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Les Musiciens de G. Magne
05/08/2025


Les Musiciens
Valérie Donzelli (Astrid), Frédéric Pierrot (Charlie), Mathieu Spinosi (George), Emma Ravier (Apolline), Daniel Garlitsky (Peter), Marie Vialle (Lise), Valentin Pradier (Louis), Nicolas Bridet (Le frère d’Astrid), François Ettori (Le luthier)
Grégory Magne (réalisation)
Film français (2025) – 102’




Les Musiciens raconte l’histoire d’Astrid Carlson, riche héritière qui apprend qu’un alto d’Antonio Stradivari (1644‑1737) est mis aux enchères et parvient à l’acquérir, ce qui lui permet de réaliser le rêve de feu son père en réunissant quatre instruments provenant d’un « même arbre » et signés du même luthier de Crémone, pour un concert unique enregistré pour l’histoire. Cependant, les musiciens sélectionnés pour les faire sonner, Lise, George, Peter et Apolline, sont des virtuoses aux personnalités fort dissemblables, voire incompatibles, et ils rendent les choses beaucoup plus compliquées que prévu. Pour sauver le projet, Astrid doit faire appel au compositeur du quatuor à jouer, un certain Charlie Beaumont, choisi par son père mais désormais retiré de la scène, bourru et qui renie son œuvre, écrite trente ans plus tôt. Il l’a pratiquement oubliée et ne s’intéresse qu’à la « musique à écrire ». Charlie va s’adoucir, comme les musiciens au passage, et montrer aux interprètes sélectionnés que les instruments et les dons individuels des artistes ne font pas tout : il faut fédérer ce petit monde, encourager les interprètes et parler musique. Ce sera sa mission.


Le film est le troisième long métrage de son auteur, Grégory Magne (sans rapport avec Michel Magne, génial compositeur de la bande musicale des Tontons flingueurs). Il met en scène de véritables musiciens apportant une authenticité à la représentation du métier de violoniste, d’altiste et de violoncelliste, et à la préparation d’un concert exceptionnel. Il montre les exigences techniques requises par ce travail et expose ce qu’impose la pratique collective mais pas à la façon d’un documentaire : c’est une comédie.


Mais, si c’est une comédie, elle n’est pas du tout dans le style des spectacles loufoques mis en scène par Alain Sachs dans lesquels Le Quatuor, ensemble musical français formé en 1980 et actif jusqu’à début 2015, jouait sur scène des morceaux archi‑connus, s’amusait et amusait le public avec de véritables acrobaties dans le cadre de sketchs assez hilarants.


Ici, il y a une histoire et un fil conducteur : la préparation du concert imaginé par le père décédé. Valérie Donzelli dans le rôle de l’initiatrice du projet, moins sensible à la musique qu’à son succès et à la volonté du défunt, et Frédéric Pierrot dans celui du compositeur sauveur dudit projet, plus attaché au fond à la musique qu’à la réussite de l’entreprise, l’animent de bout en bout et sont impeccables de justesse. Elle dans le stress quotidien, lui dans l’incertitude poétique. Entre les deux, seuls crédités sur l’affiche, des acteurs formidables, tout à fait crédibles : les interprètes du quatuor.


Le réalisateur confesse n’être pas musicien et ne se présente même pas comme mélomane. Il connaît semble‑t‑il beaucoup mieux, de l’intérieur, le monde de la voile. Pourtant son film révèle quelqu’un d’indéniablement intéressé par la musique classique et infiniment respectueux du travail des musiciens. Pour sa réalisation, il a ainsi veillé à rassembler des acteurs musiciens ou si l’on préfère des musiciens acteurs de talent.


