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Entretien avec Hanna Salzenstein
02/07/2025


Parmi les jeunes musiciens du monde baroque, Hanna Salzenstein est indéniablement une étoile montante parmi les violoncellistes. Membre du Consort, jouant à l’occasion dans d’autres ensembles comme récemment au sein de l’Orchestre de l’Opéra royal de Versailles, elle vient de graver son premier disque en tant que soliste avant un prochain, à venir le 14 février prochain, qui sera dédié à la musique concertante pour violoncelle dans l’Italie du XVIIe siècle. Elle nous a accordé un long entretien avant Noël, sirotant de temps à autre une bonne tasse de thé chaud pour se remettre d’une nuit trop courte, étant revenue tard la veille au soir d’un concert donné dans le Sud avec l’ensemble Les Ombres.





Avant d’explorer avec vous votre parcours musical, une première question s’impose : d’où vous vient ce souhait de pratiquer le violoncelle ? Venez‑vous d’une famille où la musique avait son importance ? Et, donc, pourquoi cet instrument ?
Non, je ne viens pas d’une famille de musiciens mais la musique a toujours été assez présente chez nous ; mes frères et sœurs font de la musique, notamment du violon et du piano pour les deux plus grands. J’ai commencé la musique à l’école de musique de Pontoise et il se trouve que la dame qui a ouvert cette école, Sophie Legris, jouait du violoncelle ; par imitation, j’ai voulu faire comme elle (je devais alors avoir entre 2 et 4 ans). J’ai poursuivi pendant l’éveil musical puis ça m’a donné l’occasion de jouer des trios avec mes aînés ; associé à la personnalité très douce de Mme Legris, le violoncelle est un instrument qui m’a très vite plu. Je connais pas mal de gens qui ont changé d’instrument en cours de route mais pour moi, il était évident que ce serait le violoncelle. J’ai ainsi souhaité approfondir ma découverte de cet instrument avec lequel je fais corps, dont j’ai découvert ses sonorités, notamment dans le répertoire baroque, et dont je ne me passe plus désormais.


Aujourd’hui, on vous connaît avant tout comme violoncelliste baroque mais cela n’a pas toujours été le cas. Vous avez étudié tout d’abord au Conservatoire de Cergy‑Pontoise avant d’intégrer celui de Paris où vous avez étudié avec Annie Cochet, Hélène Dautry et Thomas Duran. Vous avez également bénéficié de l’enseignement de Philippe Muller et de Gary Hoffman au cours de classes de maître. Et à 16 ans, vous réussissez à entrer au Conservatoire national supérieur de musique  (CNSM) de Paris où vous étudiez, cette fois-«  », dans la classe de Michel Strauss, longtemps violoncelliste solo de l’Orchestre philharmonique de Radio France. Pouvez-vous nous parler de ces années d’études du violoncelle moderne ?
C’est toujours ma vie en fait. J’ai toujours des projets requérant un violoncelle moderne comme dernièrement, une création à Tourcoing. Ce que j’ai retenu surtout dans l’enseignement du violoncelle moderne, ce sont des rencontres, notamment avec des professeurs. Quand je suis arrivée à Paris, j’ai bénéficié d’horaires aménagés qui m’ont permis de travailler la musique intensément et de croiser ainsi pas mal de musiciens, comme Annie Cochet, qui a formé beaucoup de violoncellistes et que je côtoie toujours, Thomas Durand que j’ai retrouvé en violoncelle baroque... Et puis il y a eu Raphaël Pidoux, la rencontre la plus importante à mes yeux, un des meilleurs violoncellistes que j’ai entendus ; beaucoup de choses se sont passées avec lui. C’est lui, par exemple, qui m’a orienté vers Christophe Coin puisqu’il avait étudié avec lui quand il était plus jeune, et également vers Pascale Jaupart, qui était son épouse ; ce sont eux qui m’ont transmis le virus ! Ensuite, il y a eu la rencontre avec Christophe Coin... C’est là que je me suis notamment rendu compte qu’il existait une frontière qui me paraissait un peu absurde dans l’enseignement puisque, dans une salle, on jouait Beethoven sur instrument ancien mais dans la salle d’à côté, on le faisait sur instrument moderne, et tout ça ne communiquait pas ! Je trouvais la séparation entre les deux assez schizophrène, d’autant qu’il n’y avait pas beaucoup d’années qui séparaient Mozart ou Haydn du violoncelle moderne. En tout cas, j’ai été très vite séduite par les cordes en boyau, avec ces sonorités si généreuses, par l’histoire de l’instrument, par l’intelligence de l’interprétation. Je trouve qu’avec le répertoire baroque, on se révèle artistiquement : on se demande par exemple pourquoi on associe des œuvres entre elles, il y a toute une réflexion que nous avons en tant qu’artiste dans la recherche des œuvres et la confection des programmes, alors que tout me semble un peu figé avec le violoncelle moderne. Tout en essayant de m’emparer du répertoire moderne de façon un peu différente, je trouve que le jeu est plus instinctif dans le baroque ; j’y trouve également un lieu de prédilection pour assouvir mon intérêt pour la recherche et pour la découverte de répertoires moins mis en avant.


