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11/17/2012 Claude Debussy : Préludes, livres I et II – Prélude à l’après-midi d’un faune (version pour deux pianos) (#) – Nocturnes (transcription Maurice Ravel) (#) Alexei Lubimov, Alexei Zuev (#) (piano)
Enregistré en la Sint-Pieterskerk, Leut (avril 2011) – 111’
Double album ECM New Series 476 4735 (distribué par Universal) – Notice de présentation en anglais et allemand
Claude Debussy (1862-1918) est à la fête pour son cent cinquantième anniversaire, avec ce nouvel enregistrement des vingt-quatre Préludes. Peu de temps après l’exceptionnel Philippe Bianconi sur Yamaha CFX (chez La Dolce Volta) et le givrant Pierre-Laurent Aimard sur Steinway (chez Deutsche Grammophon), voici Alexei Lubimov (né en 1944) sur Bechstein (chez ECM). Comme s’en explique le pianiste russe, son interprétation se fonde sur deux instruments différents: un Bechstein («clear, sharply-etched, translucent and light, even in complex textures») pour le Premier Livre et un Steinway («divinely soft in pianissimo, resonant and marvellously suitable for unexpected colours») pour le Second.
Comme on l’était du Bechstein de 1898 utilisé par Philippe Cassard dans son intégrale (Decca), on ressort subjugué par la magie sonore du Bechstein de 1925 choisi par Alexei Lubimov: épaisseur du son, velours des timbres et longueur de la résonnance se conjuguent pour magnifier «Voiles» (hypnotisantes) et «Danseuses de Delphes» (profondes malgré leur allant). La découpe rythmique est même grisante – dans «Le vent dans la plaine», «La sérénade interrompue» ou «Minstrels». Les choix de tempo font un peu d’ombre à des pièces comme «La fille aux cheveux de lin» lorsqu’ils s’emballent à l’envi, mais créent des contrastes stupéfiants lorsqu’ils s’immobilisent (la tristesse méditative des «Pas sur la neige»). L’angoisse provoquée par la noirceur («Ce qu’a vu le vent d’ouest») et la violence du jeu étouffe quelque peu «La Cathédrale engloutie» et brutalise «Les Collines d’Anacapri». Mais si la modernité assumée (dans «Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir», par exemple) peut tourner au malaise, ce Premier Livre (1910) vaut assurément le détour.
Le Steinway de 1913 retenu pour le Second Livre (1912) sonne, en revanche, de façon plus ordinaire, paraissant mettre comme en relief les travers de l’interprétation: «General Lavine» semble brutal et sec, «La Terrasse des audiences du clair de lune» neutre de ton, «Ondine» sans magie... Même la découpe rythmique, qui fascinait dans les premiers Préludes, est ici bien froide («Les Tierces alternées») et bien carabinée («Feux d’artifice»). Plus subtile est, en revanche, la fusion du Steinway (joué par Alexei Lubimov) et du Bechstein (utilisé par son jeune compère Alexei Zuev) dans la transcription ravélienne des trois Nocturnes (1909) de Debussy. Les dynamiques de «Fêtes» s’enivrent ainsi de la variété des sonorités qui s’échappent des deux instruments… même si l’on aimerait parfois plus de netteté dans les ensembles. Quatre mains sur deux claviers ne pourront toutefois jamais rivaliser avec le génie instrumental de l’orchestration debussyste... ni même (ainsi qu’on s’en faisait la remarque au sujet de la récente version de Philippe Cassard et François Chaplin) avec la flûte, le hautbois et les cordes dans le Prélude à l’après-midi d’un faune (1894), que la version pour deux pianos ne fait que suggérer.
Gilles d’Heyres
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