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09/01/1998
Philippe Manoury: La note et le son - Ecrits et entretiens 1981-1998
L'Harmattan, septembre 1998, 422 pages

Ce livre du compositeur Philippe Manoury, collection d'entretiens et d'articles pour la plupart parus antérieurement, s'apparente à un bilan. Bilan établi par un compositeur consacré par une commande de l'Opéra National de Paris, bilan d'années de recherches musicales, bilan de la création musicale actuelle, réflexions d'un compositeur sur lui-même et sur son temps.

Philippe Manoury évoque donc questions compositionnelles et questions esthétiques, faisant alterner exemples concrets et considérations générales, thèses à portée philosophique et anecdotes, entre lourdeur de style et expressions très justes dans leur concision. L'opéra tient, bien entendu, la part la plus importante des réflexions de Manoury, de son opéra inachevé sur Orson Welles à 60ème Parallèle, qui a bénéficié des enseignements de cette première tentative, puis à un questionnement plus historique, terreau d'une création future. L'auteur revient régulièrement sur Wagner, Strauss ou encore Berg pour les questions essentielles, également sur Stockhausen, Boulez ou sur ses propres oeuvres pour des questions plus locales. L'opéra, art du rassemblement, de la confrontation à l'autre, du bilan ?

Symptomatique est chez l'auteur le recours à la phrase qui boucle, première phrase revenant identique à la fin d'un texte ou d'un paragraphe - l'effet littéraire en est très forcé. Manoury, qui fait le point, paraît invariablement retrouver en fin de parcours ses présupposés de départ. Nombreux sont ses développements qui ne font que corroborer un point de départ par avance acquis. C'est le cas notamment dans les "Ecrits théoriques" qui ouvrent ce livre.

A la lecture de certains des articles de Manoury naît une étrange impression de déjà lu : çà et là le spectre des écrits de Boulez hante ces lignes. C'est le cas sur Wagner, qui ne connaît sous la plume de Manoury, bien que plus emportée que celle de Boulez, aucun bouleversement, ou, à moindre échelle, sur Strauss (l'auteur partage d'ailleurs avec Boulez une nette prédilection pour La Femme sans ombre). Bien que l'auteur prenne ses distances avec le sérialisme, il ne se départit pas de l'histoire musicale telle que lue par Boulez.

A côté de ces écrits théoriques, l'ouvrage nous propose des réflexions au plus proche des oeuvres musicales, passionnantes, sur les ramifications thématiques de L'Anneau du Nibelung ou sur la structure dramatique de La Femme sans ombre, ou encore sur les questions rencontrées lors de l'écriture de son propre opéra inachevé. L'auteur est clair et pédagogue, soulevant les questions et difficultés posées par les oeuvres dans leurs particularités, mettant en valeur les solutions adoptées.

Maître de la sphère musicale, l'auteur déçoit parfois lorsqu'il traite du livret et de ses relations avec la musique : personnages croqués grossièrement, recherche d'une symbolique qui tend à la sémantique. Les Leitmotive sont traités sur la base de leurs noms (Wagner s'est lui-même défendu d'une telle nomenclature) qui paraissent conférer à ces figures musicales une inaliénable signification, tendant à une normalisation du discours musical. Il est heureux que les conclusions musicales de Manoury l'amènent à envisager la dissolution de l'intégrité musicale de ces motifs, dont les accidents de parcours musical apparaissent en effet plus riches d'enseignement que leur caractère de permanence. L'auteur affirme par ailleurs, page 385, ne pas croire à la possibilité de l'oeuvre d'art totale. Ouf !

Au long de ces textes semés de Leitmotive, préoccupations que l'auteur finit par rassembler page 219 ("la perception, la mémoire, le rapport du macrocosme au microcosme, de la continuité à la discontinuité..."), c'est l'épineuse et chère à notre siècle question de la liberté créatrice que l'auteur pose, en une opposition riche de conséquences : celle de la potentialité et de la norme. Ce qui jadis était norme est simple pouvoir, ce qui implique pour la composition un retour du désir (le terme est souvent invoqué par Manoury), qui vient ouvrir la problématique de la volonté sur laquelle butait cette question. Manoury envisage le jeu de contraintes auquel s'affronte la composition, y donnant une place essentielle au perçu. Il circonscrit ainsi la liberté nouvelle dont jouit aujourd'hui le compositeur face à un matériau qui n'édicte plus les normes de son traitement, matériau qui n'est que potentialité.

Le livre de Manoury est riche de questions et de réponses, jusque dans ses difficultés : l'auteur se jette dans des questions qui, essentielles à la philosophie, sont pour le musicien des impasses. Les questions de la perception ou de la mémoire que se partagent philosophie et sciences humaines ne sont pour le musicien qu'un point de fuite. La musique, comme toute activité artistique, s'écrit, se joue et s'écoute peut-être précisément à partir de ce manque de solution qu'elles impliquent, de cette lacune dans la cognition. Les louvoiements d'un Manoury philosophe autour de la question de la perception sont la possibilité d'un Manoury compositeur.

On regrettera d'autant plus un travail d'édition pitoyable : le nombre de fautes de frappe, d'orthographe et de grammaire, invraisemblable, entrave fréquemment la compréhension du texte.


Gaëlle Plasseraud

 

 

 

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