d’Heyres
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