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La saison 2020-2021 des Berliner Philharmoniker 04/25/2020
Une saison hypothétique...
Alors que la crise sanitaire du covid-19 frappe le monde entier et met à l’arrêt concerts et activités culturelles de manière générale, de New York à Sydney en passant par Londres, Hambourg ou Paris, l’Orchestre philharmonique de Berlin vient de mettre en ligne son programme pour la saison 2020-2021. Tout en ayant prévu à une date ultérieure mais non encore connue à ce jour l’habituelle conférence de presse avec son directeur musical et les représentants de l’orchestre (où devraient être vraisemblablement présents, outre Kirill Petrenko, Andrea Zietzschmann, directrice générale de l’orchestre, et Olaf Maninger, violoncelliste et représentant de l’organisation «média» de l’orchestre), sous la houlette expérimentée d’Elisabeth Hilsdorf, chargée des relations publiques, voici au moins la feuille de route de l’orchestre pour la saison à venir.
Connu pour ses goûts éclectiques, Kirill Petrenko ne déçoit pas en présentant une saison des plus audacieuses. Tournant autour de trois grands axes (le grand répertoire romantique, les années 1920 et la musique russe), le chef russe dirigera notamment deux opéras en version de concert: Mazeppa de Tchaïkovski et Francesca da Rimini de Rachmaninov. Si quelques compositions célèbres seront également jouées sous sa baguette (signalons, par exemple, le premier concert de la saison, hypothétiquement donné le 28 août prochain, qui associera la Passacaille de Webern, à la Première Symphonie de Mendelssohn et à la Quatrième de Brahms), Petrenko impose surtout un répertoire reflétant le XXe siècle, de Charles Ives à Igor Stravinsky (Œdipus Rex), de Gustav Mahler (la Neuvième Symphonie) à Richard Strauss et Joaquín Rodrigo, tout en reprenant la Deuxième Symphonie «Asraël de Suk à Salzbourg et Lucerne notamment, à la fin du mois d’août 2020, sous réserve du maintien de ces concerts.
Une des grandes innovations de cette saison consistera en l’instauration d’un nouveau festival («Biennale of the Berliner Philharmoniker»), prévu pour se dérouler à Berlin tous les deux ans, au mois de février, et qui sera consacré à une période artistique ou à un phénomène culturel d’ampleur. Mêlant musique, cinéma, expositions et conférences, cette première édition sera dédiée aux années 1920 et associera, outre le Philharmonique, le Komische Oper (dont Petrenko fut le directeur musical), le Deutsche Oper, le Berlin Institution Film Festival entre autres... Le programme fort diversifié se conclura par une projection du film Berlin, symphonie d’une métropole au Friedrichstadt-Palast, la bande-son étant prévue pour être assurée en direct par des musiciens du Philharmonique. Rendez-vous donc en février 2021!
Une autre thématique sera la mise à l’honneur avec l’hommage rendu aux femmes compositrices: on pourra ainsi entendre à la Philharmonie des œuvres de Betsy Jolas, Rebecca Saunders, Kaija Saariaho ou Olga Neuwirth. Signalons à ce sujet que l’orchestre ou ses membres assureront huit créations mondiales dont Keyframes for a hippogriff - Musical Calligrams in memoriam Hester Diamond de Neuwirth (sous la baguette de Daniel Harding lors des Musikfesten 2020, au mois de septembre prochain) et Catamorphosis d’Anna Thorvaldsdóttir (en janvier 2021 sous la direction de Kirill Petrenko).
Hormis son directeur musical, l’orchestre accueillera, comme à son habitude, des chefs confirmés: Thielemann, Blomstedt, Barenboim (pour deux concerts dont un consacré à l’intégrale de Ma Patrie de Smetana, qu’il avait dirigée il y a trois ans à Paris à la tête des Wiener Philharmoniker), Mikko Franck (dans un copieux concert associant le Premier Concerto de Brahms et la Cinquième de Sibelius), Rattle, Minkowski, Roth, Harding, Mehta (dans un programme Messiaen/Bruckner)... Cette saison verra également les débuts de Lahav Shani (dans un concert associant le Vingt-septième Concerto pour piano de Mozart et Pelléas et Mélisande de Schoenberg) et de Jean-Christophe Spinosi, accompagnant à cette occasion Philippe Jaroussky, qui offrira ainsi sa première collaboration avec les Berliner. Sauf erreur, Susanna Mälkki sera cette année la seule femme à diriger l’orchestre, dans un concert où sera notamment donné Le Château de Barbe-Bleue de Bartók: lorsqu’on se souvient du brillant résultat qu’elle avait donné lors des Musikfesten 2017, on ne peut qu’être impatient de l’entendre... Signalons enfin que Tabea Zimmermann, altiste bien connue (qui a fait ses débuts avec les Berliner en 1992 dans le Concerto pour alto de Bartók sous la direction de Bernard Haitink), sera cette année l’artiste en résidence. Elle participera ainsi à de nombreuses représentations de musique de chambre ou de musique concertante, créant même le Stabat Mater de Wolfgang Rihm aux côtés du baryton Christian Gerhaher.
