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CD, DVD et livres: l’actualité d’octobre 10/15/2019
Au sommaire :
Les chroniques du mois
En bref
ConcertoNet a également reçu
Les chroniques du mois
Must de ConcertoNet
Le Trio Zadig
Fabrice Bollon dirige Magnard
Les Percussions de Strasbourg
Delphine Galou chante Vivaldi
Sélectionnés par la rédaction
Pierre Hantaï interprète Scarlatti
Lucas Debargue interprète Scarlatti
Le Trio Busch interprète Dvorák
Oui !
Jean Rondeau interprète Scarlatti
Nicola Reniero interprète Scarlatti
L’Ensemble La Française
Mariss Jansons dirige Bruckner
Delphine Galou chante Vivaldi
Philippe Cassard interprète Fauré
Billy Eidi interprète Fauré
Eric Le Sage interprète Fauré
Nicolas Stavy interprète Fauré
Marek Janowski dirige le Freischütz
Les chanteurs de l’Académie Orsay-Royaumont
Andrew Davis dirige Vaughan Williams
Pourquoi pas ?
Lillian Gordis interprète Scarlatti
Eylam Keshen interprète Scarlatti
Le pianiste Andrea Lucchesini
L’Ensemble Pizzicar Galante interprète Scarlatti
Robin Ticciati dirige Bruckner
Klaus Tennstedt dirige Beethoven
Giuseppe Sinopoli dirige Beethoven et Ravel
Esa-Pekka Salonen dirige Beethoven et Strauss
Aurélie Loilier et Qiaochu Li interprètent Holmès
Xavier Phillips et Anne Gastinel interprètent Offenbach
Pas la peine
Alberto Urroz interprète Scarlatti
Rémy Ballot dirige Bruckner
René Jacobs dirige Léonore
Philippe Jordan dirige Beethoven
Maxim Emelyanychev dirige Beethoven et Brahms
Manfred Honeck dirige Beethoven et Strauss
Œuvres pour instruments à vent de Beffa
Tristan Pfaff interprète Beffa
Thierry Fischer dirige Prokofiev
En bref
Janowski revient au Freischütz
Deux œuvres significatives de Vaughan Williams
Le promenoir des jeunes chanteurs de l’Académie Orsay-Royaumont
Le pré carré fauréen des pianistes français
Héroïque de Beethoven: six parutions
Léonore, retour aux sources
Augusta Holmès, une mélodiste à découvrir
Karol Beffa entre horloges et nuages
Janowski revient au Freischütz
Nul doute qu’avec le Freischütz, Marek Janowski est dans son élément, entre Mozart et Beethoven, d’un côté, Schumann et Wagner de l’autre: de fait, il a dirigé le romantische Oper de Weber à de nombreuses reprises – par exemple au Châtelet en 1988 pour la production d’Achim Freyer – et il l’a déjà enregistré en 1994 à Berlin pour RCA. Vingt-cinq ans plus tard, c’est, pour ce qui le concerne, une réalisation tout à fait aboutie, vivante, parfois même enflammée et spectaculaire, avec un sens dramatique très affûté. Cela n’étonnera certes pas de la part d’un chef familier de la fosse, mais, alors que le livret ne précise pas s’il s’agit d’une captation en public et qu’aucun bruit ne vient parasiter l’écoute, on en vient quand même à se demander si ce ne sont pas en tout ou partie les concerts donnés à Francfort les 29 et 30 novembre 2018, tant l’animation et la tension semblent présentes. A tout le moins, cette version a été réalisée en marge de ces concerts et en a sans nul doute bénéficié. En outre, au fil des années, Janowski a perdu de sa raideur un peu abrupte, et ne passe donc pas à côté de la poésie, du charme, de la fraîcheur et de la naïveté si essentiels à cette musique. L’Orchestre symphonique de la Radio hessoise est à la hauteur, avec de magnifiques cors en vedette, secondé par le remarquable Chœur de la Radio MDR de Leipzig. Le chant laisse en revanche une impression mitigée. Les deux rôles principaux sont confiés à des voix puissantes: si l’on n’a effectivement aucun doute quant au format vocal de Heldentenor d’Andreas Schager, qui