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CD et livres: l’actualité de mai
05/01/2024


Au sommaire :

Les chroniques du mois
En bref
Face-à-face
ConcertoNet a également reçu





Les chroniques du mois




Must de ConcertoNet


   La Chapelle Rhénane et le Quatuor 1781


   Le pianiste Nicholas Angelich


   Bernard Haitink dirige Bruckner


   Mario Brunello interprète Weinberg


   Bernard Haitink dirige Bruckner


   L’ensemble Près de votre oreille


   La violoniste Mi‑Sa Yang


   Sergey Khachatryan interprète Ysaÿe


   Jonathan Fournel interprète Mozart




Sélectionnés par la rédaction


    Du métronome au gramophone


    Les petits malins de la grande musique


    La claveciniste Elisabeth Joyé


    Léo Warynski dirige Poulenc et Cavanna


    Christian Thielemann dirige Bruckner


    Santtu‑Matias Rouvali dirige Sibelius


    Nikolaï Lugansky interprète Wagner


    Christophe Rousset dirige Fausto de Bertin


    Les Voies du saxophone de Claude Delangle


    Le ténor Michael Spyres


    Thomas Jarry interprète Bach




 Oui !

Rachel Podger interprète Vivaldi
Théotime Langlois de Swarte interprète Vivaldi
Alexis Kossenko dirige Mendelssohn
Le Paris de Berlioz de Christian Wasselin
« Fastes de la Grande Ecurie »
Markus Poschner dirige Bruckner
Rudolf Kempe dirige Bruckner
Gerd Schaller dirige Bruckner
Paavo Järvi dirige la Huitième de Bruckner
L’Ensemble Amarillis interprète Jacquet de La Guerre
Ecrits d’Emmanuel Nunes
Le Monde de Bach de Gilles Cantagrel
L’ensemble La Quintina
Kazuki Yamada dirige Déjanire de Saint‑Saëns
La soprano Victoria de Los Angeles
Pierre‑Laurent Aimard interprète Bartók
Le Quatuor Danel interprète Chostakovitch
Valerie Eickhoff chante Eisler
Le pianiste Leif Ove Andsnes
L’Ensemble philharmonique de Berlin interprète Schubert
La mezzo-soprano Corinna Scheurle
Matthieu Delage interprète Bach
Daniel Behle chante Wagner et Strauss
Daphnis et Alcimadure de Mondonville
Marek Janowski dirige Schumann
Victor Julien-Laferrière interprète Dutilleux et Dusapin
Inon Barnatan interprète Schubert




Pourquoi pas ?

François-Xavier Roth dirige Bruckner
Paavo Järvi dirige la Septième de Bruckner
L’Ensemble Amarillis interprète Vivaldi et Caldara
Patrick Oliva interprète Telemann
Le contre‑ténor Mathieu Salama
Musique de chambre de Schumann
Le ténor Marco Angioloni
La violoncelliste Marie Ythier
Le saxophoniste Andreas Mader
Le pianiste Alexandre Tharaud
Antonio Meneses interprète Bach
Ailbhe McDonagh interprète Bach
Alexander Shelley dirige Schumann et Brahms
Arabella Steinbacher interprète Mendelssohn et Tchaïkovski
Le compositeur Thierry Pécou
Thierry Mechler interprète Prokofiev et Moussorgski




Pas la peine

Rémy Ballot dirige Bruckner
Les Chantres de Saint‑Hilaire Sauternes
Alexandre Bloch dirige Bartók
Victoire Bunel et Jean-Christophe Lanièce chantent Schubert
Œuvres pour instruments à vent de Schumann
Le claveciniste Fabien Armengaud
Célia Oneto Bensaid interprète Jaëll et Liszt
La soprano Lea Desandre et le luthiste Thomas Dunford
Gustavo Gimeno dirige Dutilleux
Marek Janowski dirige La Création




Hélas !

Lang Lang interprète Saint-Saëns





En bref


Marie Ythier, du solo au double concerto
Lieder allemands et chants hongrois
Les Danel reviennent à Chostakovitch
Les chants d’exil d’Eisler
Schubert et Schumann vents en poupe
Saxophones versatiles
Daniel Behle et les deux Richard
Jaëll vs. Liszt : un combat inégal
Andsnes, boulimique et éclectique
Italie-France, des années 1930 aux années 1950
Le trésor de Victoria de Los Angeles
Desandre et Dunford, tourtereaux sur canapé
Bartók : concertos avec ou sans solistes
Une pastorale occitane
Le carnaval de Lang Lang
Voyage à trois
Le carnet d’adresses de Tharaud
Le clavecin monochrome du Grand Siècle



Marie Ythier, du solo au double concerto





Marie Ythier (née en 1985) continue de s’investir résolument dans la création. Et il y a lieu de s’en réjouir, à l’image de ce concert donné en septembre 2023 à Royaumont, où elle était en résidence (2021‑2023), traçant un parcours du solo au concerto sous le titre « Le violoncelle en partage ». Elle magnifie les cinq pièces de Fotografie rarissime di angeli (2023) de Matteo Gualandi (né en 1995), à l’écriture délicate et poétique, créant une subtile polyphonie et évoquant l’esprit d’une suite baroque jusqu’à sa passacaille conclusive. De l’un, l’autre (2021) d’Augustin Braud (né en 1994), avec huit musiciens de l’Ensemble Sillages dirigés par Gonzalo Bustos, confronte l’auditeur à une matière plus résistante et conflictuelle, travaillant beaucoup sur les sonorités avec un goût certain pour la distorsion. De durée comparable (un quart d’heure) et également d’un seul tenant, L’Ombre d’un doute de Bastien David (né en 1990) est un concerto pour deux violoncelles créé en mars 2022 à Monte‑Carlo. Arne Deforce (né en 1962) prend ici la place d’Eric‑Maria Couturier, et ils sont accompagnés par l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes et son chef principal, Thomas Zehetmair, dans cette œuvre spectaculaire, dynamique et démonstrative. On regrettera toutefois que ce bref album n’ait pas été complété par Ramifications de Ligeti, au programme du même concert (b·records) LBM061). SC




Lieder allemands et chants hongrois





La mezzo-soprano germano-hongroise Corinna Scheurle (née en 1991) réunit en un passionnant récital des œuvres peu souvent chantées de compositeurs germaniques et de l’Europe de l’Est. Une fois saisi le thème du récital, car il semble que ce soit désormais indispensable de réaliser des récitals à thème, « Terre noire » réunit des compositeurs du XIXe et du début du XXe siècle et tendrait à prouver que le déclin de ce genre musical, le lied, la mélodie, a pris des chemins différents chez ces quatre compositeurs. De Bartók, on découvre avec bonheur ces Huit Mélodies populaires hongroises composées entre 1907 et 1907, qui développent le thème de la vie à la campagne avec un matériel thématique vocal issu du folklore hongrois que le compositeur allait traquer dans tous les recoins de son pays ; l’accompagnement dénote un art plus sophistiqué, comme il l’a toujours montré dans ses compositions pianistiques. De Kodály, les interprètes se contentent curieusement de six des Sept Chants opus 6, composés entre 1912 et 1916, mélodies très mélancoliques ayant pour substrat littéraire des poèmes romantiques de Dániel Berzsenyi et Ferenc Kőlcsey. Les Cinq Lieder opus 40 de Schumann et les Quatre Lieder opus 2 de Berg sont mieux connus quoique pas les plus enregistrés de ces deux compositeurs. Corinna Scheurle interprète avec beaucoup d’intensité et de versatilité stylistique cette petite heure de musique avec le soutien très efficace de la pianiste berlinoise Klara Hornig (Solo Musica SM435). OB