C’est également l’époque où vous jouez dans des orchestres symphoniques modernes (Orchestre français des jeunes, Orchestre philharmonique de Radio France...). Qu’est-ce que cela vous a appris ? Quels grands souvenirs avez-vous retenus de cette époque ? Des concerts marquants ? Des tournées ? Des rencontres avec de grands solistes ?
Aujourd’hui, je ne joue plus dans des orchestres modernes mais c’est vrai que, par le passé, j’ai beaucoup joué par exemple au sein de l’Orchestre de l’Opéra de Paris. J’ai joué également avec le Philharmonique de Radio France, sous la direction notamment de Myung‑Whun Chung ; j’ai le souvenir d’une Septième Symphonie de Bruckner dans laquelle nous étions guidés par sa direction, d’une très grande sérénité, qui nous a emmenés dans une musique très éthérée. C’était enivrant et on entrait presque en transe en jouant cela ; c’était en 2015 mais ça m’a marqué...
Et sinon, quand je jouais donc à l’Opéra, j’ai adoré cette époque où j’accompagnais des voix. Je me souviens d’un Rigoletto où, pour pas mal de musiciens, c’était la cinquantième fois qu’ils jouaient ça donc ils étaient blasés, mais moi, j’étais à fond ! Il y a une fois aussi où Nadine Sierra devait chanter le rôle de Gilda et elle était malade ; au dernier moment, c’est Lisette Oropesa qui l’a remplacée. On n’avait pas eu le temps de répéter avec elle ; elle, de son côté, avait une voix différente, jouait pas mal sur le rubato... Et, de fait, l’orchestre a été totalement aux aguets ; on a tous manifesté un incroyable souci d’être à son écoute et quelque chose d’inouï s’est passé. Le public a vécu un moment unique, il était extrêmement réceptif et nous, nous faisions tout pour l’encourager et la soutenir, c’était superbe. Je me souviens aussi d’un Benvenuto Cellini mis en scène par Terry Gilliam où les chanteurs allaient dans le public, avec de grands rubans, des cotillons... Bref, j’ai adoré cette période, cet accompagnement des voix, que j’ai d’ailleurs retrouvé ensuite dans le monde baroque qui est évidemment très riche du point de vue vocal.


Oui ; vous changez puisque, à un moment, v gous étudiez le violoncelle baroque, toujours au CNSM, dans la classe de Christophe Coin : pourquoi ce changement ? Est‑ce dû à une rencontre avec ces nouvelles sonorités, une œuvre ou quelque chose d’autre ?
J’ai franchi le pas en 2017. Cette année‑là, j’ai décroché mon master puis j’ai commencé un master de musique baroque. Au début, je prenais ça juste comme une sorte de découverte, d’option possible. Raphaël [Pidoux] m’avait dit de le faire mais je n’avais pas du tout conscience de ce que ça allait m’apporter. Ca se passait très bien avec Christophe Coin, même si je n’avais pas la complicité que j’avais avec Raphaël, avec qui tout était facile. Ce n’était pas le cas avec Christophe, qui a un caractère différent, qui m’intimidait beaucoup. Mais ce fut une période très riche grâce à son enseignement, époque où j’ai dû me trouver un nouvel instrument, où j’ai suivi des cours de musique de chambre avec Kenneth Weiss et avec Bruno Cocset également. Et, en février ou mars 2018, j’ai été contactée par le Consort car Justin [Taylor] faisait pas mal de pianoforte à ce moment‑là et il avait besoin d’un violoncelle pour donner des concerts ; je connaissais déjà Théotime [Langlois de Swarte] depuis l’époque du Conservatoire, j’avais joué des quatuors avec lui, et j’avais également fait de la musique avec Justin qui jouait alors sur piano moderne. En fait, j’ai autant appris sur scène avec eux qu’en cours durant mon cursus ; mais le fait est que tout est arrivé en même temps. L’année d’après, il a fallu que je prenne un congé car on m’a confié la classe de violoncelle de la femme de Raphaël Pidoux [Pascale Jaupart], qui était décédée brutalement, et donc je me suis retrouvée à enseigner le violoncelle broque et un peu la viole de gambe. Et puis l’année suivante, ce fut le covid ; mon cursus a donc été complètement tronqué. C’est une période où j’ai vraiment fait beaucoup de choses (des cours, des concerts avec le Consort puis, en 2018, on enregistre notre disque « Opus 1 »...) et la scène a petit à petit pris le pas. J’ai quand même pu jouer mon récital de fin de master à l’invitation de Bruno Cocset, à Vannes, mais ça a été compliqué quand même.