était encore Tristan à Paris la saison dernière, sa justesse et sa subtilité interrogent davantage, tandis que Lise Davidsen, qui a fait cet été ses débuts en Elisabeth à Bayreuth, impose une Agathe bien opulente, qui convient mieux à «Wie nahte mir der Schlummer» au deuxième acte qu’à «Und ob die Wolke» au troisième. Moins extraverti, Alan Held s’éloigne avec pertinence du cliché d’un Kaspar grand méchant à la voix caverneuse. Quant à Sofia Fomina, il est des Annchen plus piquantes, mais la soprano russe, qui sera Manon en février prochain à Bastille, ne manque pas pour autant de qualités. Précisons enfin que dans l’esprit d’une version de concert, les dialogues sont remplacés par une «narration» de Katharina Wagner et Daniel Weber que se partage un duo manichéen de personnages constitué de l’Ermite et de Samiel, ce dernier incarné par une comédienne au jeu assez caricatural et forcé, entre ricanements machiavéliques un peu attendus et Moritatsängerin brechtienne (coffret de deux disques Pentatone Classics PTC 5186788). SC
Deux œuvres significatives de Vaughan Williams
Andrew Davis est actuellement directeur musical et chef principal de l’Opéra lyrique de Chicago, chef principal de l’Orchestre symphonique de Melbourne et chef lauréat de l’Orchestre symphonique de la BBC et de celui de Toronto, mais, souvent invité ailleurs, c’est à la tête de l’Orchestre philharmonique de Bergen, qu’il propose ce riche programme consacré à Ralph Vaughan Williams (1872-1958). Job. A Mask for Dancing (1930) et la Neuvième Symphonie en mi mineur (1956-1957) figurent parmi les œuvres les plus significatives du compositeur. Ensemble, elles permettent de saisir toute la spécificité de son écriture orchestrale au travers d’ambiguïtés tonales et modales, de textures transparentes ou denses, de violentes fulgurances au bord de la dissonance et d’accalmies lumineuses et mélodiques, parfois à résonance pastorale. Job demande un orchestre important qui inclut un saxophone alto, deux harpes un orgue et une percussion fournie. La Neuvième Symphonie requiert un pareil effectif, sans orgue mais avec deux saxophones alto et un ténor, et un flügelhorn, effectifs maniés avec finesse dans les deux cas par Vaughan Williams dont le but est non d’une puissance sonore hors propos mais d’une coloration instrumentale et climatique, variée, nuancée et toujours judicieuse. L’interprétation est au diapason (SACD Chandos CHSA 5180). CL
Le promenoir des jeunes chanteurs de l’Académie Orsay-Royaumont
L’éditeur B Records se consacre à l’enregistrement en concert du meilleur des nouvelles générations de musiciens français. Que ce soit au Festival de Pâques de Deauville, au Théâtre de l’Athénée et maintenant à l’Académie Orsay-Royaumont, il restitue des concerts qui méritent d’être immortalisés. Ce «Promenoir des amants» enregistré les 1er et 2 juin 2019 en l’abbaye réunit le travail de quatre duos de partenaires de la première session (2018-2019) de l’Académie dans un florilège de lieder germaniques et de mélodies françaises, inaugurant une nouvelle collection de cet éditeur. Les participants de cette Académie bénéficient en outre d’une tournée internationale avec leurs programmes. Loewe et Schubert pour le baryton-basse Axel Rosen accompagné par Michael Biel, tous deux Américains et issus de la Juilliard School de New York: Alex Rosen excelle plus dans la subtilité de la poésie d’August Kopisch pour Le Lutin de Loewe que dans Le Roi des aulnes de Schubert, qui le trouve souvent à court de timbre et de souffle. Marielou Jacquard et