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04/15/2013 Tedi Papavrami : Fugue pour violon seul
Robert Laffont – 315 pages – 21 euros
Parallèlement à la réédition de ses enregistrements chez Zig-Zag Territoires (lire ici), le violoniste Tedi Papavrami (né en 1971) dresse le récit de son parcours. Intitulé Fugue pour violon seul et illustré d’une trentaine de photographies (des souvenirs de famille ou de concert au tournage d’une scène avec Catherine Deneuve pour Les Liaisons dangereuses en 2003, en passant par ce cliché de 1983 auprès d’Enver Hoxha – «l’homme qui avait instauré le système cruel qui m’empêchait de quitter librement l’Albanie et qui fut à l’origine des lourdes sanctions que subira ma famille»), le livre de cet artiste complet narre la vie d’un enfant prodige passé de l’Albanie natale à l’adolescence en exil, baigné de culture mais aussi de souffrances personnelles. Itinéraire d’un jeune homme marqué – au-delà du cénacle du CNSMP – par certaines rencontres (Alain Marion, Pierre Amoyal, Viktoria Mullova...) et diverses influences musicales (Jascha Heifetz, Nathan Milstein, Zino Francescatti...). Mais ce qui frappe le plus à la lecture de cette autobiographie, c’est l’objectivité – voire la froideur – du regard et du sentiment, qui semble témoigner d’une solitude assumée, cette solitude propre aux solistes itinérants («Peut-être est-ce dû à la proximité physique que nous avons, cet instrument et moi: collé à ma carotide où bat la vie, sous la mâchoire, à quelques centimètres de mon oreille, il ne souffre pas qu’un tiers s’immisce entre nous deux»).
La plume sobre de celui qui est également le traducteur d’Ismail Kadaré rend la lecture d’autant plus aisée que la construction fait oublier l’artiste pour dessiner le portrait d’un personnage romanesque au destin européen typique de la fin de la guerre froide, depuis l’Albanie natale jusqu’à cette France qui lui accorda l’asile politique en 1986: «...les parapluies bulgares qui supprimèrent – dit-on – certains opposants au régime soviétique et autres légendes (parfois fondées) qui aujourd’hui nous font sourire dans de vieux James Bond ne semblaient pas alors aussi farfelues et irréalistes. Je me suis senti rassuré de vivre au sein d’un Etat prêt à mobiliser dix de ses fonctionnaires pour assurer notre sécurité. La vision des gendarmes armés, montant la garde toute la nuit (...) pour que l’on dorme tranquillement, donne une autre dimension à des notions abstraites telles que la protection des libertés et de l’individu. Le paradoxe qui me saute aux yeux ce jour-là sera déterminant pour mon avenir: le pays dans lequel je suis né, au sein duquel résident encore mes souvenirs les plus précieux, frappe cruellement ma famille et cherche à me nuire, alors que cette patrie d’adoption que je ne connais pas encore bien et dans laquelle le hasard m’a fait atterrir quatre ans plus tôt m’accueille et me protège avec un déploiement de moyens impressionnant».
On signalera que le livre est parsemé de flashcodes générant des extraits musicaux venant appuyer ou illustrer certains paragraphes (...à condition, bien entendu, d’être scannées avec le smartphone idoine) et que l’éditeur met également à disposition une version numérique enrichie de cet ouvrage sans esbroufe, un peu froid dans l’expression – mais assurément authentique.
Gilles d’Heyres
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