C’est également une époque où vous multipliez les expériences en musique de chambre ; là encore, vous fondez le Trio Eluard avec la pianiste Fiona Mato et Théotime Langlois de Swarte ; vous travaillez également au sein de l’ensemble des Violoncelles français aux côtés de solistes aussi renommés qu’Anne Gastinel, Raphaël et, Roland Pidoux ou Xavier Phillips. Quels répertoires avez-vous alors explorés ? Quelle expérience en avez‑vous tirée : une plus grande capacité d’écoute, un fondu plus fin des sonorités... ?
Oui tout à fait. Surtout que j’explorais alors un répertoire différent, plus classique, plus romantique... J’ai rencontré Fiona au Conservatoire et Théotime voulait faire du trio à l’époque ; on a donc joué du Mendelssohn, du Chostakovitch puis on a été en résidence à La Roque‑d’Anthéron. Avec Les Violoncelles français, qui rassemblaient quatre violoncellistes confirmés et quatre jeunes, on a joué de nombreux répertoires, pas mal d’arrangements (je me souviens d’un Tombeau de Couperin de Ravel par exemple) mais les ensembles de violoncelles sont très difficiles. On avait donné de nombreux concerts avant le covid mais c’était compliqué car il fallait réunir tout le monde, chacun avait sa carrière (notamment les quatre plus connus), cela a d’ailleurs peut‑être posé parfois quelques problèmes budgétaires aux programmateurs de concerts. Mais je continue d’explorer ce répertoire. Il y a deux ans, on a fait un disque avec Fiona et Théotime autour du salon de Clara et Robert Schumann ; j’ai joué à cette occasion un Guarneri avec des boyaux filés, Fiona jouait un Bösendorfer du musée de la Cité de la musique et cela reste un magnifique souvenir !


Vous multipliez les expériences mais c’est avec Le Consort que vous allez vraiment vous épanouir. Un de vos premiers concerts, voire le premier de l’ensemble, a été donné à Deauville le 22 avril 2017 ; après des pièces pour clavecin de Rameau, vous aviez notamment joué Bach et Mozart. Vous souvenez‑vous de ce concert, qui a d’ailleurs été chroniqué sur notre site) ?
Oui je m’en souviens car moi, c’était mon tout premier concert avec Le Consort. Je me souviens du Quatuor K. 493 de Mozart ! En fait, j’ai commencé avec Le Consort car ils avaient besoin d’un violoncelle. Il y avait déjà Louise Pierrard à la viole de gambe, un projet avec Eva Zaïcik, la découverte des œuvres de Dandrieu... Je me souviens de leur façon de travailler, de phraser qui m’avait beaucoup plu et dans laquelle je me reconnaissais. On avait donné un concert d’œuvres inachevées de Mozart au Festival de Monte‑Carlo avec une forme de concert pas très conventionnelle, où l’on parle, avec un enchaînement original des œuvres ; j’ai aussi en mémoire un concert à Cahors où pas mal de choses étaient jouées comme des défis, étaient improvisées, avec des œuvres également jouées par cœur.


Cette façon de faire, c’était fait pour vous tester ?
Non pas du tout : c’est juste parce qu’on fonctionne toujours comme ça. On change l’ordre des morceaux, on répète ainsi, on met toujours un petit grain de folie et de spontanéité dans un concert/ J’ai adoré ce côté challenge, ce défi permanent ; ça m’a beaucoup plu. Ensuite ça s’est affirmé avec l’enregistrement de notre disque « Opus 1 », car dans ces sonates en trio de Dandrieu, il y a une partie de violoncelle et une partie de basse continue ; mais en fait ce sont deux parties de violoncelle. C’est d’ailleurs marqué violoncelle sur la partition ; donc bref, ils avaient vraiment besoin d’un violoncelle et je suis arrivée comme ça.





