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James Bowman (1941‑2023)
05/18/2023

La disparition de James Bowman : une étoile s’éteint


Qu’on nous permette de débuter cet article par un souvenir personnel... C’était, je crois, au mois de juillet 2002 ou 2003 : un concert comme il y en a parfois l’été à la Sainte‑Chapelle, à Paris, où chantait James Bowman. La représentation (Händel, Purcell, Dowland dans mon souvenir) se déroula sans problème, le public, venu nombreux, réclamant un bis pour conclure ce concert de fin d’après‑midi. Et là, ce furent quatre à cinq minutes de chant tout bonnement éblouissant (un air de Händel), perturbées par la sonnerie intempestive d’un téléphone portable, suscitant de la part de Bowman un geste d’agacement sans pour autant qu’il cesse de chanter. Le soleil dardait ses rayons à travers les vitraux de la Sainte‑Chapelle et le miracle du chant s’en était encore trouvé accru, si tant est que cela fût possible : un souvenir demeuré intact jusqu’à aujourd’hui.


Car l’écoute des enregistrements de James Bowman ne cesse d’impressionner, dix, vingt, trente ans après. Une voix dont la facilité d’émission le dispute à la puissance (totalement maîtrisée), l’œil volontiers goguenard que l’on pouvait percevoir sur scène (et que l’on peut toujours observer sur certaines vidéos disponibles notamment sur YouTube) ne traduisant par ailleurs jamais aucune désinvolture dans un chant toujours racé, juste et séduisant.


James Bowman est né au cœur de la guerre, à Oxford, le 6 novembre 1941. Ayant été intégré dès son plus jeune âge dans des chorales, il chante notamment dans le chœur de la cathédrale d’Ely (dans le comté de Cambridge) avant d’intégrer le Choir of New College Oxford (au sein d’une vénérable institution créée en 1379), une des plus anciennes formations chorales d’Angleterre, et le Christ Church Cathedral Choir (la Christ Church Cathedral School étant une vénérable école de garçons fondée en 1546). Naturellement baryton‑basse, Bowman se découvre voix de tête et travaille un répertoire essentiellement baroque qui le conduit à donner son premier récital en 1959, à Oxford. Alors qu’il est encore étudiant, il se présente à une audition devant Benjamin Britten, qui recherchait un chanteur pour tenir le rôle d’Obéron dans Le Songe d’une nuit d’été en lieu et place du célèbre Alfred Deller, pourtant dédicataire de l’œuvre et qui participa à la création en juin 1960. C’est donc un peu par hasard que Britten retient ce jeune chanteur pour la beauté de sa voix mais également son volume et sa capacité à emplir une salle sans jamais forcer, Bowman faisant donc ses débuts à la scène dans Le Songe d’une nuit d’été en 1967, au Festival d’Aldeburgh. L’entente entre le compositeur et son interprète est telle que Britten lui écrira plusieurs pièces, qu’il s’agisse de Canticle IV : Journey of the Magi (1971) ou de la voix d’Apollon dans Mort à Venise (1973). C’est en outre dans ce même rôle d’Obéron que James Bowman fit ses débuts en France, en 1967, au Théâtre de l’Odéon.


C’est également en 1967 que James Bowman intègre l’ensemble de musique ancienne Early Music Consort of London, créé la même année par un flûtiste féru de musique ancienne, David Munrow. Et dès 1969, l’ensemble enregistre son premier disque pour Argo (qui dépendait alors de la firme Decca), consacré à la musique florentine du XIVe siècle, « Ecco la Primavera » ; outre Bowman et Munrow, on y croise les noms du ténor Nigel Rogers, du luthiste Robert Spencer et d’un certain Christopher Hogwood, qui tient les parties d’orgue mais aussi de harpe et de percussions. Suivront très rapidement un disque consacré à la musique au temps des croisades en 1971, la bande‑son du film Henry VIII and His Six Wives en 1972 (compilation de musiques de la cour de Londres composées et arrangées par Munrow) et un disque de musique à la cour de Maximilien Ier (1459‑1519). C’est également à cette époque que James Bowman s’intéresse à la musique de Purcell, dont il restera toujours un ardent défenseur, participant à ce titre au très beau disque « Geistliche Musik am englischen Königshof » sous la direction chorale de David Willcocks et sous la houlette instrumentale de Gustav Leonhardt, qui dirige à cette occasion le Leonhardt Consort (disque Das alte Werk). En 1973, il participe à l’enregistrement du Messie de Händel, toujours sous la direction de Willcocks qui dirige pour l’occasion l’Academy of St Martin in the Fields (EMI), le Caro Sassone faisant figure de pilier du répertoire de Bowman, qui défendra toutes ses œuvres, y compris certains opéras et oratorios méconnus (Admeto, Athalia...).