Kunal Lahiry mettent un duo très éprouvé au service des cinq Histoires naturelles de Ravel et Jules Renard pour lesquelles l’esprit domine sur une prononciation pas toujours optimale. Schumann trouve en Jean-Christophe Lanièce, baryton à la voix très souple et aux aigus faciles, un interprète idéal, parfaitement investi dans l’univers poétique de trois lieder de l’année 1840 choisis dans le Liederkreis opus 39 et les Douze Poèmes opus 35. Le même, accompagné par Romain Louveau, est aussi convaincant, à un degré moindre cependant, dans les difficiles mélodies de Debussy extraites du Promenoir des deux amants. Mais la grande surprise de cet album est la découverte de Marie-Laure Garnier, soprano accompagnée par Célia Oneto Bensaid. Pas forcément dans les deux lieder choisis dans l’Opus 27 de Zemlinsky, qui met ses aigus à rude épreuve, mais plus dans les trois Fables de la Fontaine mises en musique par Caplet, qui mettent en valeur la subtilité de l’accompagnatrice et une excellente diction tout en flattant un très riche médium. La romance de Schubert tirée de Rosamonde est la perle de ce programme éclectique montrant la voix de Marie-Laure Garnier très à l’aise dans la partie basse de sa tessiture, riche en couleurs; si la diction n’est pas toujours optimale le style en est parfait (LBM 021). OB
Le pré carré fauréen des pianistes français
Faut-il être français pour (bien) interpréter Fauré? Contrairement à toute règle, celle-ci ne semble pas avoir d’exception. L’actualité discographique semble confirmer cette (ad)équation: même si l’on ne se bouscule pas pour jouer cette musique moins connue, dans cette même génération, que celle de Brahms et trop précieuse pour flatter les egos ou susciter les vivats d’un public en délire, quatre pianistes français apportent chacun une contribution remarquable à la discographie fauréenne.
Philippe Cassard (né en 1962) a construit son programme autour des deux pages concertantes écrites à quarante ans d’intervalle. Héritier d’une tradition qui remonte à Lazare-Lévy et Roger-Ducasse via ses maîtres Jacques Bloch et Dominique Merlet, il séduit dans la Ballade avec un toucher velouté mais pas trop onctueux, entre charme et retenue. Mais il n’est évidemment pas homme à se laisser enfermer dans le cliché fauréen, et on le retrouve donc très différent dans la Fantaisie, où il fait alterner le moelleux des jeunes années avec un néoclassicisme plus astringent. Le reste du programme est partagé entre le pianiste – dans trois Nocturnes de différentes périodes (Deuxième, Quatrième et Onzième) dont il fait bien ressortir l’évolution du style – et l’Orchestre national de Lorraine (devenu depuis Orchestre national de Metz) avec son directeur musical d’alors, Jacques Mercier – d’une délicatesse tout à fait idiomatique dans Pelléas et Mélisande et le Prélude de Pénélope (La dolce volta LDV32).
Elève de Jean Micault, qui fut lui-même élève de Cortot, Billy Eidi (né en 1955) a peut-être trop bien réussi comme partenaire de nombreux chanteurs dans la mélodie française, ce qui a éclipsé sa carrière soliste, elle aussi très orientée vers la musique française. On se dit que c’est vraiment regrettable en écoutant cette belle intégrale des treize Barcarolles. Tendant à unifier le corpus sans en faire ressortir les aspérités, Eidi ne se départ jamais d’un balancement souple, ni trop salonard, ni trop langoureux, sans effusions excessives, mais dans un entre-deux poétique qui n’est pas synonyme de tiédeur et, surtout, demeure toujours d’une parfaite élégance (Timpani 1C1247).