On imagine qu’il doit être plus difficile de trouver de tels acteurs, capables de jouer des instruments à cordes frottées que de chanter. Il y a en effet des chanteurs qui doivent savoir être acteurs sur une scène d’opéra et des acteurs qui doivent maîtriser et travailler leur voix. Le marché de l’acteur violoniste doit être singulièrement plus pauvre. Mais, pour ce film, le réalisateur a trouvé des perles. Au premier violon, il a jeté son dévolu sur Mathieu Spinosi, sept films et plusieurs séries à son actif. C’est un ancien du Conservatoire national supérieur d’art dramatique et membre de l’Ensemble Matheus fondé par son père, le chef d’orchestre Jean‑Christophe Spinosi, bien connu pour ses enregistrements consacrés à Vivaldi et ses accompagnements de Cecilia Bartoli. Il avait toutes les qualités requises. Daniel Garlitsky, au second violon, est quant à lui un violoniste descendant d’une longue lignée d’instrumentistes russes ; il pratique le jazz manouche mais connaît fort bien le classique. Il campe remarquablement un instrumentiste malvoyant, souvent le nez sur la partition et cachant un secret intime. Pour le violoncelle, le réalisateur a choisi Marie Vialle, sortie du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris mais qui pratique l’instrument avec une distinction peu commune. Enfin, pour le poste d’altiste obsédée par les réseaux sociaux, c’est Emma Ravier qui s’y colle ; elle se lance dans la carrière d’actrice mais a participé à des prestations de l’Prchestre des universités de Paris (OCUP) et connaît donc l’instrument. Tous ne jouant pas des amateurs à qui il arrive de jouer faux mais des professionnels, il fallait du niveau professionnel. C’est le cas sans qu’on ait donc eu besoin de faire appel aux habituels trucages et montages (voir les mains sans les visages et réciproquement) pour cacher les limites techniques ou de compter sur l’ignorance des spectateurs en présentant des simulacres absurdes. Pour la bande‑son, on a utilisé des enregistrements d’un quatuor pré‑tournage et d’un quatuor post‑tournage, dans lesquels d’ailleurs Daniel Garlitsky joue sans les autres qu’on voit à l’image, mais l’essentiel de ce qu’on entend provient bien des acteurs musiciens.


S’agissant de la bande‑son, il y a des musiques « additionnelles », accessoires : Petite musique de nuit de Mozart sortant d’une platine de porte, Première et Deuxième Partitas pour violon seul de Bach, parties solistes des Quatre Saisons de Vivaldi, du Concerto pour violoncelle de Dvorák, du Premier Concerto pour violon de Mendelssohn. Plus importante est l’adaptation pour quatuor d’un classique de la chanson folk américaine, Where did you sleep last night?. Avec un peu d’alcool, elle finit par détendre l’atmosphère dans ce château de Sept‑Saulx, en Champagne‑Ardenne, où répètent les musiciens. L’est encore plus la musique originale, celle qui est l’objet même du film. Le réalisateur n’a pas retenu un célèbre quatuor de Beethoven ou de Ravel ni même celui d’un compositeur « classique » d’aujourd’hui bien en vue. Il a été fait appel à Grégoire Hetzel, compositeur de musique « savante » mais aussi de film car il connaît les exigences du cinéma. Pour le réalisateur, il fallait trouver une partition contemporaine à créer dans le film mais d’un langage compatible avec un cinéma disons populaire sans que ce soit nullement péjoratif. Point d’Elliott Carter, de Pierre Boulez ou de Gérard Pesson ici. Il s’agit de rassembler des musiciens dans le film et des spectateurs dans les salles. On est du coup, selon les quatre mouvements du quatuor, quelque part entre Philip Glass, Samuel Barber et Georges Delerue. Les musiciens ne décortiquent pas la partition, ne cherchent pas à interpréter des annotations absconses et inusitées, ne discutent pas chaque note avec le compositeur durant des heures. Ils ne sont tout simplement pas d’accord sur la façon de jouer. C’est plutôt le compositeur qui leur explique comment aborder le quatuor ; comme des « étourneaux » se plaît‑il à dire en ornithologue façon Messiaen.


Nos lecteurs savent parfaitement qu’il ne suffit pas effectivement de réunir de brillants instrumentistes pour former un bon duo, un bon trio ou un bon quatuor. Il y a des réussites, comme ce qu’on a appelé le « Million Dollar Trio » avec Arthur Rubinstein au piano, Jascha Heifetz au violon et Gregor Piatigorsky au violoncelle, mais aussi de beaux plantages musicaux à défaut d’être des échecs commerciaux, l’objectif de la réunion de stars étant souvent mercantile (cf. « Les Trois ténors » avec Plácido Domingo, José Carreras et Luciano Pavarotti). Le risque de ce type de réunion est d’être rapidement confronté à une situation où chacun souhaite tirer la couverture à soi, à s’imposer ou imposer sa conception de l’œuvre sans que les autres suivent. En fait, la mayonnaise des ensembles de musique de chambre prend d’autant plus facilement que les artistes ont suivi leur formation en même temps, dans le même conservatoire, qu’ils ont eu dès lors le temps de s’apprivoiser jeunes, ou qu’ils font partie d’une même famille, ce qui revient un peu au même (Trio Pasquier, Quatuors Girard, Hagen, Erell, Tchalik). Si certains ensemble ont connu une remarquable stabilité comme les célèbres Quatuor Amadeus de 1947 à 1987 ou Végh de 1940 à 1978, beaucoup font face à des changements incessants malgré l’apparence due au maintien de leur nom.