Dès lors, James Bowman, dont la voix pure et la technique virtuose s’imposent rapidement sur la scène lyrique, devient un habitué des opéras et oratorios baroques, de Händel (The Choice of Hercules au disque sous la baguette de Philip Ledger pour EMI, Giulio Cesare in Egitto, Serse, Judas Maccabeus à la scène) à Cavalli (il tient le rôle d’Endimione dans La Calisto, rôle pour lequel il devient le premier contre‑ténor invité au célèbre Festival de Glyndebourne aux côtés de Janet Baker et Ileana Cotrubas dans le rôle‑titre) en passant par Purcell, Dowland, Vivaldi ou des chansons anonymes du temps de Shakespeare (disque Archiv Produktion où James Bowman est accompagné du seul luth tenu pour l’occasion par James Tyler). La gravure, en 1976, d’un disque rassemblant notamment le Stabat Mater et le Nisi Dominus de Vivaldi avec l’Academy of Ancient Music dirigée par son comparse Christopher Hogwood lui confère une notoriété mondiale, le disque s’étant écoulé à des dizaines de milliers d’exemplaires.


Si James Bowman s’impose essentiellement dans la musique de la Renaissance (voire antérieure) et dans la musique baroque, n’oublions pas qu’il n’en a pas pour autant négligé la musique du XXe siècle avec des pièces de Britten, Vaughan Williams, Bernstein (dans les Chichester Psalms), Reimann, Loussier ou Orff, Bowman chantant dans la version dirigée en 1984 par Riccardo Chailly des Carmina Burana pour les micros de London Records.


Ayant parcouru les plus grandes scènes du monde (Londres mais aussi La Scala, Paris ou Sydney), James Bowman fit ses adieux à la scène à Londres en 2011 (récital Purcell – Händel accompagné par le claveciniste Mahan Esfahani) et en 2012, acceptant néanmoins de chanter de temps à autre pour supporter une œuvre caritative ou aider de jeunes artistes. James Bowman nous a quittés le 27 mars dernier, son décès ayant été unanimement salué par certains des plus grands contre‑ténors d’aujourd’hui, sachant tous combien ils lui sont redevables.


La discographie de James Bowman


Pour celui ou celle qui n’aurait jamais entendu James Bowman ou qui souhaiterait être véritablement convaincu de son talent, deux minutes et trente‑et‑une secondes suffisent : allez sur YouTube, tapez « Bowman » et « Sound the trumpet » (un extrait des Odes for the Birthday of Queen Mary de Purcell), et vous obtiendrez une vidéo où Bowman et Michael Chance se livrent à un duo tout bonnement extraordinaire de finesse, d’entente, de justesse dans les notes et la diction. Attention : le visionnage risque d’être viral...


James Bowman, on l’a dit, est avant tout un ardent défenseur (et illustrateur pourrait‑on dire) du chant de la Renaissance à l’époque baroque. Indémodable, le disque phare de sa discographie est bien entendu son disque Vivaldi (Stabat Mater, Nisi Dominus, complétés par le Concerto RV 153) dirigé par Christophe Hogwood (L’Oiseau‑Lyre, réédité chez Decca). Côté Händel, nous chérissons à titre personnel l’Ode pour l’anniversaire de la Reine Anne : l’entrée de Bowman dans le premier mouvement, « Eternal source of the light divine » est miraculeuse (L’Oiseau‑Lyre). Et que dire du duo avec basse ensuite (« Let flocks and herds their fear forget »), tout aussi admirable ? N’oublions pas non plus sa participation aux enregistrements d’Ariodante sous la baguette de Raymond Leppard (Philips avec une équipe incroyable : Janet Baker, Edith Mathis, David Rendall, Samuel Ramey...) et surtout Athalia (où Bowman chante le rôle de Joad, le rôle‑titre revenant à Joan Sutherland sous la direction vive de Hogwood de nouveau, L’Oiseau‑Lyre) et Belshazzar (sous la direction de Trevor Pinnock, Archiv Produktion). Concluons cet hommage händelien par une très belle compilation d’arias diverses (Esther, Theodora, Saul...) sous la direction très expressive de Robert King (Hyperion).


Plusieurs disques témoignent du goût que développait James Bowman pour la musique anglaise, outre Händel largement cité et constamment enregistré. Citons ici le magnifique disque de duos de Purcell et de Blow avec Michael Chance (Hyperion) ainsi que la gravure pionnière que nous avons déjà évoquée, « Geistliche Musik am englischen Königshof » (disque Das alte Werk). Pour ceux qui aiment les comparaisons, écoutez également le disque consacré aux Odes pour l’anniversaire de la Reine Marie dirigé par David Munrow, dans lequel Bowman fait notamment duo avec le contre‑ténor Charles Brett (Angel, 1976).


Enfin, puisque Benjamin Britten a sans aucun doute été l’une des bonnes fées qui se sont penchées sur le berceau du jeune James, on ne peut pas ne pas citer ici tant l’enregistrement du Songe d’une nuit d’été sous la direction de Richard Hickox (Virgin Classics, 1993), où il campe évidemment le personnage d’Obéron, que celui de Mort à Venise, où sa voix d’Apollon illumine littéralement cette version de référence signée Steuart Bedford (Decca).


Sébastien Gauthier

 

 

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