Par son professeur Ventsislav Yankoff, Eric Le Sage (né en 1964) a lui aussi un arbre généalogique fauréen, le pianiste d’origine bulgare ayant étudié à Paris avec Marguerite Long. Après l’intégrale de la musique de chambre, on n’est pas surpris de découvrir maintenant celle des Nocturnes. Comme Eidi dans les Barcarolles, Le Sage unifie les treize pièces et n’attend pas les dernières pour prendre de la hauteur: voici un Fauré moins suave, sans faiblesses coupables, plus pianistique, plus digital, plus carré, plus puissant, plus beethovénien, voire lisztien, avec un véritable soin accordé à la sonorité, notamment de splendides abîmes dans le grave. Du grand piano, à tous les sens du terme (Alpha 414).
Autre élève de Dominique Merlet, Nicolas Stavy (né en 1975) n’a pas la même ambition d’exhaustivité, sinon que son programme couvre, en à peine une heure, la quasi-totalité de la vie créatrice de Fauré, de 1863 à 1922. Il comprend en effet le premier enregistrement de deux pièces tout récemment éditées, une Sonate (bref exercice ou pastiche en trois mouvements dans le style classique) et une Mazurke, respectivement cinquième et huitième numéros du catalogue chronologique de Nectoux. Hormis les trois relativement rares (et délicieuses) Romances sans paroles, le choix de Stavy est plus traditionnel (et plus consistant), avec trois Nocturnes importants (Premier, Sixième et Treizième) et la version originale pour piano seul de la Ballade. Ces grandes pièces sont jouées avec souplesse et fluidité, sans la moindre dureté, même dans les passages les plus puissants, mais n’en sont pas moins éloquentes et fermement tenues, bénéficiant en outre d’une sonorité très soignée. Encore un très bel hommage rendu au génie de Fauré (SACD Bis 2389). SC
Héroïque de Beethoven: six parutions
On ne compte plus, sur «instruments d’époque» comme sur instruments modernes, les versions de référence de l’Héroïque de Beethoven. Mais, il est vrai, quel chef n’aurait pas à cœur de se confronter à l’œuvre et à sa discographie?
En studio début juillet 1979 à Hambourg, Klaus Tennstedt (1926-1998) dirige Orchestre symphonique de la NDR (devenu depuis l’Orchestre de la Philharmonie de l’Elbe de la NDR) pour une approche assez contrastée, même si sans doute moins maximaliste que certaines de ses interprétations en concert: un premier mouvement plutôt lent, parfois âpre, une Marche funèbre sobre noblesse, un scherzo et un finale lumineux et vigoureux. En complément, l’Ouverture Coriolan ne manque pas de puissance mais tend à être un peu trop statique (Profil Edition Günter Hänssler PH16022).
Autre personnalité à part de la direction d’orchestre trop tôt disparue, Giuseppe Sinopoli (1946-2001) dirige Orchestre philharmonique d’Israël en concert le 28 octobre 1993 à l’auditorium Mann de Tel-Aviv. Avec le chef italien, dont c’est apparemment le seul témoignage qui nous soit resté dans cette œuvre, on peut être certain que l’approche sera atypique, entre fascination et agacement. Car ici, le héros est fatigué et la partition se déploie dans une sorte de lassitude lyrique et crépusculaire, aux lourds silences, comme l’évocation d’une humanité désolée. Souffrant plus encore d’une prise de son assez sourde, les Valses nobles et sentimentales de Ravel stagnent dans cette même délicatesse un peu lasse (Helicon Classics HEL029653).
Avec Philippe Jordan (né en 1974), les 25 et 26 février 2017 en public au Musikverein dans le cadre d’une intégrale que l’Orchestre symphonique de Vienne, dont il est le Chefdirigent depuis 2014, publie sous sa propre étiquette, le héros est plus athlétique, parfois même un peu pète-sec, comme cela fait maintenant sous l’influence des «baroqueux». La finesse, la clarté et la légèreté mettent en valeur la polyphonie, mais quelques tics d’interprétation dans les attaques et les nuances ne suffisent pas à donner l’illusion d’une vision. C’est néanmoins une pimpante Première Symphonie qui ouvre l’album (Wiener Symphoniker WS013).
