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Entretien avec A. Piguet
01/11/2020


A la découverte des Werke ohne Opuszahl de Beethoven à Genève


André Piguet, mélomane et président de l’agence Crescendo, a eu l’idée de célébrer le deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de Beethoven en faisant jouer à Genève cinquante de ses trois cents «œuvres sans numéros d’opus» (WoO). Il s’exprime sur ConcertoNet à propos de cette initiative originale.



A. Piguet


Comment vous est venue cette idée de faire jouer ces Werke ohne Opuszahl?
De façon toute banale en somme. J’avais entendu quelques WoO. On en trouve sur plusieurs disques: l’Andante favori, les Variations pour violoncelle, le rondo de rechange pour le Deuxième concerto. Ce sont toutes des pièces superbes.
J’ai eu la curiosité de «creuser» et j’ai été effaré (il y a des années!) d’apprendre que Beethoven laissait plusieurs centaines de WoO, presque toutes œuvres achevées. J’ai fouiné et me suis procuré des disques. J’ai constaté que de grands interprètes, des Schnabel, Kempff, Argerich, Gilels, Richter, Menuhin, Casals, Brendel, etc. n’avaient pas dédaigné jouer ces pièces.


Quelle est la valeur artistique de ces pièces?
Elles sont bien davantage que des curiosités. On y trouve certainement du bon et du moins bon mais les authentiques chefs-d’œuvre se comptent par dizaines. Pour notre projet, nous avons retenu les cinquante qui nous ont paru les plus inspirées, les plus réussies.
J’attire volontiers l’attention sur la toute première œuvre de Beethoven, les Neuf Variations sur une marche de Dressler: elles ne le cèdent en rien aux variations de ses prédécesseurs. De fait, il est difficile de tracer une limite entre les opus et les sans opus puisqu’il se trouve des numéros d’opus posthumes et d’autres que Beethoven a extraits des WoO, pour les placer par exemple dans ses recueils de Bagatelles.
Valeur toujours: beaucoup de ces pièces sont des pièces de relative jeunesse. Beethoven avait, à son arrivée à Vienne, charge (imposée par Waldstein) de s’imprégner de l’esprit de Mozart. Il n’était pas alors en quête de son propre langage. Il s’est magnifiquement coulé dans l’esprit de celui qui venait de disparaître.
Tout cela dit, les WoO se répartissent sur toute la carrière compositionnelle de Beethoven.
J’ajoute un dernier point. On trouve souvent dans les WoO des thèmes qui plus tard seront repris dans des œuvres majeures: thème de l’«Ode à la Joie», thème de Prométhée, etc.


A-t-il été difficile de trouver des musiciens pour travailler ces pièces?
Non, cela fut très facile. Cela a même généré un enthousiasme général des instrumentistes que nous avons sollicités. Les seuls qui ont hélas décliné sont ceux qui ont qui étaient pris aux dates dites.


Comme pour Mahler ou Schubert, il existerait donc un mouvement d’une Dixième Symphonie?
Le mouvement qui sera joué a été reconstitué par Barry Cooper, qui est mieux placé que quiconque pour faire ce travail. Sa reconstitution n’a pas eu l’heur de plaire à tout le monde mais majoritairement elle a été très positivement saluée, par Menuhin par exemple. Certains contestent que Beethoven ait eu une Dixième Symphonie en chantier. Le fait est pourtant avéré par les courriers du compositeur lui-même. En revanche, on ne peut prouver que toutes les esquisses utilisées par Cooper étaient destinées à la symphonie. Elles étaient cependant suffisamment nombreuses, suffisamment élaborées pour que l’on puisse en faire une composition crédible. L’imprévisible Beethoven aurait certainement fait autre chose mais c’est bien sa patte qui se révèle dans ce premier mouvement. En revanche, il ne se justifiait pas de reconstituer le scherzo, pour lequel Beethoven n’a laissé des notes que très éparses.


Pouvez-vous nous parler de Barry Cooper?
C’est un «monstre» au regard de ses compétences, qui ne se rapportent pas qu’à Beethoven. L’homme est pianiste, musicologue, organiste, compositeur et enseignant à l’Université de Manchester. Il est vrai que c’est pour son travail sur Beethoven qu’il est le plus connu, avec son dictionnaire Beethoven notamment. Ce qui me paraît le plus intéressant chez lui est son étude des processus de création, en particulier chez Beethoven, dont il a étudié les esquisses comme personne avant lui. C’est bien cela qui l’a autorisé à donner une version du premier mouvement de la Dixième Symphonie: il a beaucoup observé les stratégies compositionnelles de Beethoven, de sorte qu’il est parvenu à donner une unité à la conduite de ce premier mouvement. Il a aussi publié une intégrale critique des Sonates pour piano. Des trente-cinq sonates (et non des trente-deux): il inclut donc, ce qui me paraît logique, les trois Kurfürstensonaten, qui ne sont certes pas des compositions déshonorantes.


En somme, qu’apportent les WoO à la connaissance de Beethoven?
La vision que l’on a de Beethoven est souvent réductrice, voire caricaturale. On retient de lui surtout les élans volontaristes de l’homme qui combat, avec une énergie farouche, l’adversité. Les WoO montrent que Beethoven ne se résume pas à ce trait: il s’est beaucoup intéressé aux musiques folkloriques, irlandaises, galloises, écossaises, italiennes même. Au travers d’un nombre très important de danses, contredanses, menuets et ländler, il tempère fortement l’image du misanthrope. Enfin, avec les WoO, on découvre que Beethoven s’est énormément intéressé à la voix, avec une quantité inattendue de lieder, duos, canons, etc, qui font appel à des compositions très variées, le piano n’étant pas le seul instrument voué à l’accompagnement.


[Propos recueillis par Antoine Lévy-Leboyer]

 

 

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