Les Danel reviennent à Chostakovitch





L’intégrale des Quatuors de Chostakovitch réalisée entre 2001 et 2005 par le Quatuor Danel (Fuga Libera, rééditée en 2016 chez Alpha) avait fait date dans un paysage jusqu’alors dominé par les Borodine – dont certains des membres ont longuement travaillé avec la formation française – et les Fitzwilliam. Continuant ensuite de donner le cycle entier de par de le monde, le Quatuor Danel l’a enregistré de nouveau en février et mai 2022 pour Accentus Music. Quoi de neuf ? Entre‑temps, Vlad Bogdanas et Yovan Markovitch ont respectivement remplacé Tony Nys et Guy Danel à l’alto et au violoncelle, tandis que Marc Danel et Gilles Millet ont conservé leurs pupitres de violon. Au lieu de studios munichois, l’enregistrement s’est effectué cette fois‑ci en public, dans la salle Mendelssohn du Gewandhaus de Leipzig. Le produit s’est en outre accru d’un disque : non pas que les tempi aient ralenti, mais les œuvres se succèdent dans l’ordre de composition, tandis que dans la première intégrale, elles étaient regroupées sur des disques mieux « remplis » mais faisant fi de la chronologie. Figurent en outre deux bonus nouveaux : les Deux Pièces (« Elégie » tirée de Lady Macbeth et « Polka » tirée de L’Age d’or) de 1931 et une ébauche de mouvement de quatuor de 1961 (composée entre les Huitième et Neuvième Quatuors). Les tempi n’ont donc pas changé, mais le reste non plus, à vrai dire : l’excellence instrumentale, la flamme communicative, l’engagement interprétatif trouvant un juste équilibre dans ce qu’il faut de réserve pour que cette musique exerce son fort impact expressif sans verser dans l’excès. Alors pourquoi cette deuxième intégrale ? Dans la notice, Marc Danel évoque la quête, nécessairement sans fin, du Graal. On ne pourra que se réjouir de cette entreprise hautement spirituelle (coffret ACC80585). SC




Les chants d’exil d’Eisler





Cycle d’une petite cinquantaine de lieder ou songs, The Hollywood Songbook (Hollywooder Liederbuch) regroupe des pièces de l’exil californien de Hanns Eisler (1898‑1962), l’auteur de l’hymne national de l’ex‑RDA. Le compositeur allemand avait choisi principalement comme substrat littéraire des textes de Bertolt Brecht mais aussi de Friedrich Hölderlin, Eduard Mörike, Berthold Viertel, Joseph von Eichendorff, Arthur Rimbaud, Blaise Pascal, de La Bible et de lui‑même. Ces courtes pièces reflètent bien un peu à la manière d’un journal l’ambiance nostalgique et le désespoir de l’époque et la musique assez expressionniste (parfois mâtinée d’influences américaines) est tout à fait digne de son maître Arnold Schoenberg. Dietrich Fischer-Dieskau et Aribert Reimann en avaient gravé au siècle dernier pour Teldec une sélection et plus récemment Matthias Goerne, qui y voyait un Winterreise du XXe siècle, une intégrale pour Decca, avec le même Eric Schneider au piano. C’est dire si cette nouvelle intégrale par une voix féminine, complétée par le lied In Sturmesnacht (Brecht) ne fait pas double emploi et la jeune mezzo‑soprano allemande Valerie Eickhoff, membre du Deutsche Oper am Rhein, tout autant que le pianiste allemand, s’acquittent magnifiquement de cette ample tâche, 70 minutes de musique, avec une versatilité et un souci du style tout à fait exemplaires. Vocalement, ces chansons ne lui posent aucun problème technique et elle évite l’écueil de la monotonie qui guette l’audition continue de ce type de cycle de miniatures parfois de facture répétitive. L’accompagnement d’Eric Schneider est pour beaucoup dans ce soutien stylistique (Ars Produktion ARS 38 645). OB




Schubert et Schumann vents en poupe


          


Voici l’Octuor de Schubert confié à un « Ensemble philharmonique de Berlin » : de fait, le clarinettiste Wenzel Fuchs, le corniste Andrej Zust, les violonistes Simon Roturier et Angelo de Leo, l’altiste Ignacy Miecznikowski, le violoncelliste Bruno Delepelaire et le contrebassiste Janne Saksala sont issus des rangs du Philharmonique de Berlin, tandis que les seuls liens du bassoniste Bence Bogányi avec la capitale allemande résident dans ses études à la Hochschule Hanns Eisler avec Klaus Thunemann et dans ses fonctions de chef de pupitre à l’Orchestre symphonique de la Radio de Berlin de 2005 à 2007. Mais l’important est que les musiciens forment une belle équipe, qui distille des sonorités séduisantes, individuellement comme collectivement, et rendent paisiblement et sûrement justice aussi bien à la fraîcheur qu’à la poésie de cette ouvrage fascinant de la production chambriste du compositeur (Indésens Calliope IC027).
Chez Schumann, à chaque année correspond souvent un genre : 1840 et le lied, 1841 et l’orchestre, 1842 et la musique de chambre. En 1849 fleurit une série de pièces pour instruments à vent (Romances pour hautbois, Fantasiestücke pour clarinette, Adagio et Allegro pour cor et les plus rares Andante et Variations pour deux pianos, deux violoncelles et cor) opportunément regroupées en un enregistrement réalisé en concert à Guidel par de jeunes musiciens français : le hautboïste Philibert Perrine, le clarinettiste Florent Pujuila, le corniste Félix Roth, les violoncellistes Sarah Fouchenneret et Caroline Sypniewski ainsi que les pianistes Hortense Cartier-Bresson et Théo Fouchenneret. Un album bien conçu auquel on ne pourra reprocher que son extrême brièveté – à peine plus de trois quarts d’heure – et une certaine réserve interprétative (b·records) LBM058). SC




Saxophones versatiles


          