Sous la direction de Maxim Emelyanychev (né en 1988), le discours est bien mené, va de l’avant, sans trop de raideur, avec énergie, sinon héroïsme. Malheureusement, sur instruments anciens, l’«Orchestre de chambre des solistes de Nijni Novgorod» (à propos duquel la notice de présentation est muette) se montre en délicatesse avec la justesse, les cuivres réservant parfois des (mauvaises) surprises. On cherche en vain un rapport avec les Variations sur un thème de Haydn de Brahms proposées en complément, d’une facture agréablement allégée, mais où, l’on s’en doute, la sixième variation, tous cors en avant, constitue un moment pour le moins pénible à passer (Aparté AP191).
Enregistré en public en octobre 2017, Manfred Honeck (né en 1958), à la tête de l’Orchestre symphonique de Pittsburgh dont il est le music director depuis 2008, donne une version de bonne facture et de grand format, technicolor et hédoniste, s’appuyant sur une grosse masse orchestrale, qui ne manque ni de vigueur ni d’ampleur. Mais le trait est volontiers appuyé, hargneux, voire brutal dans le premier mouvement, grandiloquent dans la Marche funèbre, et même irritant dans cette manière de faire ressortir fortissimo le «thème du destin» de la Cinquième Symphonie dans un contrechant des cors. De cor, justement, il est question dans le complément du programme, enregistré cinq ans plus tôt: lié par la tonalité identique de mi bémol, il s’agit du Premier Concerto de Strauss, dans lequel William Caballero, principal horn de l’orchestre depuis 1989, déploie généreusement puissance et virtuosité (SACD Reference Recordings FR-728SACD).
Enfin, Esa-Pekka Salonen (né en 1958) dirigeait le 7 juillet 2018 le concert inaugural du Sinfonia Grange au Lac (formation attachée aux Rencontres musicales d’Evian), rassemblant, à l’image de l’Orchestre du Festival de Lucerne, des pupitres d’excellence issus des grandes formations européennes. Des cinq versions recensées dans ces lignes, c’est certainement la plus complète et la plus équilibrée, mais, c’est le revers de la médaille, il ne s’en dégage pas de lignes de force. Sans pour autant recourir aux procédés stylistiques «baroqueux» (et sans respecter la reprise du premier mouvement), le chef finlandais tire parti d’un effectif restreint (quarante et une cordes) pour éclaircir les textures et livre un travail aussi abouti que manquant de personnalité, hormis une gestion parfois surprenante des tempi. Il a lui aussi choisi de compléter avec Strauss, et même de commencer avec ses Métamorphoses, fondées sur le thème de la Marche funèbre de l’Héroïque: la lisibilité est appréciable dans cette pièce à vingt-trois parties et l’engagement expressif est nettement plus grand, bien moins distancié que dans Beethoven (Alpha 544). SC
Léonore, retour aux sources
Avant Fidelio, il y eut, neuf ans plus tôt, Léonore (et ses trois ouvertures), première mouture toujours passionnante à comparer à l’état définitif de la partition. On doit sans doute à l’approche des festivités beethovéniennes de 2020 cette troisième version au disque, après Blomstedt (1976, EMI) et Gardiner (1997, Archiv Produktion, avec quelques emprunts aux versions de 1806 et 1814), et sans oublier Soustrot, pour la version de 1806 (avec l’Ouverture Léonore III). En public à la Philharmonie de Paris, en conclusion d’une tournée passée notamment par Baden-Baden, le principal mérite de René Jacobs consiste peut-être à donner à l’opéra de Beethoven la cohérence d’atmosphère et de style que lui fera perdre Fidelio, hybride un peu maladroit de Singspiel et de drame. Car sous la baguette raide et vive, voire précipitée, du chef flamand (bien qu’incluant d’abondants dialogues parlés, l’affaire est