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Le futur du disque classique
03/31/2006


Il y a fort à parier que malgré son talent, le dernier enregistrement des trois dernières symphonies de Mozart par Lorin Maazel et l’Orchestre Philharmonique de New York n’intéressera que les aficionados du chef américain. Les cordes manquent singulièrement de chaleur, les équilibres privilégient exagérément timbales et cuivres, enfin les phrasés sont bien lourds (écoutez le ralenti injustifiable des mesures 90 à 95 de l’Andante con moto de la Trente-neuvième Symphonie). Le lecteur averti de ConcertoNet qui veut entendre ces œuvres dans une optique « classique », c’est-à-dire non baroque, trouvera plus d’élégance chez Herbert von Karajan, de charme chez Bruno Walter, de grandeur chez Otto Klemperer, d’âme chez Carlo-Maria Giulini et d’équilibre chez Karl Böhm.


Ceci étant dit, cet enregistrement est une première à marquer d’une pierre blanche: il s’agit en effet de la première d’une série annoncée de prises directes de concert disponible uniquement en téléchargement sous iTunes.


Les implications de ce changement pour la musique classique sont énormes. Dans le passé, un éditeur qui sortait un enregistrement, vinyl ou CD, devait avancer les fonds nécessaires pour effectuer l’enregistrement ainsi que sa promotion avant de pouvoir recevoir le cash des rentrées générées par les ventes (c’est le besoin de financer le fond de roulement.) Dans le cas de la musique classique et en particulier de la musique orchestrale, les coûts d’enregistrement sont devenus très élevés alors que le marché du classique était devenu saturé en enregistrements, historiques ou récents, indispensables ou inutiles : il y a sur Amazon quarante-quatre versions de la Quarantième Symphonie de Mozart et cent huit de la Cinquième Symphonie de Beethoven.


Les grands perdants dans cette surenchère ne sont ni les consommateurs, ni les maisons de disques, ce sont les musiciens qui se sont trouvés dans l’incapacité de signer des contrats d’enregistrements depuis environ dix ans. L’Orchestre Symphonique de Chicago dont l’excellence n’est plus à prouver, n’a plus de contrat fixe. Il ne doit son dernier passage dans un studio qu’aux relations privilégiées qu’entretient Daniel Barenboim avec le très talentueux Lang Lang, pianiste fétiche de Deutsche Grammophon qui doit avoir comme cible le marché chinois, que l’on annonce comme le futur grand marché du classique. Son absence des studios est incompréhensible alors que le niveau de cet orchestre n’a cessé de monter. En réaction, quelques ensembles et certains artistes ont décidé de créer leur propre marque de disques. C’est le cas du London Symphony Orchestra, du Concertgebouw d’Amsterdam ou de Sir John Eliot Gardiner. Ce dernier a quitté Deutsche Grammophon après des années si productives chez cet éditeur lorsque celui-ci avait annulé la parution pourtant prévue de son intégrale des cantates de Bach (des enregistrements disponibles sous sa marque Soli Deo Gloria qui sont tout simplement extraordinaires).


Ce sont cependant des cas isolés qui ne sont rendus possibles que parce que, comme pour l’enregistrement de Lorin Maazel, les musiciens sont payés non pas à la session d’enregistrement mais aux royalties, c’est-à-dire sur les ventes futures. Le cas du téléchargement de concert va encore plus loin. La structure de coût est encore allégée puisqu’il y a désintermédiation entre l’éditeur et le mélomane. Le prix d’un CD sous la marque LSO Live acheté en magasin va inclure la marge du détaillant. L’argent d’un morceau acheté sous iTunes inclura une royaltie pour Apple bien moindre que celle du détaillant. Il n’est non plus nécessaire de réaliser des couvertures sophistiquées et de réaliser physiquement les CD et d’en payer les coûts de distribution. Les seuls coûts de distribution sont la mise à disposition sur un serveur de ce que représentent les trois symphonies de Mozart en format MP3, soit environ 92 Meg de données, ce qui n’est pratiquement rien aujourd’hui.


Résumons nous, il y a :

· réduction des coûts de distribution
· zéro coût de packaging et de production physique des CDs
· de bien moindres coûts de réalisation des enregistrements, puisqu’on capte un concert
· et que les musiciens sont 100% au variable

ce qui signifie qu’un enregistrement pourra être rentable sur un nombre bien moins élevé de copies vendues que lors du système des enregistrements en studio classiques. Pour continuer à enregistrer, la musique classique a donc la possibilité de survivre en passant par une refonte complète de son business model économique.


Il y a dans cette révolution un perdant et beaucoup de gagnants. Le perdant, c’est la petite (ou grande) boutique de disques du coin. Désolé pour eux, mais nous, leurs clients, les amateurs de musique classique n’ont pas été bien traités. La partie qui nous est réservée diminue comme une peau de chagrin alors que tout le monde s’accorde pour reconnaître que la musique classique est un marché stable, en croissance modérée mais régulière et où l'on ne pirate pas. En plus, lorsque je vais chez mon disquaire, je dois supporter les décibels de rap et de rock des départements voisins (comme beaucoup de Français, je me rends chez une grande enseigne agitatrice d’idées …). Autrefois, j’aimais flâner dans ses magasins, aujourd’hui, je les évite autant que possible.