Le Consort s’est imposé depuis quelques années comme étant l’un des ensembles baroques français avec lesquels il faut désormais compter. Mais vous voici donc qui venez de signer votre premier disque soliste : quelle était l’envie initiale ? Une volonté de faire comme vos amis, Justin Taylor et Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche venant d’en faire autant au violon il y a quelques jours ? Une volonté de vous émanciper d’un ensemble de musique de chambre ?
En fait, j’ai fait pas mal de solos avant Le Consort ; avant de le connaître, j’avais eu l’occasion de jouer le Double Concerto de Brahms, le Concerto pour violoncelle de Dvorák : je me suis donc toujours considérée comme une soliste. Même quand je joue avec Le Consort, je peux jouer par exemple un bout de sonate, donc on a tous l’occasion d’intervenir en dialoguant avec le reste du groupe en ayant à un moment ou à un autre la voix principale, être soliste ne voulant pas dire grand‑chose à mon sens. Il y a trois ans, j’ai gagné un concours qui m’a permis d’être lauréate de la Fondation Banque Populaire et de m’attaquer à ce projet que je porte depuis cette époque. J’avais joué plusieurs de ces œuvres, notamment la sonate de Vivaldi avec Justin ; j’avais également joué le Caprice en ut mineur de Giuseppe Maria Dall’Abaco, qui reste très important pour moi puisque c’est ce morceau que j’avais interprété lors de l’audition pour le concours de la Fondation et qui m’a donc permis de réaliser cette aventure. Pour l’occasion, j’avais imaginé un prélude en do mineur avant de commencer mon audition et j’ai donc joué ce Caprice, qui n’était pas officiellement annoncé ; je me souviens que tout le monde le cherchait dans ses partitions mais c’est grâce à lui que s’est imposé le climat que je souhaitais, et qui m’a ensuite valu de gagner à l’unanimité.
J’ai ensuite construit ce programme petit à petit. L’idée à la base, c’est que le violoncelle commençait à avoir des parties de plus en plus virtuoses dans la musique du XVIIe siècle, notamment La Folia de Reali qu’on a enregistrée avec Le Consort dans notre disque « Specchio Veneziano» et qui comporte une partie pour violoncelle concertant dans un registre aigu, lui conférant ainsi une voix à part entière ; on l’a enregistrée à cinq personnes mais pour quatre voix. C’est comme cela que mon travail de recherche a commencé. C’est important quand on est jeune musicien de trouver sa voie et de s’y épanouir pleinement.


Oui mais il y a aussi de la concurrence ! Un tel projet vous permet de vous démarquer également...
Oui c’est vrai ; il faut effectivement se démarquer mais, bien souvent, on décide pour vous. Là au moins, il y a un équilibre entre des projets et des idées dans lesquelles on s’investit au sein d’un tutti, et des projets en solo qui permettent de s’épanouir, de défendre des œuvres auxquelles on est très attaché.


Le projet à la base de votre disque est en quelque sorte de nous initier aux sources baroques du violoncelle, et plus spécifiquement aux sources italiennes puisque c’est en Italie que le violoncelle est né. Comment avez‑vous procédé pour sélectionner ces diverses pièces ? En aviez‑vous déjà joué auparavant – je pense par exemple aux Capriccii de Giuseppe Maria Dall’Abaco ? D’ailleurs, que pensez‑vous de réaliser un jour l’intégrale de ces Capricii ?
On me l’a déjà demandé ! [rires] J’en ai joué deux autres en plus de ceux‑là et ils figureront sur mon prochain disque qui sortira en février. Je vais donc y arriver petit à petit.
Pour le programme, j’ai cherché un peu partout. Par exemple, j’ai trouvé les sonates d’Antoniotto complètement par hasard, sur internet ; j’ai choisi celle en  mineur, que je trouvais très belle, au sein d’un recueil de douze sonates. J’avais également découvert Platti, dont j’ai d’ailleurs enregistré un concerto pour mon prochain disque. Et j’ai appelé Christophe Coin pour lui demander des conseils et c’est lui qui m’a orienté vers Musedita, une maison italienne qui édite de vieux manuscrits ; c’est là que j’ai découvert plusieurs œuvres comme cette Aria da suonare de Giulio Taglietti, mon petit trésor !