pliée en deux heures un quart), on se situe clairement moins au début du XIXe qu’encore à la fin du XVIIIe, sans doute assez près de l’esprit de la pièce de Bouilly d’où est tiré le livret. L’impression est accentuée par les sonorités fluettes de l’Orchestre baroque de Fribourg et par une distribution de petit format vocal, quoique parfaitement idiomatique (même le Rocco du Russe Dimitry Ivashchenko), globalement sans réelle faiblesse et même de bonne qualité, à commencer par Marlis Petersen dans le rôle-titre. Toutefois, dès que la musique tend à s’éloigner de cette légèreté de ton, le naufrage menace, comme dans l’Ouverture (Léonore II), qui n’a parfois pas peur du ridicule (coffret de deux disques Harmonia mundi HMM 902414.15). SC
Augusta Holmès, une mélodiste à découvrir
Comme les compositrices ont le vent en poupe, le tour est donc venu pour Augusta Holmès (1847-1903), dont on se souvient sans doute aujourd’hui moins des œuvres (pourtant nombreuses et variées) que de la vie (riche et tumultueuse): filleule (ou peut-être même fille naturelle) de Vigny, elle pose poitrine nue pour Thétis apportant à Achille les armes forgées par Vulcain de Regnault, rencontre Wagner et Liszt, devient l’égérie de Franck, Saint-Saëns et Cazalis (alias Jean Lahor) mais c’est de Catulle Mendès (par ailleurs marié avec Judith, la fille aînée de Théophile Gautier) qu’elle a cinq enfants. L’anthologie de seize de ses quelques cent quatre-vingt mélodies enregistrée par la soprano Aurélie Loilier et la pianiste Qiaochu Li n’est donc pas sous-titrée pour rien «L’Indomptable». Auteur des poèmes, comme elle le fut du livret de son drame lyrique La Montagne noire, Holmès écrit une musique haute en couleur (Chanson persane) et généreuse en sentiments (Invocation), parfois aussi raffinée (Dans un parc abandonné), qui ne rougit ni stylistiquement ni qualitativement auprès de celle de ses principaux contemporains dans ce domaine. Exhalant un capiteux parfum Belle Epoque (L’Eternelle Idole, Souvenir, Ne nous oubliez pas, Nocturne, Charme du jour), elle peut aussi laisser place à l’exotisme (Soir d’hiver), à la chanson populaire (Noël) et même à un zeste de wagnérisme (La Guerrière). Reste à espérer que cette parution incite d’autres chanteuses à mettre ces pages à leur répertoire (Maguelone MAG 358.428). SC
Karol Beffa entre horloges et nuages
En 2001, un compositeur de 28 ans décrivait son nouveau Trio pour clarinette, alto et piano comme s’inspirant des «principes de thermodynamique en milieu adiabatique». Bullshit, comme qui dirait, car il s’agissait bien évidemment de persifler ainsi quelque avant-garde bavarde et prétentieuse. Deux décennies plus tard, Karol Beffa (né en 1973) continue de brouiller les pistes de façon potache. La notice d’une des nouvelles parutions dont il est question dans ces lignes est signée par un improbable «Sliv Huverdartung», sachant que le héros islandais d’une trilogie de romans d’Antoine Bello s’appelle Sliv Dartunghuver... et appartient à une organisation dénommée «Consortium de falsification du Réel». Et, pour faire bonne mesure, l’écrivain, en hommage à sa compagne, a commandé à Beffa une improvisation intitulée «Bérangère ou l’intégrité», qui apparaît dans un disque dont la notice est elle-même attribuée à un certain «Alexandre Schebrius», qui n’est autre que le nom du personnage principal d’un récent roman de Bello. Mais pour en venir à l’essentiel, c’est-à-dire à la musique, ces deux publications montrent un Beffa oscillant toujours, selon la summa divisio établie par Ligeti (dont il fut le biographe), entre l’agitation perpétuelle, parfois même frénétique, des clocks et la poésie flottante, parfois même mélancolique, des clouds.