Tout réussit à Bach – qui n’a lui‑même cessé d’arranger ses propres œuvres et celles de ses contemporains – donc certainement aussi le saxophone. En tout cas, Matthieu Delage (né en 1990) n’hésite pas à s’attaquer à la Quatrième Suite pour violoncelle seul avec son saxophone baryton : plus encore que de l’audace, il faut du souffle et de l’agilité, ce dont ne manque pas le musicien, qui ne contente pas de surmonter le défi technique mais propose une version tout à fait convaincante de l’œuvre. Entouré de l’altiste Violaine Despeyroux, du batteur Baptiste Dolt, du guitariste Benjamin Garson et du saxophoniste Guillaume Perret, il interprète également deux airs de la Passion selon saint Matthieu et de la Musique funèbre de Köthen, les Préludes en ut mineur, en majeur, en ut dièse majeur et en mi mineur du Premier Livre du Clavier bien tempéré, l’air et deux des Variations Goldberg ainsi que « Bist du bei mir » de Stölzel (longtemps attribué à Bach). On évolue là parfois vers le swing d’un Jacques Loussier ou le dépaysement d’un Villa‑Lobos, ces sortes de bachianas saxofonicas émettant des ondes apaisantes et bienfaisantes. Nonobstant sa diversité instrumentale et stylistique, un projet cohérent, à la fois inspiré et recueilli (Chapeau l’Artiste CLAPMAT2).
Dans un programme de musiques du siècle passé, le saxophone confirme son caractère souple et versatile. Ou plutôt les saxophones, puisque l’Autrichien Andreas Mader (né en 1993) passe de l’alto au soprano ou au ténor, parfois les trois dans la même œuvre, comme la Rhapsody in Blue (arrangée par Jun Nagao) de Gerswhin, avec lequel se conclut également l’album pour un plaisant Walking the Dog qui lui donne son titre. Dans ses propres arrangements, le saxophoniste se substitue au violon dans les Deux Pièces (« Nocturne » et « Cortège ») de Lili Boulanger ou dans les sept extraits de Roméo et Juliette de Prokofiev (transcrits à l’origine pour violon par Lidia Baich et Matthias Fletzberger) mais aussi à la flûte dans la Vocalise-Etude en forme de habanera de Ravel (transcrite à l’origine pour flûte par Jacques Larocque). Dans les deux œuvres originales, Scaramouche de Milhaud et les Cinq Danses exotiques de Françaix, on aurait apprécié un peu plus de décontraction et de chaleur. A ses côtés, le pianiste allemand Joseph Moog (né en 1987) n’est pas un simple faire‑valoir et s’investit à parité, avec une belle variété de jeu (Naïve V8453). SC




Daniel Behle et les deux Richard





Deux grands Richard sont mis face à face par Daniel Behle, avec des lieder avec orchestre et airs d’opéras pour ténor. De cet excellent chanteur allemand que l’on avait découvert en janvier 2019 au Théâtre des Champs‑Elysées lors d’une tournée de l’Opéra d’Etat de Bavière en Matteo d’Arabella de Strauss, on a pu apprécier récemment un récital (« Heimat ») de lieder romantiques avec quatuor de cors. Avec ce programme aussi ambitieux qu’audacieux, car ces lieder de Strauss ont assez rarement été abordés par des ténors, il s’attaque à d’autres sommets. Certains de ces choix, comme « Cäcilie » ou « Ruhe, meine Seele! » de Strauss sont à la limite de ses aigus. « Morgen » lui convient mieux. Tout est globalement chanté avec style et un sens dramatique certain, mais il se dégage de l’ensemble une impression de fadeur et de monotonie qui tient beaucoup à la couleur assez grise de sa voix. L’Orchestre philharmonique Borusan d’Istanbul, sous la direction souvent tonitruante du chef autrichien Thomas Rösner, n’y aide en rien et un Prélude des Maîtres Chanteurs de Nuremberg assez désinvolte confirme cette impression que vient nuancer la présence dans le programme du deuxième interlude d’Intermezzo de Strauss (« Rêve devant la cheminée »), joué avec beaucoup de transparence et de finesse. De Wagner, l’air « Im fernem Land » de Lohengrin, malgré un accompagnement très gris, dépasse de loin en finesse l’air du prix des Maîtres Chanteurs et le récit de Rome de Tannhäuser est hors de ses moyens vocaux. Un livret trilingue bien documenté tentera de convaincre de l’opportunité de cette confrontation entre ces deux géants du romantisme germanique (Prospero PROSP0072). OB





Jaëll vs. Liszt : un match inégal





Le rapprochement entre Marie Jaëll (1846‑1925) et Liszt interroge : non seulement la musique de la première évoque plutôt Saint‑Saëns, dont elle fut l’élève, mais elle fait un peu figure de pot de terre face au pot de fer lisztien. Car quels que soient l’engagement, la fougue, l’énergie et la conviction déployés par Célia Oneto Bensaid (née en 1992) et Debora Waldman à la tête de son Orchestre national Avignon-Provence au service du Premier Concerto (1877), on en reste, avec la virtuosité tapageuse – et pas vraiment à la manière de Liszt – des mouvements extrêmes et malgré les qualités de l’Adagio central, au niveau des plus faibles concertos de Saint‑Saëns, auquel il est d’ailleurs dédié. On pourra d’autant plus en rester aux enregistrements publiés il y a un peu moins de dix ans par Romain Descharmes (Palazzetto Bru Zane) ou Cora Irsen (Querstand) que les compléments lisztiens sont décevants, pas tant une passionnante Troisième Méphisto-Valse qui annonce déjà Scriabine qu’un Premier Concerto où l’orchestre, desservi par une prise de son sèche mettant les vents au premier plan, n’est pas à son avantage (NoMadMusic NMM119). LPL




