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06/07/2013
«Pelléas et Mélisande» cent ans après: études et documents

Joseph-Marc Bailbé, Anne-Sylvie Barthel-Calvet, Jean-Christophe Branger, Aude Caillet, Sylvie Douche, Beat A. Föllmi, Vincent Giroud, Christian Goubault, David A. Grayson, Denis Herlin, Barbara L. Kelly, Annie Labussière, Richard Langham Smith, Roger Nichols et Renata Suchowiejko – Ouvrage coordonné par Jean-Christophe Branger, Sylvie Douche et Denis Herlin
Symétrie, collection Symétrie Recherche (décembre 2012), publié en collaboration avec la Fondation Palazzetto Bru Zane et avec le soutien du Centre national du livre, de la SACEM et de la Fondation Francis et Mica Salabert – 609 pages, 64 €


Sélectionné par la rédaction





La promesse et l’envergure de cet ouvrage menées à bien en font un écrit incontournable pour qui s’intéresse sérieusement à l’unique opéra achevé de Claude Debussy et à son impact pérenne, comme au compositeur lui même ou à la riche époque musicale en fin de XIXe siècle et au début du XXe. Coordonnés par Jean-Christophe Branger, Sylvie Douche et Denis Herlin, les travaux des quinze auteurs multiplient à dessein les angles d’approche de manière que le prisme de l’œuvre, de son édition et de sa réception immédiate et à long terme soit parfaitement constitué avec la rigueur nécessaire, dans toutes ses couleurs et tout son éclat. Les musicologues, notamment, y trouveront une source d’information riche d’enseignements en ce qui concerne l’opéra lui-même, et, au-delà, une source d’inspiration méthodologique et thématique qui peut irriguer de futures recherches sur Debussy ou sur son époque. Pierre Boulez y apporte son point de vue de musicien et de chef d’orchestre expérimenté, habitué à la scène en général et à Pelléas et Mélisande en particulier, dans un entretien accordé en guise de préface bien à propos, qui touche aussi bien à la nature profonde de l’œuvre qu’aux aspects pratiques de la mise en place scénique, vocale et orchestrale.


L’ouvrage se divise en deux parties. La partie «Etudes» s’organise en quatre sections, qui vont de la genèse de l’œuvre à sa postérité, couvrant les divers aspects de la réception et touchant à l’esthétique et à l’analyse. La partie «Documents» contient pour le principal une transcription des notes de Maurice Emmanuel, qui prit sur le vif des échanges entre Debussy et Ernest Guiraud en 1889 et 1890, une chronologie de la genèse et des représentations de l’opéra jusqu’en 1914 pour la France (et 1918 pour l’étranger) et un étonnant dossier de presse très fourni (227 pages sur deux colonnes), révélateur de l’esprit et des mentalités d’une époque et proche de l’exhaustif – il rassemble cent onze critiques et commentaires, favorables ou non à Pelléas, écrits à chaud ou après un temps de réflexion, tous à la suite de la création, en 1902.


Les différentes contributions proviennent en grande partie d’un colloque tenu à la Sorbonne en 2002 pour marquer le centenaire de Pelléas et Mélisande, opéra «tellement fort et tellement réussi que Debussy lui-même n’a pas pu le dépasser» (P. Boulez), opéra au traitement mélodique caractérisé, resté unique sous peine de produire du sous-Pelléas, opéra toujours d’actualité qui ne cesse d’interroger les musicologues et les chercheurs de tout genre. Certaines études sont d’ordre factuel et analytique telle celles qui concernent la difficile genèse de l’édition scientifique et celle de son urtext, le manuscrit Koch, ou l’examen de l’indépendance et de la concaténation des schèmes, soutenu d’extraits de la partition, ou encore le recensement minutieux des moyens dont Debussy disposait et qui devenaient le «geste compositionnel debussyste» ici exposé sous des aspects souvent inédits. Une filiation en amont ou en aval exclue, certaines contributions confrontent Debussy à d’autres compositeurs lyriques plus ou moins contemporains cherchant à établir ou à réfuter les possibilités d’une influence de l’un sur l’autre ou à en dégager l’essence d’une époque: Wagner, bien sûr mais aussi Moussorgski, Massenet, Bruneau (Le Rêve), Koechlin, Dukas – ou Bizet en contradiction absolue et Debussy face à ses propres œuvres lyriques inabouties ou inachevées, Rodrigue et Chimène et La Chute de la maison Usher. Ailleurs, sont mis en avant ceux qui ont tôt saisi le sens et l’importance de l’œuvre: Koechlin, debussyste militant et debussyste malgré lui pour qui Debussy fut une leçon de liberté, Emmanuel, dont la pensée se concrétise en son admirable étude monographique de 1926 qui souligne l’unicité de l’œuvre et celle du compositeur, et, dès la création, André Messager, pour sa direction affinée et Albert Carré pour sa mise en scène psychologiquement subtile et son traitement visionnaire de l’ombre et des points lumineux, exégèse en soi.


Le débat s’ouvre à la littérature pure en scrutant le symbolisme de la chevelure ancré dans l’antiquité et si consciemment présent à cette époque de Rodenbach à Maeterlinck. D’autres articles situent Pelléas au cœur de la bataille pour la musique française ou au sein de la «clarté latine» (Z. Mycielski) vue de Pologne. Une contribution intrigue par le parallèle qu’elle établit furtivement avec l’Erwartung de Schönberg et l’examen du regard de celui-ci sur le compositeur français. La dernière fascine par son analyse de la structure de la Pelléas et Mélisande – Symphonie de Marius Constant, qui se révèle à la fois un fidèle hommage au compositeur et un éclairage de l’œuvre, le personnage de Golaud, thématiquement souligné comme lors des interludes, devenant central.


La richesse de l’ouvrage, abondamment illustré, vient de la minutie exigeante de la recherche, de la pertinence de la documentation abondante, des arguments rigoureusement étayés et du foisonnement de détails musicaux et humains qui expliquent et, in fine, exaltent «une musique si rapprochée de la musique incluse sous les mots que, dans l’impression totale produite par cette sorte de transfusion sonore, il devient impossible de la dissocier du texte qu’elle pénètre» (Dukas, 1902).


Christine Labroche

 

 

 

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