Il y a plusieurs trésors dans ce disque mais c’est vrai que dans cette œuvre, l’entrée des instruments est magnifique, totalement enivrante...
Oui ! C’est Théotime qui m’a dit que je devais la mettre en premier sur le disque ; ensuite j’ai trouvé tout son recueil d’arie mais j’ai vraiment eu un coup de cœur pour celle‑là, parmi vingt‑cinq autres. Et il y a aussi cette sonate de Garavaglia...


On va y venir ! Mais arrêtons‑nous sur Vivaldi ; vous jouez de nouveau, dans ce disque, la Sonate RV 40 que vous aviez déjà en partie enregistrée pour le disque du Consort intitulé « Specchio Veneziano » (il n’y avait alors que le Largo) : pourquoi réenregistrer cette œuvre ? Pour le plaisir de graver l’œuvre dans son entier ou bien y attachez-vous une importance ou une signification spéciale ?
Oui, c’est vraiment le plaisir de jouer l’œuvre dans son intégralité, d’autant que Vivaldi est incontournable pour le violoncelle avec ses vingt‑sept concertos, des sonates... C’est vraiment une figure repère ; il a énormément contribué au développement du violoncelle comme instrument soliste dans toute l’Europe puisque ses pièces ont été publiées à Amsterdam et qu’il a beaucoup voyagé. Tout cela a donc contribué à créer cette effervescence autour des Italiens dans toutes les cours d’Europe (Platti travaillait à Wurtzbourg, Dall’Abaco en Belgique...). Et puis, tout simplement, cette sonate est vraiment trop belle ; elle permet de contextualiser tout ce qu’il y a autour et sert ainsi un peu de repère au sein du disque.


Un mot peut-être sur Giulio de Ruvo, dont on ne connaît pas grand‑chose, y compris ses dates de naissance et de décès, encore aujourd’hui incertaines : vous enregistrez là deux pièces absolument formidables de ce compositeur, notamment la Chaconne. Comment en avez‑vous eu connaissance ? Avez‑vous envie d’explorer davantage son œuvre ?
Ah, moi aussi je l’aime beaucoup cette chaconne ! J’en ai eu également connaissance par le biais de cette maison d’édition italienne. Lorsque j’ai vu la partition, il y a en fait juste une page marquée Tarentella, qui ne comporte que la partie de violoncelle, et les quatre mesures de la basse. J’avais dans l’idée que de Ruvo avait dû entendre une musique ou quelqu’un chanter cet air et qu’il avait griffonné quelque chose mais cela me semblait incomplet. Il y a quelques enregistrements de cette pièce mais c’est toujours pour violoncelle seul ; il y manque ce côté polyphonique, et cela me semblait donc assez bizarre. J’ai donc mis toute l’équipe sur le coup avec cette idée de quelqu’un qui marche dans une rue de Naples (de Ruvo était Napolitain) ; on a imaginé la basse et Thibaut [Roussel, au théorbe] a brodé là‑dessus. On n’a rien inventé car la basse était écrite mais c’est vrai que tout le reste, c’est nous !


Le jeu de Marie-Ange Petit par exemple ?
Oui, les grelots au début, puis un grand tambour, assez grave tout en étant léger au milieu de la pièce, le recours à un petit tambourin dans la tarentelle... Marie‑Ange y fait le rythme si caractéristique de cette danse. On avait préparé des choses – j’avais écrit des petites diminutions pour rendre le tout plus virtuose – et, en fait, l’essentiel s’est fait sur le moment.


A titre personnel, j’avoue que j’aimerais énormément que vous exploriez davantage cet étonnant Gasparo Garavaglia, dont la Sonate en sol mineur que vous nous interprétez est un pur bijou, notamment un Grave à pleurer avant une Gigue conclusive totalement ébouriffante. Là encore, comment avez‑vous connu ce compositeur et comment s’est déroulée la découverte de cette sonate, son interprétation ?
Toujours la maison d’édition Musedita, qui m’a permis de la découvrir, m’évitant pour une fois de chercher dans les bibliothèques. J’avais commandé plein de musique à cet éditeur, j’ai déchiffré de nombreuses pièces et j’ai trouvé cette sonate, très particulière, avec des mouvements très courts mais très intenses, en un petit nombre de pages qui ne paient pas de mine. On ne connaît pas bien sa vie ; tout juste sait‑on que Garavaglia a été maître de chapelle à Forli, dans le nord de l’Italie, et qu’il a écrit pas mal d’œuvres qui sont aujourd’hui essentiellement dans des bibliothèques privées, notamment une sonate pour violoncelle seul. C’est en tout cas une très belle découverte où l’on sent l’influence de Vivaldi mais c’est une pièce qui a une vraie singularité, qui est plus folle que Vivaldi. Effectivement, la gigue dont vous parlez est totalement folle, mais il faut dire aussi que je la prends très vite ; je la donne souvent en bis en concert car c’est une pièce très « efficace » par ses effets, très prenante, vraiment endiablée. [rires]