Andsnes, boulimique et éclectique





« The Warner Classics Edition 1990-2010 » regroupe en un somptueux coffret avec les pochettes d’origine tous les disques réalisés en soliste ou avec des partenaires par Leif Ove Andsnes (né en 1970) pour EMI Classics et Virgin Classics entre 1990 et 2010. Pendant les vingt ans où il a été sous contrat exclusif avec ces éditeurs, il a enregistré un énorme fonds de répertoire qu’il donnait aussi en public, ayant une activité de concert très intense. Depuis, il les a quittés pour Sony Classical et on mesure la différence de politique artistique, l’éditeur américain étant aujourd’hui loin d’avoir fait autant pour lui. Le pianiste norvégien réalise la parfaite adéquation entre une technique éblouissante mais pas ébouriffante, une élégance stylistique impeccable parfois austère avec une sonorité moelleuse et une sagesse exemplaire dans l’interprétation. L’anti‑Pollini ! Le tout dans un vaste répertoire, dénotant une curiosité inlassable, et avec des partenaires réguliers comme Christian Tetzlaff et Sarah Chang pour le violon, le Quatuor Artemis et hélas ! Ian Bostridge pour les lieder. La liste des chefs avec lesquels il a collaboré en dit long sur la qualité de ses partenariats artistiques : Paavo Berglund, Mariss Jansons, Paavo Järvi, Dimitri Kitaïenko, Antonio Pappano, Simon Rattle et Franz Welser‑Möst. Il dirige aussi lui‑même l’Orchestre de chambre de Norvège dans plusieurs de ces enregistrements, notamment quatre concertos de Mozart touchés par la grâce, même si pour nous ceux de l’intégrale de Murray Perahia avec l’Orchestre de chambre anglais restent insurpassés (Sony).
De Schubert, quatre sonates tardives sobrement déclamées et avec une sonorité qui refuse les effets faciles, chaque disque schubertien étant complété par une sélection de lieder très bien choisis mais chantés avec une esthétique tranchant avec la chaleur du pianiste par la voix blanche, grêle et des options d’interprétation parfois très bizarres du ténor britannique Ian Bostridge (même si quelques exceptions, comme le mélodrame Abschied von der Erde, mettent en valeur ses talents théâtraux). De même pour Le Voyage d’hiver, qui peine à convaincre tant il est surinterprété malgré l’excellent accompagnement pianistique. C’est d’autant plus dommage que ce chanteur a révélé dans un essai une profonde connaissance du lied allemand et une analyse plus que brillante de ce cycle (Le Voyage d’hiver de Schubert. Anatomie d’une obsession, Actes Sud, 2017 pour l’édition française). De Rachmaninov, les cinq concertos pour pianos souvent joués en concert et quelques Etudes-Tableaux ainsi qu’un plein disque de mélodies avec le baryton Dimitri Kharitonov, passé plutôt inaperçu à sa parution en 1999, d’une indicible mélancolie.
Grieg, on s’en doute, figure en bonne place dans ce florilège, avec deux fois son Concerto pour piano, dirigé par Jansons puis Kitaïenko (couplé respectivement avec le Second de Liszt et celui de Schumann), la Sonate et le fameux enregistrement réalisé en 2001 sur le piano du compositeur à Troldhaugen d’une grande sélection, vingt‑quatre des Pièces lyriques, une référence absolue et alternative à l’enregistrement indétrônable, d’approche plus romantique et royal de sonorité d’Emil Guilels (Deutsche Grammophon, 1974). Autre hommage à sa Norvège natale, le disque « The Long, Long Winter Night » de 1997, qui regroupe de savoureuses chansons folklorique et des danses paysannes de Grieg ainsi que des œuvres des compositeurs norvégiens Geirr Tveitt (1908‑1981), David Monrad Johansen (1888‑1974), Fartein Valen (1887‑1952) et Harald Sæverud (1897‑1992).
La musique de chambre figure en bonne place : les Sonates de Bartók avec le violoniste Christian Tetzlaff, les Sonates de Brahms et les Märchenbilder de Schumann avec l’altiste Lars Anders Tomter, le Second Quintette de Dvorák avec Sarah Chang, Alexandre Kerr, Wolfram Christ et Georg Faust. Plus encore les quintettes avec piano de Schumann et de Brahms avec le Quatuor Artemis, surtout l’intégrale de la musique pour trio avec piano (avec les Fantasiestücke Opus 88) de Schumann avec Christian et Tanja Tetzlaff. La plupart de ces partenaires chambristes ont été les invités dans les festivals que dirigeait artistiquement le pianiste à Risør dans le fjord d’Oslo puis à Rosendal.
On mettra à part trois albums d’une grande originalité. Certes, « Horizons », dans lequel Andsnes collige les bis qu’il donne le plus fréquemment en fin de concert, montrant un éclectisme et une curiosité pointue avec bien sûr les grands classiques de Grieg, Chopin, Bach/Busoni, Mendelssohn, Debussy mais aussi de véritables perles comme la Toccata de George Antheil, l’arrangement de la chanson Coin de rue de Charles Trenet, Le Pays du Lotus de Cyril Scott, « Le Petit Ane blanc » de Jacques Ibert et des pièces de Federico Mompou et Johan Halvorsen. Mais aussi « Shadows of Silence », s’achevant avec une pièce virtuose de Bent Sørensen qui donne son nom à l’album et comporte deux concertos pour piano majeurs du XXe siècle, ceux de Witold Lutoslawski (1913‑1994) et de Marc‑André Dalbavie (né en 1961), commande pour le pianiste de la Carnegie Hall Corporation, ainsi que de savoureuses pièces extraites de Játékok (Jeux) de Kurtág. On y découvre un autre aspect du talent de Leif Ove Andsnes avec cet appétit pour l’interprétation d’œuvres de son temps.
Le bilan de ces vingt années, certes les plus fastes de l’histoire de l’enregistrement de musique classique car correspondant à l’avènement du disque compact, impressionne tout comme la boulimie de ce pianiste et l’éclectisme de son répertoire (5419741400). OB




Italie-France, des années 1930 aux années 1950





Intéressant programme que celui de ce court album (un peu moins de 50 minutes) intitulé « Dolce vita » : des chansons de 1932 à 1956, où, de côté‑ci des Alpes, on aura davantage de découvertes à faire en Italie, une fois passé Arrivederci Roma, qu’à Paris (Puisque vous partez en voyage, Le Chanteur de Mexico, Sous le ciel de Paris, Can‑Can). Entouré d’une clarinette, d’un alto, d’une contrebasse et d’un sextuor vocal, le pianiste Johan Farjot, codirecteur musical de l’Ensemble Contraste, a arrangé ces quinze titres, chantés par Marco Angioloni, parfois en duo avec Ambroisine Bré, Karine Deshayes, Juan‑Carlos Echeverry et Charlotte Planchou. Même si le timbre et la technique du ténor franco-italien ne convainquent pas pleinement, on pourra néanmoins apprécier ce petit moment de nostalgie (Glossa GCD 924801). LPL




Le trésor de Victoria de Los Angeles





Avec leur pochette d’origine, voici bien rangés dans un coffret les cinquante‑neuf disques qui contiennent l’intégralité de ce que la soprano espagnole Victoria de Los Angeles (1923‑2005) a confié entre 1948 et 1977 aux micros de La Voix de son maître, son éditeur quasi exclusif, à la grande époque de Walter Legge. On peut parler sans crainte de trésor, car rien que les intégrales d’opéras dont elle a été l’héroïne avec cette facilité d’incarner les rôles qui était la sienne, Carmen et La Bohème avec Beecham et des partenaires de rêve, Faust avec André Cluytens, Manon avec Monteux, n’ont jamais ni quitté ni le catalogue ni pardu leur statut de référence absolue. Et puis il y a les opéras pour lesquels elle a eu des rivales, comme Pelléas et Mélisande, Madame Butterfly, Werther, Suor Angelica, La Traviata, Le Barbier de Séville, mais dans lesquels elle soutenait haut la main la concurrence. Et il y a le domaine dans lequel, même si des collègues célèbres comme Teresa Berganza, Pilar Lorengar et Montserrat Caballé lui ont emboîté le pas, elle reste pionnière et imbattable : le chant espagnol. Les Tonadillas de Granados, les œuvres scéniques de Falla (La Vie brève, L’Amour sorcier), Turina et tout un répertoire allant de Rafael Calleja, Ruperto Chapí, Estéban Daza à Oscar Esplá et Gerónimo Giménez à qui elle a donné ses lettres de noblesse. Il ne faut pas oublier quelle exquise interprète, avec une diction irréprochable son timbre de miel et sa ligne si pure, de la mélodie française elle fut, comme en témoignent les enregistrements de Fauré, Canteloube, Duparc, Ravel ou Reynaldo Hahn, mais aussi du lied, avec un allemand si pur dont son inoubliable Sur les ailes du chant de Mendelssohn. Elle a aussi excellé avant la révolution baroqueuse dans les oratorios de Haendel et les airs de concert de Mozart (merveilleux Ch’io mi scordi di te? avec Gerald Moore et Exsultate, jubilate dirigé par Boult). Sans oublier la Bachianas brasileiras n° 5 de Villa‑Lobos avec huit violoncelles sous la direction du compositeur, si peu connue avant qu’elle ne le révèle à l’aube du microsillon. Un inédit absolu pare ce coffret – le récital avec Gerald Moore à Londres en 1964 (avec un programme audacieux allant de Monteverdi à Vaughan Williams) – parfaitement édité par Warner, qui contient un livret magnifiquement illustré avec un texte de Christophe Capacci à la gloire de cette inoubliable interprète qui a traversé le vingtième siècle et l’histoire du disque avec un charme inaltéré (5054197529283). OB




