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12/22/2012 Le surnaturel sur la scène lyrique - du merveilleux baroque au fantastique romantique
Ouvrage coordonné par Agnès Terrier et Alexandre Dratwicki, avec les contributions d’Olivier Bara, Jean-Christophe Branger, David Chaillou, Francis Claudon, Gérard Condé, Alexandre Dratwicki, Catherine Kintzler, Hervé Lacombe, Judith Le Blanc, Stéphane Lelièvre, Marie-Pauline Martin, Laura Naudeix, Michela Niccolai, Benjamin Pintiaux, Bertrand Porot, Emmanuel Reibel, Nathalie Rizzoni, Corinne Schneider, Pierre Sérié et Jean-Claude Yon. Préface de Jérôme Deschamps.
Symétrie, Collection «Les Colloques de l’Opéra Comique», avec la collaboration du Palazzetto Bru Zane – 360 pages, 81,60 €
Le titre et le sous-titre de ce pénétrant ouvrage représentent un condensé très exact de son contenu. «Surnaturel» est le terme retenu puisqu’il s’applique aussi bien aux mondes cohérents et parallèles du merveilleux baroque ou du merveilleux religieux ou féerique, qu’au désordre arbitraire du fantastique dont les émanations mettent à mal un ordre établi, sociétal ou personnel, l’enchantement faisant place à l’effroi. Mythologie, contes, légendes, quêtes métaphysiques ou manifestations d’imaginations débridées, le surnaturel a toute sa place sur la scène lyrique française malgré l’esprit peu aisément assimilable de ses origines souvent étrangères, (le merveilleux italien, le fantastique allemand, le gothique britannique...), et malgré la résistance de l’esprit cartésien français, celui du siècle des Lumières évoluant et actuel, et de la dérision venant du théâtre de foire et de la place publique et culminant en caricatures ou critiques, spirituelles mais acerbes. La problématique réunit le pourquoi et le comment de la présence du surnaturel à l’opéra en France, le développement des esthétiques visuelles et des moyens techniques qui l’accompagnent et l’importance absolue de son influence sur l’orchestre, des débuts opératiques à la limite du descriptif (ruissellements, orages, éruptions...) jusqu’aux immenses possibilités de l’orchestre moderne. Au cœur de cette évolution fut la révolution de l’instrumentation et de l’orchestration portée entre autres par un Hector Berlioz, âme romantique suprême, qui, à l’exclusion de la voix, imposa la notion du fantastique au seul orchestre symphonique.
Proposés par Jérôme Deschamps, qui reconnaît la valeur de la recherche musicologique autour de la programmation de la salle Favart, et soutenus par le Palazzetto Bru Zane, spécialiste et promoteur de la musique française, deux colloques furent organisés à l’Opéra Comique en 2009 – autant d’initiatives à l’image des choix audacieux de son directeur autorisés par son intégration au cercle des théâtres nationaux en 2005, «geste fort en faveur de l’art lyrique français». L’axe du premier était le fantastique dans l’opéra romantique, celui du second le merveilleux dans l’opéra baroque. En rassemblant les différentes contributions en un seul ouvrage, Agnès Terrier et Alexandre Dratwicki, confrontés à l’interpénétration des différents aspects du merveilleux et du fantastique – le mythique, le maçonnique, la magie, l’onirique, l’enchantement, la féerie, l’étrange, l’extraordinaire, l’obscur, le cauchemar, l’horreur, le surréel et le visionnaire, subtilement nuancés par la présence ou l’absence médusée de la connivence du public – ont abandonné la chronologie stricte pour organiser leur ouvrage en quatre parties à la thématique plus transversale: «Aux Sources du surnaturel», «Principes indentitaires», «Modalités: le surnaturel mis en scène» et «Inverses et corollaires», cette dernière partie balayant certaines idées reçues. Les exemples d’œuvres musicales, littéraires ou artistiques qui illustrent le propos respectent davantage un ordre chronologique par l’importance qui est accordée à chacun à un point donné mais la présence des grands compositeurs de la scène lyrique française est permanente, traversant les articles comme les siècles de Lully à Massenet ou Gustave Charpentier, via Rameau, Gounod, Meyerbeer, Berlioz et Offenbach. Parmi les éléments fondateurs d’un certain transfert culturel au XIXe siècle, aboutissant au «vacillement des signes et [à la] déchirure des sens» du fantastique selon Olivier Bara, de l’étranger s’imposent les œuvres de Dante, Weber (Der Freischütz), Hoffmann, Ossian, Friedrich et Burne-Jones et, en France, celles de Fragonard, Ciceri et Charles Nodier.
La portée de l’ouvrage est vaste, son assise solide et son érudition à toute épreuve. Denses, touffus, peut-être à l’occasion, les écrits méticuleux des spécialistes qui y ont contribué, les références qu’ils fournissent et les analyses qu’ils proposent ne peuvent que satisfaire. Un cahier d’illustrations, des notes fournies en bas de page, un index des noms propres et un index des œuvres étayent leur propos en fournissant le soutien nécessaire au lecteur mais seule la lecture permet de prendre réellement conscience de l’envergure de cet ensemble exigeant qui s’adresse essentiellement in fine, sans doute, à un public averti.
Christine Labroche
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