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08/31/2012
Hector Berlioz : Les Soirées de l’orchestre

Symétrie et Palazzetto Bru Zane, 2012, publié avec le soutien du Festival Berlioz et du Musée Hector-Berlioz – 449 pages, 13,40 €





Il y a tout juste cent soixante ans, Hector Berlioz publiait une sélection d’écrits réunis sous le titre Les Soirées de l’orchestre. Ils mettent aussitôt à l’esprit le Décaméron de Boccace et Les Contes de Cantorbéry de Chaucer dans la mesure où la mise en scène en un lieu commun de personnages différents – les conteurs – permet un recueil de récits et de réflexions très divers et fournit à Berlioz l’occasion de montrer les multiples facettes de son talent littéraire tout en offrant une tribune au critique, au musicien et au compositeur qu’il était. La «scène», c’est la fosse d’orchestre d’un théâtre lyrique européen hors des frontières de la France, peut-être en Allemagne, mais surtout anonyme. Les conteurs sont les musiciens de l’orchestre rejoints provisoirement par Berlioz lui-même. L’objectif des contes, c’est de distraire les musiciens qui s’ennuient lorsque l’«on joue un opéra (français, allemand, italien...) moderne très-plat», antienne qui lance dix-sept des vingt-cinq «soirées de l’orchestre», un chapelet d’«etc.» en clin d’œil remplaçant petit à petit un ou plusieurs des termes. Le concert de la seizième soirée, «mêlé de médiocre et de mauvaise musique» n’a guère plus de succès mais les opéras de Beethoven, Gluck, Mozart, Meyerbeer, Rossini, Spontini et Weber captent pleinement l’attention de l’orchestre et ces soirs-là restent sans récit. Ainsi Berlioz affirme-t-il d’emblée ses exigences et ses souffrances musicales, les confirmant lors des deux «Epilogues» – deux nouvelles suites de lettres, récits, critiques, portraits et monographies de son unique voix, divertissements destinés à d’autres «soirées de l’orchestre» en sa prétendue absence.


Les fils de la chaîne ainsi disposés, Berlioz crée une trame aux riches couleurs et aux armures complexes. Les contes, historiettes, critiques et commentaires peuvent surgir d’un quotidien drolatique, jaillir d’une réalité qui chagrine ou qui réjouit, ou encore prendre l’allure fantasque ou extraordinaire de contes tels ceux de Hoffmann ou de Poe, le style toujours en relation avec le caractère de l’instrumentiste qui est censé détenir la parole. Toutefois, au fur et à mesure du recueil, la voix réelle de Berlioz et, quoique plus brièvement, celle du personnage qui est peut-être son alter ego, Corsino, premier violon et compositeur, se font de plus en plus clairement entendre. L’appréciation du lecteur trouve alors ses trois dimensions: sous la plume de Berlioz, le monde musical de l’époque vit, ses musiciens, son esprit, ses lumières et ses travers recréés, Berlioz lui-même transparaît dans toute sa force et sa fragilité et à ces deux aspects s’ajoute un troisième d’ordre esthétique et littéraire. D’une fluidité, d’une élégance et d’une modernité remarquables, la prose percutante et spirituelle de Berlioz s’investit d’une fine ironie teintée à l’occasion de causticité mordante ou d’amertume. Ses charges intrépides règlent quelques comptes ou mettent en accusation un environnement musical qui lui est parfois hostile mais quand il prend la défense de compositeurs tels Spontini ou Méhul, sa sensibilité est à son comble. A chaque page, sa présence reste vive.


Les choix éditoriaux, typographiques et de présentation se sont effectués avec le grand soin maintenant attendu (sans déception) de la part de Symétrie, qui propose en outre une préface instructive de Bruno Messina, professeur au CNSMD de Lyon et directeur du festival Berlioz à La Côte-Saint-André. Cette nouvelle réédition brochée, fondée sur la première édition de 1852, rejoint celles des Mémoires et des Grotesques de la musique du même éditeur pour la plus grande satisfaction des mélomanes, des gens de lettres et des historiens qui s’intéressent à l’époque et à l’homme.


Christine Labroche

 

 

 

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