Il est évident par contre que les musiciens et le public ont tout à y gagner : les artistes vont pouvoir à nouveau faire des enregistrements. Peut-être allons-nous sortir ainsi de la crise que traverse l’industrie du disque de la musique classique. Du fait de la saturation que j’ai évoquée plus haut, très peu d’artistes ont pu laisser des témoignages de leur art. Nous n’aurons probablement jamais d’enregistrements complets des Noces de Figaro ou du Chevalier à la rose avec Renée Fleeming, et l’extraordinaire parcours mahlérien de Pierre Boulez risque de rester incomplet parce que la Symphonie des Mille est trop onéreuse à enregistrer.


Avec ce modèle, il va être possible de permettre à beaucoup d’artistes de s’exprimer mais surtout de toucher un public local qui les connaît. DG a dû faire son analyse de marché avant de démarrer sa série par l’Orchestre Philharmonique de New York. Le programme est classique et devrait plaire au plus grand nombre. Je suis cependant prêt à parier qu’un programme équivalent serait également rentable dans toute ville de bonne taille où se trouve un orchestre de premier plan et un public fidèle: Boston, Chicago, Philadelphie, Cleveland, Amsterdam, Zurich, Rome, Munich, Paris, Oslo, London, Birmingham … A nouveau, ce que l’on appelle le point mort, c’est-à-dire, le nombre d’unités qu’il faut vendre pour que ce type d’enregistrements soit rentable va considérablement diminuer. La stratégie commerciale des éditeurs ne devrait plus être de promouvoir l’idée que tout enregistrement réalisé à Berlin ou Vienne est la référence à laquelle les autres devront se frotter mais devrait être, je l’espère, de capitaliser sur le travail fait pour animer la vie musicale au niveau local comme le font aujourd’hui tant de musiciens.


Ce système présente aussi un avantage artistique. Les enregistrements en studio sont souvent de moins grande qualité artistique que les prises de concerts. Karajan qui a été le chef le plus actif dans les studios en est un parfait exemple. Bien que ses enregistrements aient été réalisés avec une passion et une minutie d’orfèvre, toute personne qui l’a entendu en concert vous confirmera que ses enregistrements de studio ne sont qu’un pâle reflet de la magie de ses concerts. C’est normal : Glenn Gould mis à part, tous les musiciens sont meilleurs en live qu’en studio. La recherche permanente d’une perfection formelle et sonore s’est toujours faite au détriment de l’émotion et du risque artistique. Une approche en studio pouvait se comprendre à une époque où la technique de prise de son n’avait pas la sophistication de ce que l’on peut faire aujourd’hui. Ce n’est plus le cas de nos jours et une prise de concert sans retouche de qualité approuvée par les musiciens doit permettre une plus grande spontanéité, plus d’émotion et de continuité avec une grande qualité sonore. Le studio se meurt, nous ne le pleurerons pas.


La vraie question qui va se poser reste à savoir qui va ou doit prendre l’initiative de proposer des enregistrements de concerts de demain. Un éditeur de prestige comme DG va signer Maazel à New York et semble-t-il Salonen à Los Angeles, et serait en négociations avec des orchestres anglais, allemands et français. Ceci dit, je ne peux qu’exprimer une certaine déception que ce soit une exécution indigne du talent de ses interprètes, d’un programme si rabâché qui marque le démarrage de cette série et ne peux m’empêcher de penser qu’il y a un risque fort que les éditeurs évitent de prendre trop de risques en se concentrant sur des répertoires traditionnels servis par les mêmes artistes.


Comment étendre l’accès à ce medium à un grand nombre d’artistes et permettre cette localisation évoquée plus haut ? Ma proposition est que ce soient les directions artistiques des salles de concerts qui prennent cette initiative. Une première raison pourrait être d’abord pratique : toutes les grandes salles sont parfaitement équipées pour des enregistrements radiophoniques et les mettre en ligne est simple. Mais il y a également une justification artistique: il faut reconnaître que ces dernières années, certaines salles ou certains festivals ont réussi à créer une vraie identité culturelle, comme le Châtelet sous la direction de Stéphane Lissner ou Jean-Pierre Brossmann, ou l’Opéra de Paris que ce soit sous la direction de Hugues Gall ou aujourd’hui de Gérard Mortier. Les programmes qui sont proposés sont variés, aventureux, originaux et bénéficient de conditions solides de travail. Il ont sûrement des équivalents de par le monde. Dans ces salles, les concerts sont de trè bon niveau et pourraient faire sans aucun problème l’objet d’une diffusion en ligne. Comme ces salles ont également communiqué pour créer de l’animation autour de leurs spectacles, cela devrait permettre de profiter de l’intérêt et de la curiosité du public pour le produit complémentaire qu’est le concert. Dans le cas de l’Opéra de Paris, pourquoi ne pas proposer à côté du concert ou de l’opéra (puisqu’il est possible de récupérer des vidéos) les présentations qui sont organisées par Gérard Mortier et ses artistes durant les conférences de midi ou les « Pleins feux » en podcast ? Pourquoi ne pas proposer également des répétitions de concerts par le même medium ? Un DVD de cinéma se vend sur la qualité de ses bonus, appliquons le même principe à la musique classique. Je suis sûr qu’il y a des mélomanes exigeants de tous âges prêts pour ce type de produit culturel.


Comme l’opéra, le disque classique a été annoncé comme mort de nombreuses fois. Il a en fait connu une longue phase de convalescence, mais je suis prêt à parier qu’il va renaître de plus belle de ses cendres.


Antoine Leboyer

 

 

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