Associant l’Ensemble Initium et le compositeur, Blow up (2008) pour quatuor de bois et piano donne son titre à un album consacré à la musique pour instruments à vent, où l’on trouvera également des œuvres mettant en valeur la trompette d’Eric Aubier – Concerto (2005) avec orchestre à cordes et Subway (2007) avec piano – ainsi que la harpe de Marie-Pierre Langlamet – Eloge de l’ombre (2005) en solo et Paysages d’ombres (2008) avec, comme dans la sonate de Debussy, flûte (Vincent Lucas) et alto (Lise Berthaud). Fireworks (2011), avec le Quatuor de saxophones Jean-Yves Fourneau, ferme la marche. On peut siroter agréablement ce cocktail, au fond sans prétention, de Satie et de Françaix, d’Adams et de Jolivet, de blues et de danses modernes, d’humour et de rouerie, et, bien sûr, de clocks and clouds (Indésens INDE082).
Pour un admirateur de Ligeti, écrire deux Cahiers successifs (2002, 2011) de six Etudes relève de l’inconscience, du culot ou de l’outrecuidance, ou peut-être bien de tout cela à la fois. Tristan Pfaff (né en 1985), s’il n’est dédicataire que de la dernière, traversée par l’incontournable Dies irae, est le premier à les avoir données en concert dans leur intégralité. Le défi technique, c’est la loi du genre, semble redoutable au fil de ces pièces qui explorent une caractéristique technique (par exemple intervalles), ici aussi dans la tradition du genre, mais qui se fondent également sur des citations (Ravel) ou bien sur la traduction en notes de certains noms – Mozart, Auvers (sur-Oise). En «bonus», un peu dissimulé au fond du disque et de la notice, c’est le dernier des Trois Chorals dans le style de Bach (2010), sorte d’exercice de style, ce que sont aussi, en fin de compte, ces Etudes qui passent en revue à peu près tous les courants pianistiques du XXe siècle (Ad vitam AV 180915). SC
ConcertoNet a également reçu
Xavier Phillips et Anne Gastinel
Nés la même année, tous deux anciens élèves de l’incontournable Philippe Muller... et troisièmes ex æquo au Concours Rostropovitch 1990, ces formidables archets s’emploient, en ce bicentenaire d’Offenbach, à nous rappeler qu’il fut aussi un virtuose du violoncelle. Dans six des vingt-quatre duos de difficulté croissante de son Cours méthodique (1839-1855), le compositeur témoigne une fois de plus de son charme mélodique, mais il est à craindre que cette musique intéressera d’abord les praticiens de l’instrument (La dolce volta LDV71). SC
Thierry Fischer: Prokofiev
Directeur musical depuis 2009 de l’Orchestre symphonique d’Utah qui s’est tant illustré au disque sous la direction de Maurice Abravanel, le chef suisse réussit inégalement dans deux des plus célèbres partitions de Prokofiev pour le cinéma: la cantate Alexandre Nevski manque par trop de relief, mais bénéficie d’une intervention sobre et recueillie de la mezzo Alisa Kolosova, tandis que la Suite de Lieutenant Kijé offre davantage de couleur (SACD Reference Recordings FR-735). SC
Palazzetto Bru Zane: anthologie
Le Centre de musique romantique française marque son dixième anniversaire notamment avec la parution d’un coffret de dix disques intitulé, en version originale, «The French Romantic Experience», et regroupant des extraits de ses abondantes publications, toujours passionnantes et audacieuses. Ces plus de 12 heures balayant tous les genres (opéra, opérette, cantates, église, mélodie, orchestre, piano, musique de chambre) sont à la fois réjouissantes, tant ces pans entiers du répertoire français du XIXe semblaient avoir disparu à jamais, et frustrantes, car ce ne sont ici que des extraits constituant finalement une sorte de copieuse carte de visite de la fondation vénitienne (Palazzetto Bru Zane BZ 2001). SC
La rédaction de ConcertoNet
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