Vous jouez dans ce disque sur un violoncelle hollandais issus de l’atelier du luthier Pieter Rombouts (1667‑1728), un des grands luthiers néerlandais de la fin du XVIIe siècle à sa mort, qui avait été formé et qui a d’ailleurs semble‑t‑il pris la tête de l’atelier de Hendrik Jacobs, autre grand luthier qui n’était autre que son beau‑père, formé par Amati à Crémone. Pouvez‑vous nous parler de cet instrument ?
C’est un instrument qui a été fabriqué en 1711 à Amsterdam ; je l’ai acquis il y a presque deux ans parce qu’il s’est retrouvé chez mon luthier Guy Coquoz. Il était en quête de propriétaire, il avait été très bien restauré alors qu’il était mal en point au début (il avait pas mal de fractures, ce qui a fait baisser sa valeur, ce qui était très bien pour moi) ; c’est assez rare d’avoir des instruments qui ne soient pas du tout abîmés. Une fois restauré, j’ai vu son potentiel, le vernis est très beau par ailleurs ; il faut savoir que la lutherie flamande est sans doute moins connue et moins cotée que l’italienne mais elle a également donné de très bons instruments, dont le prix reste beaucoup plus abordable. J’ai cherché mon instrument pendant presque deux ans et il se trouve que ce violoncelle a été essayé par Ophélie Gaillard puis par Christophe Coin. Raphaël Pidoux était également intéressé mais je suis arrivée avant... Tout cela montre que cet instrument n’avait pas laissé indifférent ; j’en suis très heureuse en tout cas.


Ce disque solo en musique de chambre vous a visiblement donné envie d’explorer maintenant la musique concertante pour violoncelle puisque vous sortez un disque, en janvier prochain chez Mirare, consacré à divers concertos pour violoncelle signés Dall’Abaco, Platti, Antoniotto ou Vivaldi. Pouvez‑vous nous en dire un mot ?
Exactement ! Un nouveau disque en effet ! J’avais très envie d’enregistrer le répertoire concertant et ces deux disques constituent en fait un diptyque. Ce prochain disque est encore plus spécial avec quatre concertos totalement inédits, notamment un concerto d’Antoniotto découvert à la Library of Congress de Washington que m’avait envoyé mon amie Carolyn Winter, un concerto anonyme que j’ai découvert à la Bibliothèque nationale de France, un concerto de Jacchini et un de Platti. J’ai également enregistré le double concerto de Vivaldi, sans doute un des grands tubes de la musique baroque pour violoncelle. Et au milieu de ces concertos, en guise de pauses en quelque sorte, je joue de nouveaux caprices de Dall’Abaco, ce qui me permet de faire le lien avec le disque précédent. En plus, je joue tout ça avec Le Consort en grande formation orchestrale : c’est le rêve ! Il sortira le 24 janvier en digital et le 14 février en physique (la date est facile à retenir...) après qu’on l’a enregistré en septembre dernier : ce fut vraiment une année très intense !


Quand on écoute certaines œuvres de ce disque, notamment les Capriccii de Dall’Abaco (le premier en do mineur ou le quatrième en  mineur), on pense assez inévitablement à Bach. Alors ? Les Suites, un jour ?
J’aimerais bien ; j’ai un programme de récital Bach-D’all’Abaco que j’ai donné cet été et qui me permet de commencer à tisser un lien entre les deux. C’est vrai qu’il y a des ressemblances : les intervalles, les sauts de cordes, la polyphonie, le temps nécessaire pour bien faire sonner l’instrument... Il se pourrait d’ailleurs qu’il ait entendu les Suites de Bach puisqu’il est mort en 1805 mais on ne sait pas quand est‑ce qu’il a écrit ses Caprices. Les caprices n° 2 et n° 10, respectivement en la majeur et en sol mineur, sont également très proches de Bach, notamment le premier. J’aime bien l’idée d’associer ces deux compositeurs, ce qui permet de démythifier un peu Bach et de faire entendre ses œuvres autrement. A voir en tout cas si un jour je fais ou pas l’intégrale mais cela peut effectivement être un beau projet...


Sébastien Gauthier

 

 

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