Back
12/15/2012 Ludwig van Beethoven : Les seize Quatuors – Grande fugue, opus 133
Quatuor Talich: Petr Messiereur, Jan Kvapil (violon), Jan Talich (alto), Ezven Rattay (violoncelle)
Enregistré à Paris (1977-1981) – 501’52
Coffret de sept disques La Dolce Volta LDV 121.7 (distribué par Harmonia mundi)
Ludwig van Beethoven : Quatuors n° 7, opus 59 n° 1 [1], n° 8, opus 59 n° 2 [2], et n° 9, opus 59 n° 3 [3] – Quintette à cordes, opus 29 [4]
Quatuor Kuijken: Veronica Kuijken, Sigiswald Kuijken (violon), Sara Kuijken (alto), Wieland Kuijken (violoncelle) – Marleen Thiers (alto) [4]
Enregistré à Mol (16-20 septembre 2006 [3, 4] et 11-14 mars 2009 [1, 2]) – 137’12
Album de deux SACD Challenge Classics CC72362 (distribué par Intégral)
Ludwig van Beethoven : Quatuors n° 1, opus 18 n° 1, n° 2, opus 18 n° 2, n° 4, opus 18 n° 4, n° 6, opus 18 n° 6, n° 9, opus 59 n° 3, n° 11 «Quartetto serioso», opus 95, n° 12, opus 127, et n° 14, opus 131
Quatuor Belcea: Corina Belcea, Axel Schacher (violon), Krzysztof Chorzelski (alto), Antoine Lederlin (violoncelle)
Enregistré en public à Aldeburgh (3 et 4 décembre 2011, 23 et 25 mars et 18 et 19 mai 2012) – 233’18
Coffret de quatre disques Zig-Zag Territoires ZZT315 (distribué par Outhere)
Une réédition et deux nouveautés viennent proposer de revisiter un corpus inépuisable, celui des Quatuors de Beethoven: les dix-sept (y compris la Grande fugue) d’une intégrale achevée voici plus de trente ans, les trois de l’Opus 59 pour ce qui apparaît en revanche comme une version isolée et les huit de ce qui est présenté comme le premier des deux volumes d’une nouvelle intégrale.
Le Quatuor Talich s’est récemment illustré chez La dolce volta dans Debussy et Ravel. Ce n’est cependant pas de la jeune génération, emmenée depuis 1997 par Jan Talich, qu’il s’agit ici, mais de celle de son père, l’altiste Jan Talich, fondateur en 1964 de la formation tchèque et lui-même neveu de l’immense Václav Talich. Publiée originellement chez Calliope, l’intégrale des premiers Talich est rééditée dans un coffret de sept disques sous pochettes cartonnées multicolores et avec une notice de Patrick Szersnovicz et Stéphane Friederich (en français et en anglais). Assez peu servie par la prise de son, nette mais mate et au spectre dynamique étroit, cette somme est celle des certitudes paisibles, d’un Beethoven ni visionnaire, ni vindicatif, plus humain plus que démiurge. Intime et posée, l’expression peut même en devenir trop prudente, cette tranquillité devenant même rédhibitoire dans les menuets, voire dans certains scherzos (Huitième). Tout emballement n’est pas exclu – codas du Quatrième ou du Neuvième – mais sans le moindre effet gratuit, tant le Quatuor Talich, d’une cohésion sans faille autour de son premier violon, Petr Messiereur (à l’intonation néanmoins parfois contestable), maîtrise le propos et maintient, de l’Opus 18 à l’Opus 135, une cohérence d’une rare fermeté. Car voilà assurément un travail exigeant, qui, peut-être par atavisme, laisse souvent affleurer à la surface des sentiments plus tendres et qui trouve à s’épanouir de manière particulièrement impressionnante dans les derniers Quatuors.
Affaire de famille, aussi, chez les Kuijken, qui associent depuis plus de 25 ans deux générations autour de Sigiswald (né en 1944) au second violon: ses filles Veronica (née en 1978), par ailleurs pianiste, et Sara (née en 1968), respectivement au premier violon et à l’alto, et son frère Wieland (né en 1938) au violoncelle. Les Kuijken surprennent doublement: ils renoncent non seulement aux instruments «anciens» qui ont fait leur réputation mais aussi à la démarche d’«authenticité» qu’ils ont toujours défendue. Autrement dit, ainsi que l’explique Sigiswald en exergue à la notice (en anglais, allemand et français), «un instrument n’est finalement qu’un instrument» et «nous nous sommes avant tout laissés entraîner et guider par la force considérable qui émane de ces œuvres». Dès lors, voilà une interprétation qui témoigne certes du bonheur de faire de la musique de chambre comme chez soi, incertitudes instrumentales comprises, mais qui ne peut que décevoir de la part de musiciens d’ordinaire si créatifs, d’autant qu’ils sont confrontés ici à un répertoire à leur mesure. L’entreprise familiale va même jusqu’au Quintette à cordes, qui complète ce double album, puisque la seconde altiste, Marleen Thiers, n’est autre que l’épouse de Sigiswald. Nouvelle surprise: les Kuijken apportent toute la motivation qu’exige cette œuvre fort peu fréquentée mais assez bavarde et anecdotique dans le catalogue beethovénien, et parviennent ainsi à la rendre intéressante.
C’est dans une nouvelle intégrale, éclairée par une notice (en français, anglais et allemand) de Harvey Sachs, que se lance le Quatuor Belcea: longtemps fidèle à EMI, comme pour son double album Bartók, il retrouve ici l’éditeur de ses débuts, suite à son premier prix au concours de Bordeaux en 1999 – Zig-Zag Territoires accueille en effet systématiquement le vainqueur de la compétition pour son premier disque. Ce retour aux sources coïncide avec l’arrivée du Franco-Suisse Axel Schacher, qui a remplacé Laura Samuel au second violon depuis juin 2011. Enregistrés en public à Aldeburgh, les Belcea frappent par leur virtuosité, leur élan et leur sens dramatique. Rehaussé par une prise aérée, favorisant une présence très naturelle des instruments et mettant en valeur l’attention portée aux sonorités, leur plaisir de jouer est véritablement communicatif, notamment dans l’Opus 18, plein de vie, d’invention et de dynamisme: voilà donc un Beethoven riche en contrastes, humoristique et pêchu, intense et combatif – quelle empoignade au début du Onzième «Quartetto serioso»! C’est en même temps la limite d’une telle approche: si elle ne suscite jamais l’ennui, elle s’expose au risque de donner une vision une peu réductrice de ces partitions.
Le site du Quatuor Belcea
Simon Corley
|