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10/01/1999
Le verbe et la voix. La manifestation vocale dans le culte en France, Monique Brulin
Paris, Beauchesne

La véritable découverte - au sens stylistique et philologique - de la musique baroque a remis au goût du jour tout un ensemble de partitions dont la plupart correspondent à des commandes et s’inscrivent dans un cadre cérémoniel. Encore restait-il à étudier à nouveaux frais les rapports qu’entretenaient ces musiques avec leur " milieu " d’émergence. C’est ce que propose Monique Brulin à travers une recherche pertinente et richement documentée : les nombreuses conditions extérieures qui sont constitutives de la construction musicale sont ici étudiées dans le culte catholique français de la fin du XVIIe siècle. En disséquant ce lieu complexe, l’auteur veut délimiter les conditions d’une " éthologie historique et culturelle de la voix ". Il s’agit tout d’abord de cerner les éléments musicaux de la prière liturgique, à travers son accentuation, son rythme, son intonation, ses inflexions, hérités d’une très ancienne tradition où l’on trouve St Augustin, Isidore de Séville, Nicetas de Remesiana entre autres. La vocalité a une telle importance, que l’on rappelle, au XVIIe siècle, l’idée de Raban Maur selon laquelle celui qui ne connaît pas l’art de bien chanter ne peut exercer de fonction ecclésiastique. De fait, l’articulation entre l’usage de la voix, la théologie et l’ecclésiologie est centrale. Le chant est un des éléments les plus importants du ministère de l’Eglise. Pour interroger les origines esthétiques qui ont modelé cette expression, Monique Brulin s’intéresse d’abord à la place de la parole dans le culte. La voix rend sensible les images et excite l’imagination et l’imitation, mais pas seulement. A travers l’intelligence de l’action elle invite à la participation. Le religieux se pénètre de ce qu’il psalmodie, la voix délivre une expérience et combine deux effets : l’effet de connaissance et l’effet impressif. Dès lors, l’actio pronuntiandi est centrale dans la prière, l’oraison, la pratique sacramentelle. On notera l’importance du modèle rhétorique qui se transpose des comportements, de la catéchèse et de la prédication à la composition musicale. Il est construit à partir de la concordance entre Cicéron et Augustin. La civilité religieuse, à travers le corps éloquent, se retrouve dans la voix. La lexicographie évoque les soupirs, gémissements, jubilations, exclamations, autant de figures importantes de la langue sacrée que l’on retrouvera dans les Dumont, Charpentier, Lully, Brossard ou Campra. Un grammaire des inflexions, selon le lieu du discours, selon les passions exprimées, permet en même temps d’instruire (docere), de plaire (delectare), et de toucher (flectere). Le chant lui-même renvoi à une posture, à un comportement. Ainsi, " l’homme chantant peut devenir la figure de l’homme spirituel ". C’est comme si la voix, flèche lancée vers la Grâce, échappait, dans ce jeu entre intérieur et extérieur, à celui qui la produit. L’aspect " transitionnel " de la voix prend toute son importance. " Le chant (…) compose une autre scène du langage ; il est de l’ordre de la métaphore : il opère une translation ". Cette voix non identitaire induit un véritable procès métaphorique et déploie toute sa force dans ce montage généalogique du culte. A travers celui qui prie, ce sont d’autres voix qui renaissent. Déjà, " le prêtre agissant in personna Christi chante l’incarnation de la langue ". L’idée augustinienne selon laquelle la voix est le mouvement même, est soulignée avec insistance à l’âge classique. La voix est comme un pli de l’intérieur et de l’extérieur, de l’ascension de l’homme et de la descente du Verbe. Même si certains chanteurs d’opéra se produisent lors du culte, les ecclésiastiques se défendent d’instituer le théâtre sur l’autel, on voit qu’il y a bien une scène et Monique Brulin observe " une grande connivence entre le lyrisme chrétien et l’émotion baroque ". De fait, les psaumes, hymnes, antiennes et cantiques impliquent tout un système de vocalité appuyée sur une théologalité de la voix. A travers une analyse précise de la production musicale et théorique de Nivers, l’auteur montre les outils que peut apporter un tel angle de vu. Pour l’étude de la voix dans la culture classique, ce livre constitue un indispensable complément au volume de Philippe-Joseph Salazar sur Le culte de la voix au XVIIe siècle. Formes esthétiques de la parole à l’âge de l’imprimé (Honoré Champion, 1995).


Frédéric Gabriel

 

 

 

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