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Evénement : L’Encyclopédie du Ring
06/14/2005



En octobre prochain, Bruno Lussato publiera chez Fayard L’Encyclopédie du Ring, le plus important ouvrage jamais consacré à l’œuvre majeure de Richard Wagner. En deux volumes totalisant mille pages, cette encyclopédie offrira un guide de L’Anneau du Nibelung (livret, leitmotive, personnages, symboles), précisera sa genèse, évoquera les différentes interprétations auxquelles il a donné lieu (psychanalytique, mythologique, structuraliste, socio-économique), examinera la vie de l’œuvre (mises en scène, discographie). Musicologue et logicien, Bruno Lussato démêle l’écheveau d’une œuvre hors normes qui suscite fascination et controverses à travers le monde. Des contacts sont en cours pour des traductions, en anglais et en allemand notamment. Il a bien voulu répondre à nos questions.


D’où vient votre goût pour la musique ?


J’ai commencé très tard malheureusement, à cause de la guerre, je n’avais pas de piano, il était même impossible d’écouter de la musique, l’électrophone de mon père ne fonctionnant plus ! En revanche, je connaissais très bien la théorie musicale, parce que j’étais un adepte de l’énorme « Larousse » du XIXe siècle et j’ai lu notamment tous les articles concernant la musique. J’y ai appris des choses très intéressantes, comme le fait que les trois musiciens les plus importants étaient Mozart, Rossini et Meyerbeer ! Evidemment, pas un mot sur Wagner ou Berlioz ! Dès que j’ai pu trouver un vieux piano, j’ai voulu devenir compositeur et pianiste professionnel. J’ai travaillé le piano, huit heures par jour pendant des années, puis j’ai suivi les cours de René Leibowitz. Après une quinzaine d’années de pratique, j’ai découvert que la carrière de compositeur me serait fermée car ce que j’écrivais était mauvais, et la carrière de concertiste n’était pas envisageable à cause de mon trac.


Je crois que, dans votre jeunesse, vous avez eu la chance de côtoyer de grands artistes


A l’âge de vingt ans j’ai rencontré les grands artistes de ma génération comme Wilhelm Backhaus, George Sebastian, Kirsten Flagstad, etc parce qu’ils descendaient tous au Grand Hôtel, à côté de l’Opéra Garnier, où je résidais. Je mettais mon piano à leur disposition, Flagstad travaillait et répétait ses rôles chez moi. C’est à ce moment là que j’ai découvert Wagner. Que j’ai d’abord détesté ! J’étais habitué à Brahms, Chopin : quand je déchiffrais Tristan au piano, je ne voyais pas la différence entre les fausses notes et les notes correctes ! Puis Flagstad m’a invité à une représentation de Tristan et Isolde, et là je me suis mis à pleurer. C’est comme cela que ça a commencé.


Comment avez-vous découvert le Ring ?


Mes premières expériences du Ring à l’Opéra de Paris se faisaient de bric et de broc : les coupures étaient nombreuses, les chœurs chantaient en français, les décors dataient d’avant guerre, Max Lorenz n’avait plus de voix… Avec l’imagination je reconstituais ce qui se passait. Je l’ai vraiment découvert avec une édition complète de la partition. Puis j’ai acheté un appareil radio pour écouter les retransmissions de Bayreuth. Enfin, il y a eu le magnifique enregistrement de Solti au début des années 60 ! Puis je suis allé à Bayreuth, où j’ai découvert le cadre wagnérien.


De quand date votre passion pour le Ring ?


J’ai commencé à me « spécialiser » il y a plus de trente ans lors du Ring du centenaire à Bayreuth en 1976. Là, j’ai été émerveillé par la réalisation de Patrice Chéreau, sa conception scénique correspondait exactement à ce que voulait Wagner, même si par ailleurs on pouvait discuter des décors de Richard Peduzzi. J’ai fait la connaissance de Pierre Boulez à cette occasion. J’ai commencé à lire tout ce qui avait été publié sur le Ring, j’ai profité d’une vente aux enchères pour acquérir quantité de lithographies, d’éditions originales, de manuscrits…


Et votre connaissance du Ring s’est affinée…


J’ai découvert que Le Ring n’est pas une œuvre musicale. Le Ring n’a rien à voir avec les autres œuvres de Wagner. Parsifal, Tristan sont des « drames musicaux », et le mot musical a un sens, tandis que le Ring n’est pas un drame musical, c’est un drame de sons et de mots, mais la logique n’est pas musicale. Il n’y a pas de comparaison possible. Claude Lévi-Strauss disait que le Ring était le premier manuel de structuralisme, le grand psychanalyste Groddeck affirmait que c’était un véritable manuel de psychanalyse. Je suis ahuri lorsque je vois que l’on l’analyse comme les autres opéras de Wagner, il relève d’une autre logique ! La logique et la théorie des systèmes est un domaine que je connais bien car c’est mon métier, je suis sémanticien, je connais bien la théorie de l’information, les grammaires génératives ou transformationnelles, donc j’étais bien équipé intellectuellement pour aborder le Ring de la manière dont Wagner l’avait conçu. Et j’ai commencé à l’analyser en détail. J’ai travaillé notamment avec François Regnault, le dramaturge de Patrice Chéreau.


Je crois que vous avez voulu le porter au cinéma !


J’ai beaucoup regretté que l’on ne puisse pas faire le Ring au cinéma. Leibowitz et moi avons été faire campagne pour cela. L’Orchestre de la Scala de Milan était d’accord pour jouer gratuitement, Martha Mödl et un certain nombre de chanteurs étaient partants. On voulait le faire en play-back et ensuite prendre de jeunes acteurs qui correspondaient aux personnages. Mais ça a bloqué au niveau des producteurs qui ne comprenaient rien ! Kubrick aurait sans doute été le meilleur pour réaliser un tel film ! Le Ring est un « objet dramatique non identifié » qui, à mon avis, est fait pour le cinéma.


Comment est né votre livre sur le Ring ?


En 1999 Fayard m’a dit «faites quelque chose sur le Ring». Et depuis mon premier texte en 1979, quantité d’écrits de grand intérêt sont parus, ce qui a fait grossir le livre à près de mille pages ! Le Ring est l’œuvre la plus complexe jamais faite de la main de l’homme. Et il ne faut pas se méprendre, le Ring est une œuvre qui doit tout à Eschyle, Beethoven et Shakespeare, mais il ne reste rien de la mythologie nordique, seulement des noms, Deryck Cooke l’a montré, Wagner a tout déconstruit et reconstruit. Cet ouvrage n’est pas destiné à être lu comme un livre mais comme une encyclopédie, il y a en particulier un guide de l’auditeur très détaillé, il s’adresse à l’amateur comme au spécialiste.



Entretien exclusif réalisé le 24 mai 2005 par Philippe Herlin

 

 

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