Desandre et Dunford, tourtereaux sur canapé





Voici typiquement le genre de produits qui, à titre personnel, nous met quelque peu mal à l’aise. Un programme sans grande cohérence (si ce n’est l’amour comme fil conducteur mais cela reste somme toute bien vague...), qui s’oublie aussi vite qu’il s’écoute, qui est certes bien réalisé mais qui pose en fin de compte une seule question : à quoi bon ? Lea Desandre et Thomas Dunford font partie des jeunes vedettes du monde baroque. Leur rencontre musicale en 2015 à Thiré, sous les auspices de William Christie, s’est muée en rencontre sentimentale, le jeune et beau couple s’étant depuis largement affiché tant au sein de son ensemble musical Jupiter que dans des magazines plus glamours. Intitulé « Idylle », le présent disque s’inscrit davantage dans cette seconde veine puisque nos deux tourtereaux ont souhaité, à travers un programme très diversifié (allant d’une chanson de Françoise Hardy à une mélodie de Reynaldo Hahn en passant par une chansonnette de Marc‑Antoine Charpentier, une chanson de Barbara et une adaptation pour luth d’une Gymnopédie de Satie), nous déclarer leur amour, le bref texte de présentation du disque s’apparentant d’ailleurs fortement à un véritable faire‑part de mariage ! Lea Desandre a une belle voix, personne ne le niera. On écoute donc nonchalamment, et avec un certain plaisir, Néère de Hahn ou Ma bergère est tendre et fidèle de Michel Lambert ; on est moins convaincu en revanche par les incursions dans le répertoire plus moderne, Le Temps de l’amour de Françoise Hardy étant assez pâlichon quand bien même Thomas Dunford joindrait sa voix à celle de sa dulcinée, l’air « J’ai deux amants » de L’Amour masqué de Messager manquant du côté rieur, voire moqueur que savait en revanche instiller une Régine Crespin ou, plus récemment, une Véronique Gens. Thomas Dunford, qu’on admire depuis bien des années maintenant, accompagne sa chère et tendre avec toute la douceur dont son luth est capable, les deux adaptations de Satie étant assez convaincantes finalement même si c’est sans doute la Chaconne de Robert de Visée qui lui convient le mieux. Bref, une escapade amoureuse non déplaisante mais, paradoxalement compte tenu des deux protagonistes, assez uniforme et presque fade, qui ne ravira donc que les aficionados des deux artistes, qui ne sont d’ailleurs même pas certains d’y trouver leur compte (Erato 5054197751479). SGa




Bartók : concertos avec ou sans solistes


          


Violon, alto et, bien sûr, piano, Bartók a remarquablement illustré le genre concertant, tout en conférant ses lettres de noblesse à une variante qu’il n’a pas lui‑même créée mais à laquelle son nom est resté attaché, le concerto pour orchestre.
On entend dire monts et merveilles des deux mandats successifs d’Alexandre Bloch (né en 1985), qui a succédé en 2016 à Jean‑Claude Casadesus à la tête de l’Orchestre national de Lille, où il sera remplacé la saison prochaine par Joshua Weilerstein. Malheureusement, au‑delà d’une louable clarté des textures, le Concerto pour orchestre manque de tension, de punch, de couleur, de caractère et de relief, et l’on passe donc à côté de l’une de ses dimensions : la démonstration brillante des différents pupitres. Dans ce contexte, Amihai Grosz (né en 1979), premier alto solo du Philharmonique de Berlin depuis 2010, pour irréprochable qu’il soit, apparaît un peu seul dans l’ultime Concerto pour alto (Alpha 1013).
Enregistrée en public, l’intégrale des Concertos pour piano par Pierre‑Laurent Aimard (né en 1957) avec Esa‑Pekka Salonen (né en 1958) et l’Orchestre symphonique de San Francisco, dont il est le music director depuis 2020, offre davantage de satisfactions. Ni brutalité ni néoclassicisme dans les deux premiers concertos : sans pour autant émousser le discours, le pianiste français et le chef finlandais s’accordent pour arrondir les angles et assouplir les lignes, avec des bois très présents et bien en chair. Si le propos est donc moins tranchant qu’avec d’autres, Anda et Friscay ou même Pollini et Abbado, l’énergie ne manque pas et la réalisation instrumentale, sans surprise, est superlative, servie par une luxueuse prise de son. La jonction avec le Troisième, bien que d’un tout autre temps, celui des années américaines et même des dernières semaines marquées par la maladie, se fait ainsi plus facilement, avec en son cœur un Adagio religioso assez peu investi, ne péchant par excès ni de mysticisme, ni d’expression, ni d’introspection, à l’image de cette intégrale qui ne suscite pas l’ennui mais semble dépourvue d’une vision (Pentatone PTC 5187 029). SC




Une pastorale occitane





Inspiré d’une fable de Jean de La Fontaine à Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711‑1772), Daphnis et Alcimadure, créé en 1754 au château de Fontainebleau, a vu une résurrection à Toulouse et Montauban par l’ensemble Les Passions de Jean‑Marc Andrieu, dans une version de concert dont notre site a rendu compte en décembre 2022 et dont la captation peut être vue ici. A peine un an après, avec la même équipe, en version intégrale et sur instruments d’époque, voici paraître la version discographique de cette pastorale languedocienne dans une présentation particulièrement soignée, avec son livret trilingue de 100 pages illustré, incluant le livret dans la langue occitane originale. On n’ajoutera rien au commentaire du concert donné avec les mêmes interprètes, l’enregistrement ayant été réalisé dans la foulée, si ce n’est pour louer l’entreprise de résurrection de ce répertoire par Jean‑Marc Andrieu, fondateur de l’ensemble Les Passions – Orchestre baroque de Montauban (coffret de deux disques Ligia LIDI 0302354‑23). OB




