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La Monnaie: rester visible, se faire entendre 02/23/2021
Bruxelles
La Monnaie
02/19/2021 – et 21 février 2021
Wolfgang Amadeus Mozart: Der Schauspieldirektor, K. 486 – Concerto pour flûte et harpe, K. 297c [299] – Symphonie n° 39, K. 543
Mieke de Groote (Frank), Achille Ridolfi (Eiler), Dietrich Henschel (Buff), Marie-Aurore d’Awans (Madame Pfeil), Nadine Baboy, Hervé Loka Sombo (Mesdames Krone), Evelien Van Hamme (Madame Vogelsang), Yves Saelens (Herr Vogelsang), Lenneke Ruiten (Madame Herz), Simona Saturova (Mademoiselle Silberklang)
Matteo Del Monte (flûte), Agnès Clément (harpe), Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction)
Michael De Cock et Fabrice Murgia (concept, réalisation, mise en scène, adaptation du livret)
(© Jean-Claude Wouters)
En cette période minée par l’interminable crise sanitaire, les acteurs du monde culturel tentent de maintenir un lien avec le public avec l’énergie du désespoir, alimentée par l’espérance de reprendre un jour une activité normale. En ce mois de février, la Monnaie a proposé deux productions, un opéra et un concert, d’un peu moins d’une heure, accessibles par streaming, moyennant une modeste contribution financière, et consultables sur le site respectivement jusqu’au 26 et 28 février.
Représenté le 19 février, Le Directeur de théâtre (1786) de Mozart se prête bien à ce format et à ce mode de diffusion. Cet ouvrage contemporain des Noces de Figaro dure, d’ailleurs, tellement peu longtemps, avec son ouverture et ses quatre numéros, qu’il vaut mieux l’allonger avec des extraits empruntés à d’autres pièces, comme, dans cette production, un extrait du Finale de la Trente-neuvième Symphonie, un extrait de l’Ouverture des Noces ou encore l’Air de concert K. 418, et compléter le livret de Johann Gottlieb Stefanie avec de nouveaux dialogues.
Michael De Cock et Fabrice Murgia en signent une adaptation intelligente et savoureuse, avec un second degré réjouissant, le tout saupoudrée de belgitude et d’échos au contexte actuel. Les caméras filment l’action sur la scène, où chantent, comme dans une version de concert, Lenneke Ruiten, Simona Saturova, Yves Saelens et Dietrich Henschel, mais aussi dans la salle, les couloirs, les loges, les coulisses et même devant le théâtre. Malgré les mérites des chanteurs, parfaitement exercés au style mozartien, et la prestation, vive et limpide, de l’orchestre, le point fort réside surtout dans le jeu théâtral, épatant et auquel participe même brièvement le vrai directeur de la Monnaie, ainsi que dans le concept, qui confronte XVIIIe et XXIe siècles, comme pour rappeler que les difficultés que durent affronter les intendants de l’époque ne sont guère différentes de celles d’aujourd’hui. Les désopilants Achille Ridolfi et Mieke de Groote, travestie en directeur poudré et en perruque, se distinguent tout particulièrement dans l’ironie mordante et l’humour de bon goût, la vigoureuse dispute avec la madame Vogelsang d’Evelien Van Hamme justifiant presque à elle seule la visualisation de cette captation. D’une grande portée symbolique, bien plus profonde et subtile qu’elle n’y paraît, cette production relève quasiment du manifeste politique et témoigne parfaitement de l’intégrité et de l’excellence de la Monnaie.
Le 21 février, Alain Altinoglu a dirigé l’orchestre dans deux autres œuvres de Mozart, l’une de jeunesse, l’autre de maturité. Les musiciens se tiennent sur la scène à bonne distance, tous masqués de noir, sauf le chef, les solistes et, bien entendu, les instrumentistes à vent. La captation met bien en valeur le jeu impeccable de tenue et de maîtrise de Matteo Del Monte, flûte solo depuis 2018, et d’Agnès Clément, harpe solo depuis 2013, dans le Concerto pour flûte et harpe (1778). La finesse du cantabile et la précision du dialogue distinguent leur prestation, tandis que le directeur musical veille à la justesse de l’expression et de la rigueur de la mise en place, sans précipitation. Le duo bénéficie ainsi d’un accompagnement orchestral clair et équilibré.
L’interprétation de la Trente-neuvième Symphonie (1788) se révèle tout aussi aboutie. Cet orchestre affiche une forte cohésion, développe de belles sonorités et anime cette musique avec ce qu’il faut d’élégance et de vigueur. Les quatre mouvements, en particuliers les plus rapides, se caractérisent par une certaine fermeté dans les accents et une grande netteté d’articulation, notamment lors des échanges entre les instruments à vent. Les tenants des pratiques historiquement informées risquent de trouver cette approche passéiste, mais le caractère traditionnel et, en fin de compte, indémodable, de cette exécution travaillée dans les détails ne manque pas de convaincre. Le chef ne s’autorise vraiment aucun ralentissement, ni le moindre relâchement.
Le format de ces capsules vidéo est idéal, tant il semble illusoire de vouloir conserver constamment l’attention pendant une longue période avec ce mode de diffusion. Le site de la Monnaie fournit également les biographies des interprètes, ainsi que les notes, avec le même niveau d’exigence qu’une production en présence du public. Il faut souligner également la haute définition du son et de l’image, ce qui rend l’écoute et la vision vraiment plaisants. Toutefois, malgré l’intérêt du projet et le soin apporté à sa réalisation, un sentiment de frustration, voire d’amertume, domine. Ne considérons jamais cette tentative engagée de rester visible et de se faire entendre comme la norme, à l’instar d’autres aspects de notre quotidien, désormais régenté depuis bientôt un an. Vivement le retour au théâtre et à la vraie vie!
Le site de la Monnaie
Sébastien Foucart
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