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03/18/2013 Richard Wagner : Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold [1] – Die Walküre [2] – Siegfried [3] – Götterdämmerung [4]
Falk Struckmann (Wotan, Der Wanderer), Christian Franz (Siegfried), Deborah Polaski (Brünnhilde [2] [4]), Catherine Foster (Brünnhilde [3]), Peter Galliard (Loge, Mime [3]), Wolfgang Koch (Alberich), Stuart Skelton (Siegmund), Yvonne Naef (Sieglinde), John Tomlison (Hagen), Jeanne Piland (Fricka [2]), Katja Pieweck (Fricka [1]), Mikhail Petrenko (Hunding), Tigran Martirossian (Fasolt), Diogenes Randes (Fafner [3]), Alexander Tsymbalyuk (Fafner [1]), Hellen Kwon (Freia), Deborah Humble (Erda, Schwertleite, 1. Norn), Robert Bork (Gunther), Anna Gabler (Gutrune), Petra Lang (Waltraute [4]), Jan Buchwald (Donner), Ladislav Elgr (Froh), Jürgen Sacher (Mime [1]), Hayoung Lee (Woglinde, Waldvogel), Gabriele Rossmanith (Wellgunde [1], Ortlinde), Ann-Beth Solvang (Flosshilde, Grimgerde), Hellen Kwon (Gerhilde), Miriam Gordon-Stewart (Helmwige), Renate Spingler (Rossweisse), Maria Markina (Wellgunde [4]), Cristina Damian (Waltraute [2], 2. Norn), Katja Pieweck (Siegrune, 3. Norn), Chor der Staatsoper Hamburg und Herren des Extrachores, Philharmoniker Hamburg, Simone Young (direction)
Enregistré en public au Staatsoper de Hambourg (16 mars 2008 [1], 9 novembre 2008 [2], 18 octobre 2009 [3], 17 octobre 2010 [4]) – 14 heures et 47 minutes
Coffret de quatorze disques Oehms Classics OC 929 – Notice de présentation en anglais et allemand
Cette Tétralogie, captée en public à Hambourg à l’occasion d’un cycle mis en scène par Claus Guth, s’étale de mars 2008 à octobre 2010. La prise de son manque, du coup, d’homogénéité (elle paraît même superficiellement réverbérée au premier acte de La Walkyrie). L’intérêt principal réside pourtant dans la direction de Simone Young à la tête de la Philharmonie de Hambourg – une heureuse surprise, qui intéresse d’abord et avant tout par ses qualités de lisibilité.
Certes, L’Or du Rhin ne marque jamais l’oreille, même s’il avance sans trébucher grâce au professionnalisme des musiciens de la cité hanséatique. La direction de l’Australienne conserve une grande sobriété dans La Walkyrie, avec un orchestre impeccable mais d’une sonorité trop neutre, davantage à dire vrai dans le premier acte (où l’on n’échappe pas à quelques tunnels d’ennui) que dans les deux suivants – accédant même à quelques sommets de lyrisme à la fin. Siegfried offre davantage de moments intéressants (à commencer par une entame plus noire qu’à l’accoutumée) mais n’est pas exempt de critiques – comme au début du troisième acte où, à force de vouloir donner de la clarté, Simone Young retire tout dynamisme à l’un des passages les plus grisants de la Tétralogie. Témoignant d’un approfondissement de la partition (deux ans et demi séparent l’enregistrement de L’Or du Rhin de celui du Crépuscule des dieux), la baguette se révèle particulièrement investie et alerte dans la dernière journée. Osant quelques tempos d’enfer (les appels de Hagen), Simone Young fait même souffler un vent de fraîcheur sur un admirable premier acte – débordant de souplesse et d’enthousiasme (malheureusement émaillé de toux intempestives dans le public). Le résultat demeure marqué par la recherche de la finesse au détriment de la puissance (avec un deuxième acte trop léché, une «Marche funèbre» trop lisse...), qui enferme cette approche orchestrale dans la catégorie des lectures complémentaires sinon accessoires.