Le film ne raconte pas les tensions qui peuvent se faire jour au sein d’un ensemble préexistant, les bisbilles entre le premier violon et le second par exemple, le second lorgnant sur le poste du premier, la vie de voyage et la promiscuité quotidienne due aux répétitions et aux concerts, lesquels peuvent conduire tel ou tel à claquer la porte et dire « ça suffit », éventuellement sous des prétextes futiles, pour voir ailleurs ou voler de ses propres ailes. C’est justement l’inverse ici : la lutte des égos est présente dès le départ. Evidemment, elle peut se retrouver dans le cadre des orchestres ou dans d’autres milieux artistiques, dans le cinéma ou le théâtre par exemple, comme dans le monde sportif. Mais, dans un orchestre, il y a un chef à la direction ; dans le cinéma ou le théâtre, il y a un metteur en scène ; sur un terrain de foot, un capitaine et un sélectionneur ; sur un bateau de course, un skipper, etc. Cela n’exclut pas les tensions mais cela peut les atténuer. Dans un ensemble de musique de chambre, rien de tout cela. Il faut s’écouter et admettre l’autre, quelle que soit sa partition, pour la réussite collective. L’intérêt du film, qui justifie nos commentaires dans ces colonnes, est d’évoquer tout cela fort bien. Il y a une spécificité de la musique de chambre. Un festival comme celui de Deauville, régulièrement commenté dans nos colonnes, en est la preuve.


Mais s’il y a dans le scénario des éléments qui nous paraissent superfétatoires, comme la présence d’un frère d’Astrid ou le goût du premier violon pour le jacuzzi et le bidouillage électrique, il y a d’autres aspects intéressants. La fascination pour les instruments anciens fait partie de ceux‑là. Le violon vendu aux enchères au début atteint plus de 10 millions de livres (11,8 millions d’euros, « sans la TVA » rappelle ledit frère effaré). En fait, ce n’est pas un record, car il s’établit en réalité de 23 millions d’euros pour un Stradivarius, mais peu importe. Surtout on voit les instruments, à qui l’histoire a fini par donner des noms propres, être déplacés dans des voitures noires, séparément comme les Roi et infante d’Espagne ou les Président et Vice‑président des Etats‑Unis, dans une sorte de convoi officiel. C’est assez drôle. On relèvera que la fascination n’est pourtant pas générale chez les artistes. Un virtuose comme Christian Tetzlaff, par exemple, ne la comprend pas et joue sur un instrument moderne. Julia Fischer, autre prestigieuse interprète allemande, joue aussi sur un instrument récent. Le journal Le Monde avait d’ailleurs fait état en 2014 de tests à l’aveugle menés auprès de différents violonistes et les instruments anciens ne l’emportaient absolument pas ; la lutherie contemporaine était plutôt plébiscitée. Le violoniste Pierre Fouchenneret considérait même à l’époque que la qualité des violons anciens ne justifiait aucunement leur prix exorbitant. Il apparaît que c’est bien leur rareté et leur histoire, ou le snobisme, qui permettent, un peu, de les expliquer. Les Stradivarius sont alors acquis en pratique, quand ils ne sont pas exposés dans des musées – enterrement absurde au fond – par des fondations, des banques, des compagnies d’assurance, ou des entreprises comme celle qui bâtit de « grands ouvrages routiers » et est évoquée dans le film. Cela étant, sans doute faudrait‑il aller plus loin dans l’analyse : les violons anciens avec des cordes en boyau ne conviennent pas forcément bien, contrairement à ce que montre le film, à du répertoire contemporain et pourraient être plus adaptés à du répertoire baroque comme le recommande Charlie. Laissons les spécialistes en débattre pendant encore longtemps en dehors de nos colonnes.


Sont bien traités également la problématique acoustique (dans l’église de Mont‑devant‑Sassey dans la Meuse, où doit se dérouler le fameux concert), le travail minutieux du luthier (François Ettori, véritable professionnel à Paris, qui joue son propre rôle de diagnostiqueur et de médecin urgentiste pour des instruments endommagés) et l’entraînement solitaire du musicien. Comme un sportif, celui‑ci doit s’entraîner avant de rejoindre l’équipe. Dans le film, les interprètes s’échauffent dans leurs chambres ; ils s’ajustent. C’est d’ailleurs un aspect de mieux en mieux abordé au cinéma.


On le constate, il y a beaucoup de choses dans ce film. Et on ne s’ennuie pas une seconde. Le film raconte l’histoire d’une mayonnaise qui prend et le film lui‑même finit par nous prendre et nous captiver. C’est du fort bon cinéma, un film autant savoureux et émouvant que précis et bien vu. Nos lecteurs ne sauraient le manquer.


Stéphane Guy

 

 

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