Le carnaval de Lang Lang





Lang s’intéresse à la musique française. Jack Lang ? Hélas non, car c’est de Lang Lang (né en 1982) qu’il s’agit. Faut‑il être flatté de l’intérêt que porte la star interplanétaire à notre modeste pays ? Le doute est permis dès Le Carnaval des animaux où, avec son épouse Gina Alice Redlinger (née en 1994), il est placé excessivement au‑devant de l’orchestre – pourtant rien moins que le Gewandhaus de Leipzig dirigé par son Kapellmeister, Andris Nelsons : on ne perdra donc pas la moindre note des petites frappes – on ne parle bien sûr pas des pianistes – qu’un toucher bien sec fait subir à la partition. Les choses sérieuses commencent cependant avec le Deuxième Concerto du même Saint‑Saëns où, dès la cadence introductive, le soliste démantibule le propos, entre rubato insensé et effets de manche. Ensuite, toute occasion d’alanguissement, de maniérisme ou de surlignage sera bonne à prendre. Non, décidément, s’il y a quelque chose que la musique française ne supporte pas, c’est qu’on y fasse des tonnes : que de talent gâché ! Avec le second disque, qui s’ouvre, comme un bis, sur la Toccata des Etudes opus 111 où virtuosité rime avec désinvolture, on touche encore plus le fond : Pavane pour une infante défunte faisant de Ravel un précurseur de Richard Clayderman, puis Petite Suite de Debussy alternant sucreries et coups de fouet du toucher et Pavane de Fauré. Trois transcriptions d’Emile Naoumoff complètent curieusement ce panorama : « In paradisum » du Requiem de Fauré, Duo des fleurs de Lakmé de Delibes et « Le Cygne » de Saint‑Saëns. Et pour faire bonne mesure et payer son tribut aux exigences de l’époque, le tout est saupoudré de brèves pièces de cinq compositrices d’intérêt pour le moins inégal : Dixième des 30 études dans tous les tons majeurs et mineurs de Farrenc, « Romance sans paroles » des Quatre Pièces romantiques de Sohy, Valse lente de Tailleferre, « La toute petite s’endort » des Miocheries de Bonis et « D’un jardin clair » des Trois Morceaux de L. Boulanger. L’édition limitée en vinyle et signée par l’artiste est en vente à moins de 150 euros (149,99 euros) : cela mérite sérieusement réflexion (album de deux disques Deutsche Grammophon 505858). LPL




Voyage à trois





Le lied allemand, dont les interprétations de référence ne manquent pas, a vu ces dernières années sa discographie s’enrichir de variantes interprétatives souvent surprenantes et pas toujours très convaincantes. Récemment, La Belle Maguelone de Brahms a été distribuée à deux solistes (plus le récitant) pour la théâtraliser un peu plus. On a vu aussi un interprète germanique, par ailleurs excellent soliste lyrique, changer arbitrairement l’ordre d’un Liederkreis de Schumann (Florian Boesch, Linn Records). On est également revenu à une pratique du temps de la création des lieder de Schubert, en interprétant la partie piano à la guitare (on taira charitablement le nom de la chanteuse baroque au filet de voix indigne alors que le guitariste argentin est plutôt excellent (Vision fugitive.) Le dernier enregistrement en date fait écho à un spectacle son et lumière sur Le Voyage d’hiver donné par la compagnie Miroirs Etendus au Théâtre de l’Athénée en décembre 2023, dont la finalité était « de désincarner la figure galvaudée du Wanderer et favoriser l’autonomie des poèmes de Wilhelm Müller ». N’ayant pas vu le spectacle, on ne peut que s’interroger sur l’intérêt de confier à deux voix la succession de ces vignettes au contenu désespéré qui narrent l’errance d’un amoureux éconduit dans un paysage hivernal et lugubre. Le résultat ne convainc guère. Si les lieder confiés à la mezzo‑soprano Victoire Bunel sont chantés avec un style et une intensité honnêtes, ce n’est pas le cas du baryton Jean‑Christophe Lanièce, dont la ligne de chant souvent chevrotante et la tendance à crooner quand il n’y a rien de sentimental déparent le cycle. L’accompagnement du pianiste Romain Louveau n’apporte que peu de couleurs à ses interprètes, se tenant à une lecture très sage et assez dépouillée. Après ce voyage à trois à quand la distribution du cycle à un kaléidoscope d’interprètes (b·records LBM057) ? OB




Le carnet d’adresses de Tharaud





Quand il invite ses amis à jouer à quatre mains pour un album de vingt‑deux courtes pièces intitulé « Four Hands », Alexandre Tharaud (né en 1968) ouvre un impressionnant carnet d’adresses : des pianistes, bien sûr – et pas des moindres – de toutes nationalités et générations (Nicholas Angelich, Martin James Bartlett, Mariam Batsashvili, Arielle Beck, Frank Braley, Bertrand Chamayou, Michel Dalberto, David Fray, Momo Kodama, Eric Le Sage, Bruce Liu, Aleksandar Madzar, Alexander Melnikov, Víkingur Olafsson, Beatrice Rana, Emmanuel Strosser, Frédéric Vaysse‑Knitter, Vanessa Wagner) mais aussi des musiciens qu’on ne connaît pas principalement comme pianistes « classiques »·(Gautier Capuçon, Philippe Jaroussky, la chanteuse Juliette). Enregistré de novembre 2020 à octobre 2020 à Boulogne-Billancourt, Berlin, Bruxelles, Londres et Alfortville, le programme ratisse large, de Bach à Glass, sans véritables surprises, sinon 47 secondes d’un mystérieux compositeur pour jazzmen en herbe, Charles‑Henry (édité chez... Henry Lemoine), pour lequel le secondo est un non moins mystérieux « Mr Nobody » (on se souvient que c’est sous ce pseudonyme que Weissenberg avait publié ses arrangements de chansons de Trenet, dont Tharaud lui‑même a précédemment enregistré deux chansons arrangées par Wiéner). Tout n’est pas du même intérêt mais on pourra retenir l’investissement de Vanessa Wagner dans « Stokes » des Trois Pièces pour quatre mains de Glass, la luminosité de David Fray dans « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit » de l’Actus tragicus de Bach (arrangé par Kurtág), la fougue de Beatrice Rana dans Libertango de Piazzolla (arrangé par Kyoko Yamamoto), la rage d’Emmanuel Strosser dans le Prélude de la Sonate de Poulenc et l’émotion que suscite le regretté Nicholas Angelich dans la « Berceuse » de Dolly de Fauré (Erato 5054197933523). SC