La plupart des seconds rôles défilent sans marquer. Transparents les Donner, Froh et Fasolt de Jan Buchwald, Ladislav Elgr et Tigran Martirossian. Ordinaires les Fafner et Mime d’Alexander Tsymbalyuk et Jürgen Sacher dans le prologue. Pâlot le Hunding presque transparent de Mikhail Petrenko. Court en graves le Fafner de Diogenes Randes dans Siegfried. Timide et trop gazouillant l’Oiseau de Hayoung Lee. Si le Gunther de Robert Bork fait le job dans Le Crépuscule des dieux, la Gutrune d’Anna Gabler – petit pinson dans sa cage du palais des Gibichungen – manque cruellement d’épaisseur. Quant au Hagen de l’expérimenté John Tomlinson, il respire la veulerie et le poison mais se heurte à une fatigue vocale très prononcée. A peine convenable dans Siegfried, l’Erda de Deborah Humble sauve les meubles dans L’Or du Rhin.
On retient toutefois, dans L’Or du Rhin, la Fricka de Katja Pieweck – voix fine et perçante (limite nasillarde mais tellement plus fraîche que la Freia d’Hellen Kwon), étonnante de véhémence et de passion (à l’inverse de Jeanne Piland, qui s’époumone sur la Fricka de La Walkyrie et s’étouffe quelque peu dans la nasalité d’une voix sans atours). Impossible également de rester indifférent à la Waltraute spectaculaire de Petra Lang, qui surjoue la tragédie – stupéfiante d’éloquence mais s’essoufflant dans des phrasés étirés à l’extrême. Dans un style assez proche, la justesse n’est pas la qualité première des Nornes, qui compensent par un expressionnisme saisissant.
A l’exact inverse de L’Or du Rhin (où elles apparaissaient impétueuses voire désordonnées), les Filles du Rhin forment un ensemble timide mais homogène dans Le Crépuscule des dieux. Peu idiomatique (par sa prononciation empruntée), le Siegmund de Stuart Skelton revêt lui aussi un format vocal très homogène mais encore léger pour ce rôle qu’il fréquente assidûment depuis et qu’il voile ici d’une neutralité difficilement justifiable. La Sieglinde d’Yvonne Naef exprime, elle (et dans un personnage où on ne l’attend pas forcément), davantage d’émotions et d’humanité. Surtout, le Mime de Peter Galliard – illuminant Siegfried – a ceci de passionnant qu’il revêt une humanité bien plus prononcée que d’habitude, une souffrance plus touchante dans la voix, une solitude, une désespérance aussi.
Grand spécialiste du rôle du roi des dieux, impeccable phraseur, Falk Struckmann déroule son Wotan avec l’assurance des wagnériens émérites, sans la sûreté vocale des débuts mais avec de beaux restes – une grande émotion, même, pour les «Adieux» de La Walkyrie – et, surtout, la puissance de la conviction. Sans éblouir, il s’impose dans L’Or du Rhin sur le Loge (éloquent malgré une voix qui manque d’héroïsme) de Peter Galliard comme sur l’Alberich (sobre mais timoré) de Wolfgang Koch, bien en voix jusqu’à Siegfried (... à l’inverse de son intervention anonyme dans Le Crépuscule). Le Wanderer de Struckmann semble, en revanche, presque inhibé (au troisième acte de Siegfried notamment).
Comme dans le Ring dirigé par Bertrand de Billy en 2003 et 2004 (récemment réédité en DVD), Deborah Polaski endosse l’armure de Brünnhilde. On sent toutefois que les années ont passé, non pas tant parce que Catherine Foster (fière et crédible) la remplace pour le dernier acte de Siegfried, mais en raison d’une voix souvent débraillée – bien à la peine dans le troisième acte de La Walkyrie comme dans tout Le Crépuscule des dieux (à la limite du supportable par moments). Par son expérience du rôle, Deborah Polaski réussit cependant à préserver le minimum, réussissant même une «Annonce de la mort» d’une grande solennité dans La Walkyrie.
Ce n’est malheureusement pas le cas du Siegfried de Christian Franz, pourtant parti sur les chapeaux de roue au début de la deuxième journée et qui fatigue vite. S’il termine l’opéra qui porte son prénom à bout de forces, il y parvient à globalement maintenir une ligne de chant convenable (avant que les choses ne se gâtent à la toute fin du troisième acte). Dans Le Crépuscule des dieux en revanche, son personnage apparaît sans charmes... mais pas sans laideurs vocales, osant le beuglement pour éviter de chanter cette partition qui le dépasse totalement dès le deuxième acte. Un gros point noir dans cette Tétralogie.
Gilles d’Heyres
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