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03/07/2010
François Meïmoun : Entretien avec Pierre Boulez - La naissance d’un compositeur
Editions Aedam Musicae, Collection Musiques du XXe siècle – 83 pages, 9,90 €
A l’abondance d’écrits sur Pierre Boulez et sur son œuvre manquait un éclairage plus directement concentré sur les années formatrices, principalement les années 1940, et sur la naissance des premières œuvres, un éclairage qui mettrait en relief et en juste perspective les choix personnels, les rencontres et les influences profondes qui, tout en s’estompant, devaient mener à la solidité de l’esthétique musicale, de la pensée et de l’étoffe même de ce musicien hors pair. Dans un souci de précision et d’exactitude, un tel éclairage ne pouvait se concevoir sans l’intervention directe de Pierre Boulez lui-même. Le compositeur accorda l’entretien nécessaire à François Meïmoun, chercheur, compositeur et musicologue, qui le sollicita dans le cadre de ses recherches (sous la direction d’Alain Poirier) actuellement portées sur la construction du langage musical de Pierre Boulez.
Le résultat est ce bref ouvrage dont l’intérêt, la valeur et la richesse sont en importance inversement proportionnelle à la minceur du volume.
Les propos recueillis, fluides et directs, s’illustrent comme à l’accoutumé par leur concision, leur densité, leur clarté et leur précision. François Meïmoun pose les bonnes questions. Entre Occupation, Résistance et collaboration, les milieux culturels, pendant les temps incertains et violents de la guerre, étaient troubles et par la suite problématiques, mais, succinctes ou développées, les réponses aux questions ciblées de François Meïmoun dessinent clairement les conditions hasardeuses des temps de Vichy et d’après-Vichy, les différents états d’esprit qui y régnaient et les personnalités potentiellement d’influence qui en ressortaient. S’y révèlent la logique et les raisons profondes des goûts naissants et des choix clairs d’un Pierre Boulez déjà déterminé, et c’est une véritable ouverture sur un parcours d’exception.
L’entretien se divise en quatre parties et mène de la prime jeunesse du compositeur, par la classe de Messiaen et l’aventure de la direction musicale au cœur de la Compagnie de Jean-Louis Barrault, à la promesse des années 1950. Les mondes de la musique, du théâtre, de la littérature, de la philosophie et de l’art s’y mêlent, et y prennent vie, comme elles étaient au moment où Boulez les rencontrait, des personnalités vibrantes, à l’influence retenue ou rejetée, tels Messiaen, Honegger, Jolivet ou Leibowitz, Henri Martin, Char, Artaud ou Michaux, Schloezer ou Souvtchinsky, Foucault, Sartre ou Gide. Par ailleurs, les propos aident à mieux cerner les influences formelles de toujours en en expliquant l’impact à partir de la découverte: la musique de Debussy et de Webern, certaines partitions de Schönberg, la musique extra-européenne, la poésie de Mallarmé, les écrits de Joyce. Ils démontrent clairement comment une expérience théâtrale (la mise en scène et la direction d’acteurs de Jean-Louis Barrault), dramaturgique (les extraordinaires lectures publiques d’Antonin Artaud) ou artistique (la structure et le rythme des œuvres de Klee) peut développer et affiner un sens déjà aigu de la composition et de la direction musicales. En un mot, c’est une fructueuse évocation de terrain fertile.
Réduites à l’essentiel, les interventions personnelles de l’auteur prennent trois formes. D’un style toujours limpide, son avant-propos exprime ses objectifs et dessine l’essence de l’entretien, les notes fournies en bas de page donnent les références nécessaires et développent les précisions utiles, et de courts textes de transition interrompent l’entretien toujours à bon escient pour en préparer la suite. L’ouvrage n’en est qu’encore plus clair. Il est suivi, comme il se doit, d’une bibliographie sélective et d’un index des noms propres.
En plus de ses autres qualités, l’entretien permet de saisir au vif le contexte historique et l’esprit vital de chaque époque en jeu et ainsi de mieux appréhender une réalité que l’on ne devrait jamais évaluer de loin. La lecture de cet ouvrage est un enrichissement et un plaisir et on ne peut trop le recommander à ceux qui s’intéressent à Pierre Boulez, bien sûr, mais aussi tout simplement à ceux qui s’intéressent à la musique, aux arts et à la littérature de notre temps.
La page de François Meïmoun sur le site Musiciens.fr
Christine Labroche
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