Le clavecin monochrome du Grand Siècle





Comme l’indique le très intéressant livret accompagnant ce disque intitulé « Etienne Richard, Professeur du Roy Soleil », dû à la plume de Fabien Armengaud (qui n’est autre que le claveciniste que l’on peut écouter au fil de ces vingt œuvres ou extraits), la plupart des pièces que l’on entend ici sont entourées d’un certain mystère mais « il est raisonnable de penser que ces pièces sont de la main d’Etienne Richard »... Laissons donc l’auditeur lire attentivement cette notice qui, il est vrai, dresse une situation assez complexe, le sieur Richard ayant connu plusieurs homonymes que les dates de naissance et de décès ainsi que les parcours musicaux et professionnels ne permettent guère de distinguer entre eux ! Toujours est‑il que si l’on pense que notre personnage est bien Etienne Richard (1621 ?‑1669), voilà un compositeur intéressant : loué à son époque comme un claveciniste et un organiste hors pair, professeur de clavecin de Louis XIV après avoir été nommé maître d’épinette de la Chambre du Roi, il a laissé plusieurs recueils pour le clavecin dont voici un florilège, enrichi par des pièces signées entre autres Hardel, Couperin, Mézangeau, Pinel ou Chabanceau de La Barre. Bref, voici un beau panorama du paysage français pour clavecin au XVIIe siècle ! Pour autant, et on ne peut que le regretter, ce disque ne marquera guère les esprits. En raison principalement de la retenue de l’interprétation : qu’il s’agisse de la Courante de la Suite en ré mineur de Hardel, de la Passacaille de Rossi ou du Prélude de Richard, Fabien Armengaud pèche par excès de sagesse. On n’entend guère d’imagination, de fantaisie, de fraîcheur ; tout est joué assez avec beaucoup d’application mais ce jeu confine bien souvent à une véritable neutralité. Certes, plusieurs passages, qui sont fréquemment des danses (la Polonaise de Marin Marais, la Courante de la Suite en la mineur de Richard, la Gigue de Hardel), sont bien rythmés mais cette vivacité doit en vérité bien davantage à la partition elle‑même qu’à leur interprétation. Ce disque ne marquera guère non plus en raison de sonorités du clavecin trop souvent métalliques (dommage que cela handicape ainsi la Gavotte de Hardel, morceau fort entraînant au demeurant) qui, de fait, ne servent guère ces diverses partitions. Enfin, en dépit de la diversité des compositeurs représentés ici, on aurait aimé davantage de diversité également dans le style, le paysage claveciniste ainsi brossé s’avérant de fait trop monochrome. Si l’entreprise était donc des plus heureuses, force est de constater que le résultat s’avère des plus décevants (L’Encelade ECL 1903). SGa





Face-à-face




Bach : Suites pour violoncelle seul


          
Pour quel violoncelliste ce recueil n’est‑il pas l’alpha et l’oméga ? Voilà pourquoi tous se lancent à l’assaut de cet Himalaya, certains mêmes à plusieurs reprises au disque. Voici deux nouveaux enregistrements qui viennent ajouter deux lignes à une liste déjà fort longue.
Après des versions pour la branche japonaise de Philips (1993) puis pour Avie (2004), c’est à un éditeur de son pays qu’Antonio Meneses (né en 1957) confie une troisième intégrale. La conception n’a pas fondamentalement évolué, à hauteur d’homme, lyrique et sereine, sans que cela signifie placidité ou manque de souffle. Un peu sourd, le son souffre malheureusement d’un lieu (non précisé) présentant une très forte réverbération, qui écrase les dynamiques et épaissit considérablement l’instrument dans les graves (album de deux disques Azul Music AMDA1859).
Bach a beau être universel, aucun Irlandais n’avait jusqu’à présent enregistré ces Suites : presque un comble alors que chacune se conclut par une... gigue ! Violoncelliste et compositrice, Ailbhe McDonagh (née en 1982) convainc par son articulation franche, son élan et sa vigueur, son phrasé très soigné. Dans une prise de son très claire et un peu trop sèche, elle avance de façon ferme et résolue, moins attentive à la sonorité, voire à la justesse, qu’à la vérité et à la solidité du discours, sans que s’affirme excessivement l’ego de l’interprète... ou de la compositrice (album de deux disques Steinway & Sons 30232). SC




Schumann : les quatre Symphonies


          
Composées en dix ans seulement (1841‑1851), elles n’ont pas tout à fait acquis la réputation de celles de Beethoven ou de Brahms mais n’en sont pas moins solidement installées au concert comme au disque. En voici deux nouvelles intégrales venues des deux côtés de l’Atlantique.
Réalisée entre mars 2018 et novembre 2021, celle de l’Orchestre du Centre national des arts du Canada (Ottawa) et d’Alexander Shelley (né en 1979), directeur musical depuis 2015, pâtit d’un son terne et d’une conduite prudente, voire poussive. Tout cela manque de tension, de générosité, d’élan et de souffle, malgré quelques passages réussis, comme la transition entre les deux derniers mouvements de la Quatrième. Cette intégrale s’inscrit dans le cadre d’un ensemble intitulé « Clara Robert Johannes » et sous‑titré « Une vie en art ». Voici donc d’abord Brahms, également ses quatre Symphonies, où l’on trouve un peu de ce qui manque dans Schumann, notamment dans les mouvements vifs (finale de la Deuxième). Mais c’est Clara Schumann qui est la mieux servie, avec une version très convaincante du Concerto et de la Sonate par Gabriela Montero (qui signe par ailleurs cinq Improvisations au romantisme suranné), dix‑huit beaux lieder interprétés par Adrianne Pieczonka et Liz Upchurch, les Romances opus 11, la Romance en si mineur, les Pièces fugitives, trois Fugues (sur des thèmes de Bach) et quatre Préludes et Fugues par Stewart Goodyear, qui se livre à une improvisation sur des thèmes de la compositrice et auquel s’associent les chefs de pupitre de l’orchestre, Yosuke Kawasaki et Rachel Mercer, pour le Trio avec piano. On retrouve le violoniste, pas très à son avantage, avec Angela Hewitt dans les Romances opus 22. Par conséquent, s’il fallait classer cette somme discographique, ce serait certes à « Schumann », mais assurément à Claraplutôt qu’à Robert (coffret de huit disques Analekta AN28888 ou quatre albums de deux disques AN28877‑8, AN28880‑1, AN28882‑3 et AN28884‑5).
Sans surprise, Marek Janowski (né en 1939) ne se révèle ni fantaisiste ni innovant, mais on peut admirer sa parfaite maîtrise et son respect de la tradition, et ce sans lourdeur, même s’il ne se refuse pas à la densité des textures et de l’écriture, avec des basses solidement assises et des voix secondaires bien mises en valeur. Le Philharmonique de Dresde, dont il a été le Chefdirigent de 2019 à 2023, est dans son élément et cela nous offre en particulier une splendide Rhénane (album de deux disques Pentatone PTC 5186 989). SC




Brahms : Deuxième Trio avec piano


          
En position centrale (1880‑1882) parmi les trois trios (si l’on omet le trio de jeunesse en la), sans doute le moins bien accueilli de son temps et peut‑être encore relativement moins aimé de nos jours, il possède pourtant dans ses mouvements extrêmes le caractère puissant et optimiste d’autres grandes pages contemporaines (Second Concerto pour piano, Premier Quintette à cordes, Troisième Symphonie). Le voici dans le cadre de deux intégrales, l’une en construction, l’autre achevée, où deux trios 100 % féminins permettent également, grâce à des transcriptions, d’aller voir au‑delà des œuvres originales pour cette formation.
Constitué en 2006, le Trio Greenwich débute son intégrale en se jetant avec une grande énergie, parfois même à corps perdu, dans cette musique, avec quelques faiblesses instrumentales, notamment du côté du violoncelle. Mais cette générosité fait également sens dans l’adaptation du Second Sextuor à cordes (1865) réalisée en 1883 par Theodor Kirchner (1823‑1903) : Brahms l’accueillit avec des éloges (« splendide ») qu’on ne peut qu’approuver car ce trio paraît plus vrai que nature (Linn CKD 715).
Le niveau instrumental du Trio Sōra, constitué en 2015 et où Fanny Fheodoroff a remplacé Clémence de Forceville au violon, apparaît supérieur, à commencer par le Bösendorfer de Pauline Chenais, mis en valeur par une superbe prise de son. Voilà qui nous vaut un Deuxième Trio parfaitement mis en place, d’une assurance sereine, plus apollinien que dionysiaque. De même, plutôt que de souligner la fougue romantique du jeune Brahms, les musiciennes confèrent au Premier Trio l’équilibre souverain d’une œuvre de la maturité – de fait, il fut révisé en 1891, trente‑sept ans après sa composition. Quant au Troisième Trio, son caractère héroïque n’est pas surjoué, ce qui couronne une approche tout aussi homogène et cohérente que la formation qui la défend. On peine quand même à oublier la sonorité si particulière et attachante du cor, remplacé par le violoncelle, dans l’arrangement par Brahms lui‑même de son Trio pour violon, cor et piano, avant de prendre congé, comme pour un bis, avec la célèbre « Berceuse » arrangée par Mathieu Herzog. Une nouvelle réussite après une intégrale Beethoven déjà saluée dans nos colonnes (album de deux disques La Dolce Volta LDV132.3). SC