Outre leur participation aux Festivals de Salzbourg et de Lucerne, les Berliner Philharmoniker assureront de nouveau le spectacle au Festival de Baden-Baden du 27 mars au 5 avril 2021. Quelques concerts à l’étranger sont également à signaler, dont une longue tournée américaine au mois de novembre 2020 (Naples, Miami, Ann Arbor, Chicago, Boston, New York...) et plusieurs concerts en Espagne au mois de mai 2021, à la suite de l’habituel Europa Konzert donné à la Sagrada Família de Barcelone qui, sous la direction de Kirill Petrenko, sera entièrement consacré à Mozart (Vingt-cinquième Symphonie, Exsultate, jubilate, Ave verum corpus et Messe du couronnement). Regrettons au passage que le Philharmonique ne passe pas par Paris, sa dernière venue française remontant donc à février 2019.
Comme chaque année, et de façon on ne peut plus rodée désormais, les concerts du Philharmonique s’intercaleront entre de multiples concerts de musique de chambre auxquels participeront plusieurs musiciens de l’orchestre, les concerts destinés à un public plus familial (avec la participation toujours centrale dans ce type d’événements festifs de la corniste Sarah Willis) ou de Konzerttermine qui, joués en seconde partie de soirée le samedi après le concert donné par le Philharmonique à 19 heures, permettront d’entendre à partir de 22 heures le Scharoun Ensemble Berlin jouer Olli Mustonen ou Paul-Heinz Dittrich (le 10 octobre) ou des musiciens de l’orchestre qui auront à cœur de nous faire découvrir des œuvres d’Erwin Schulhoff (le 20 février), Krenek ou Weill (le 27 février). Mentionnons également les prestations des Berliner Barock Solisten sous la direction de Reinhard Goebel (Telemann, Händel et Bach) au mois de décembre et des élèves de l’Académie Karajan, qui joueront sous la baguette de Pablo Heras-Casado également au mois de décembre (Schubert et Beethoven notamment). Enfin, on ne peut qu’être attiré par le projet de Kirill Petrenko d’enregistrer et de diriger la Dixième Symphonie de Chostakovitch avec des musiciens amateurs venus du monde entier dans le cadre du projet BE PHIL Orchestra, le concert étant d’ores et déjà prévu le 9 mai 2021.
Côté médias, outre notamment la poursuite et l’enrichissement du «Digital Concert Hall», une seule sortie discographique est annoncée à ce jour: il s’agira de l’édition en disque vinyle de la Septième Symphonie de Bruckner, reflet du dernier concert donné par Bernard Haitink à la tête de l’orchestre au mois de mai 2019.
Belle et riche saison donc, même si celle-ci ne nous semble pas dominée par un événement qui en serait le phare. Ne nous plaignons pas pour autant. Reste néanmoins à savoir ce qu’il en sera puisque la crise sanitaire liée au coronavirus (et son actuelle recrudescence en Allemagne qui a peut-être trop tôt démarré son déconfinement...) hypothèque grandement la tenue des concerts, du moins en leur configuration traditionnelle. Rappelons en effet que le président de l’Académie des sciences Leopoldina, Gerald Haug, a déclaré, le lundi 13 avril, que la fermeture des stades et des salles de spectacle pendant encore dix-huit mois «serait certainement très avisée», la chancelière Angela Merkel ayant elle-même interdit tout grand rassemblement (incluant donc les concerts) jusqu’au 31 août au moins. Autant dire que si personne n’envisage à cette heure une «année musicale blanche» en Allemagne, le risque est bel et bien présent... Croisons les doigts!
Le site de l’Orchestre philharmonique de Berlin
Sébastien Gauthier
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