Dutilleux : "Tout un monde lointain..."


          
L’unique concerto pour violoncelle (1970) du compositeur français trouve son origine dans une commande de Rostropovitch – forcément – et dans une inspiration baudelairienne. Impossible pour les violoncellistes français de ne pas l’avoir à leur répertoire : deux d’entre eux viennent d’en publier un enregistrement.
Victor Julien-Laferrière (né en 1990) convainc et séduit par une implication de tous les instants, une tension qui ne se relâche jamais, une expression chaleureuse : tout cela témoigne sans doute de l’adrénaline du concert (février 2022), avec un Orchestre national aux petits soins sous la direction de David Robertson. Un an plus tôt (février 2021), cette fois‑ci sous la baguette de Kristiina Poska mais toujours en public, l’envoûtement hypnotisant et la sorcellerie sonore se prolongent avec Outscape (2016) de Dusapin – son deuxième « concerto » vingt ans après Celo. Dans cette commande de l’Orchestre symphonique de Chicago pour Alisa Weilerstein, le compositeur se montre plus libre que jamais, à l’image de ces premières mesures à la clarinette basse, aux claves et à la grosse caisse qui feraient presque penser à Fratres de Pärt, ouvrant sur une longue (26 minutes) narration rhapsodique, intensément colorée et poétique (Alpha 886).
Faut‑il l’attribuer à une prise de son manquant de grain et de relief ? Toujours est‑il qu’en comparaison, Jean‑Guihen Queyras (né en 1967) paraît plus aseptisé, froid et distant, semblant également peiner à entraîner l’orchestre. Car Gustavo Gimeno, avec l’Orchestre philharmonique du Luxembourg dont il est le directeur musical depuis 2015, ne fait guère vibrer cette musique, pas davantage que dans les deux autres œuvres au programme de cet album : il n’y a pas grand‑chose d’« incantatoire », « obsessionnel » ou « flamboyant » dans les Métaboles, tandis que la Première Symphonie, malgré un Scherzo fort tonique et virtuose, méritait mieux (Harmonia mundi HMM 902715). SC





ConcertoNet a également reçu




Marek Janowski : Haydn
Par un jeu de mots tournant en dérision La Création (Schöpfung), Kagel avait intitulé une de ses œuvres Die Erschöpfung der Welt (« L’Epuisement du monde »). On ressent malheureusement une certaine exténuation dans cet enregistrement pourtant réalisé en public en juillet 2022. Le chef allemand (né en 1939) conduit avec trop de sérieux et d’application un placide Philharmonique de Dresde, dont il a été le Chefdirigent de 2019 à 2023, et l’excellent Chœur de la Radio MDR (Leipzig). Bien que quadragénaires, les trois solistes, Christiane Karg, Benjamin Bruns et Tareq Nazmi, paraissent également bien fatigués et pas toujours à la hauteur (album de deux disques Pentatone PTC 5187 205). SC


Arabella Steinbacher
Après Bruch, Chausson et Korngold, Pentatone poursuit la réédition d’enregistrements concertants de la violoniste allemande (née en 1981) avec deux des plus considérables chevaux de bataille du répertoire. En septembre 2014 avec l’Orchestre de la Suisse romande, malgré une sonorité toujours aussi fine, presque fragile, elle convainc cependant moins dans un Mendelssohn maniéré et mollement dirigé par Charles Dutoit (né en 1936) que dans un Tchaïkovski généreux et engagé, où, dans la Canzonetta, sensibilité n’est pas synonyme de sensiblerie (PTC 5187 325). SC


Inon Barnatan : Schubert
Pentatone réédite très opportunément un enregistrement réalisé en octobre 2012 et autrefois paru chez Avie. Le pianiste israélo-américain (né en 1979) opte pour le classicisme plutôt que de se laisser entraîner dans des gouffres ou des crépuscules : élégance et pudeur dans l’expression, clarté et subtilité du toucher, cette conception superbement équilibrée se déploie souverainement tout au long des antépénultième (ut mineur) et pénultième (la majeur) Sonates et de l’Impromptu en sol bémol de l’Opus 90 (PTC 5187 236). SC


Thierry Pécou : Sangata
Infatigable voyageur et passeur entre les cultures, le compositeur (né en 1965) nous conduit cette fois‑ci en Inde au travers d’une sorte de suite de huit pièces dont le titre, en sanscrit, renvoie à la rencontre et à la connivence. Ce sont celles qu’il entretient aux claviers, ainsi que deux des membres de son Ensemble Variances (les flûtes d’Anne Cartel et les clarinettes de Carjez Gerretsen), avec trois musiciens de la tradition hindoustanie, Ragini Shankar (violon), Rishab Prasanna (flûte bansuri, qui signe la septième pièce) et Amaan Ali Khan (tabla). La démarche n’est pas nouvelle – on songe bien sûr à Menuhin et Ravi Shankar – et elle séduit par son alternance de sonorités ensorcelantes, de lenteurs planantes et de transes rythmées (Klarthe KLA172). SC


Thierry Mechler
Sur cet album enregistré à l’origine en 1993 pour REM, l’organiste français (né en 1962), titulaire de la Philharmonie de Cologne, donne, sur les grandes orgues de la cathédrale Saint‑Etienne d’Auxerre (Oberthür, 1986), deux de ses transcriptions. Trente ans après, l’habile arrangement de Pierre et le Loup est complété par le texte dit par Vincent Figuri, qui en a réalisé à cette occasion une nouvelle traduction. D’autres organistes se sont déjà intéressés aux Tableaux d’une exposition, mais la problématique reste toujours la même : la transcription fonctionne bien dans les pages lentes et massives, comme « Catacombes » ou « La Grande Porte de Kiev », mais quels que soient la virtuosité et le talent de l’interprète, dans les pages rapides, comme « Ballet des poussins dans leurs coques » ou « Limoges. Le Marché », ne pouvant pas être jouées aussi vite et de façon aussi articulée que souhaitable, l’instrument paraît empâté (Salamandre SAL 006). SC


La rédaction de ConcertoNet

 

 

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