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La saison 2019-2020 des Berliner Philharmoniker 05/18/2019
Le changement, c’est maintenant!
On s’en souvient... Le 11 mai 2015, les 123 musiciens de l’Orchestre philharmonique de Berlin se retrouvaient pour élire leur nouveau directeur musical et, finalement, se séparaient faute d’avoir pu s’accorder sur un nom. Et c’est donc un peu plus d’un mois après, le 21 juin, jour de la fête de la musique, que le nom tant attendu sortit du chapeau: Kirill Petrenko. Pour beaucoup, ce fut une surprise tant ce chef, alors directeur de l’Opéra de Munich et certes admiré pour ses interprétations wagnériennes notamment, était discret, ses enregistrements se comptant sur les doigts d’une main, ses apparitions à la tête des Berliner Philharmoniker se résumant alors à seulement quatre concerts!
Une fois la décision prise, Petrenko et l’orchestre amplifièrent tout doucement leur coopération au fil de quelques concerts où l’on retiendra notamment, pour avoir eu la chance d’y assister, une formidable Quatrième Symphonie de Schmidt et une non moins électrisante Cinquième symphonie de Tchaïkovski. Après une saison 2018-2019 en demi-teinte, Sir Simon Rattle étant parti et Kirill Petrenko n’étant pas tout à fait arrivé puisqu’encore en poste à Munich, voici venir la saison 2019-2020, la première que le chef russe, né à Omsk (en Sibérie) en 1972, prend véritablement en charge en sa qualité de directeur musical du plus prestigieux orchestre du monde.
Diffusée comme à son habitude désormais en direct à la fois sur les réseaux sociaux et en vidéo (la conférence de presse étant visible sur le Digital Concert Hall du Philharmonique, certains extraits étant également visibles sur YouTube), cette conférence de presse rassemblait donc autour de Kirill Petrenko, en costume bleu foncé, Andrea Zietzschmann (directrice générale de l’orchestre depuis septembre 2017), Alexander Bader (clarinettiste mais également représentant du bureau) et Olaf Maninger (premier violoncelle et représentant de l’organisation «médias» de l’orchestre), qui intervinrent chacun à tour de rôle avant qu’Elisabeth Hilsdorf, chargée des relations publiques de l’orchestre, ne donne la parole aux différentes personnes présentes pour un échange de questions-réponses.
O combien symbolique, la première œuvre que Kirill Petrenko présentera en tant que directeur musical sera la Neuvième Symphonie de Beethoven, deux cent cinquantième anniversaire de la naissance du compositeur oblige. Le chef s’expliqua assez longuement sur ce choix qui va au-delà de sa simple inscription dans l’«année Beethoven». Pour lui, la Neuvième exprime à la fois tout ce qui est positif et tout ce qui est négatif dans le monde dans lequel nous vivons, ainsi que toute l’humanité dont nous avons besoin. Eu égard aux sentiments voire aux craintes que l’on peut éprouver dans le monde et, plus spécialement, dans l’Europe d’aujourd’hui, ce choix lui semblait de fait incontournable. Donnée dès le 23 août prochain à la Philharmonie de Berlin, elle sera de nouveau jouée en plein air le lendemain, devant la porte de Brandebourg, avant d’être reprise dans le cadre des festivals de Salzbourg (le 25) et de Lucerne (le 28) avant un dernier concert cette fois-ci à Bucarest (le 31). Hormis pour le concert en plein air et pour le concert hongrois (où elle sera jouée après la Deuxième Rhapsodie d’Enesco), cette symphonie sera à chaque fois précédée de la Suite tirée de Lulu de Berg qui, exprimant également une certaine joie selon Petrenko, permet ainsi de tisser selon lui un lien entre les périodes classiques des XIXe et XXe siècles. La chanteuse requise pour cette dernière œuvre sera Marlis Petersen (qui tiendra d’ailleurs la partie de soprano dans Beethoven), avec laquelle Kirill Petrenko collabore depuis longtemps à l’opéra, Marlis Petersen qui sera d’ailleurs cette année l’artiste en résidence à la Philharmonie de Berlin. De Beethoven, Petrenko dirigera également Fidelio (en version scénique au Festival de Baden-Baden puis les 17 et 19 avril 2020 en version de concert à Berlin) ainsi que la Missa solemnis, mais cette dernière seulement à Baden-Baden, assurant l’assistance de la conférence de presse qu’il la donnerait ultérieurement dans la capitale allemande. Concluant ce panorama beethovénien, Petrenko insista sur les «trois F» qu’expriment ces œuvres à ses yeux: Freude (la joie pour la Neuvième), Freiheit (la liberté pour Fidelio) et Friede (la paix pour la Missa solemnis), ces trois sentiments devant encore une fois être plus que jamais chéris dans un contexte international parfois inquiétant.
Pour le reste, les goûts spécifiques de Petrenko guideront une bonne partie de la programmation de cette saison, et de celles à venir. Ainsi, il dirigera la rarissime Deuxième Symphonie «Asrael» de Josef Suk («son œuvre la plus importante et la plus tragique» comme le précisa Petrenko), pièce qui l’a toujours fasciné depuis sa première écoute, cette exploration devant sans doute conduire à un futur enregistrement discographique. Souhaitant diriger des œuvres peut-être moins connues des répertoires classique et romantique, Petrenko émet le souhait de vouloir se concentrer cette saison sur l’Europe centrale avec également des compositeurs comme Janácek ou Enesco, déjà cité. S’inscrivant par ailleurs dans la tradition mahlérienne de l’orchestre, Petrenko dirigera plusieurs œuvres de Mahler au cours de cette saison, notamment la Sixième Symphonie, les Deuxième et Troisième devant pour leur part être respectivement conduites par Gustavo Dudamel (qui se verra cette année confier le concert de fin de saison à la Waldbühne) et Yannick Nézet-Séguin. Presqu’en s’excusant, Petrenko changea de répertoire en affirmant: «Naturellement, j’ai des affinités particulières avec la musique russe»... De fait, il dirigera également les Danses symphoniques de Rachmaninov, œuvre qui semble lui tenir particulièrement à cœur («une de ses plus grandes compositions à mon avis»), au sein d’un programme assez exigeant (donné exceptionnellement à quatre reprises du 12 au 15 février 2020) qui comprendra également la Symphonie en trois mouvements de Stravinski et le méconnu ballet Alagoana de Bernd Alois Zimmermann. Tout en souhaitant aborder des compositeurs russes plus confidentiels comme Glazounov, Scriabine ou Glière, Petrenko défendit également son souhait de diriger davantage l’avant-garde allemande avec des artistes comme Hindemith, Hartmann ou Kurt Weill, Weill qui sera d’ailleurs au programme du concert de la Saint-Sylvestre, pourtant principalement axé sur la musique américaine au travers des figures de Gershwin et Bernstein.
A côté de Petrenko, c’est un vaste ballet de baguettes qui s’invitera à la tête des Berliner. Des chefs tutélaires bien sûr: Zubin Mehta (une Huitième de Bruckner et un concert conséquent associant Don Quichotte de Strauss et l’Héroïque de Beethoven), Herbert Blomstedt (Mozart et la Romantique de Bruckner), Simon Rattle (deux programmes: le Concerto pour hautbois de Strauss avec Jonathan Kelly en soliste et le rarement donné Christ au mont des Oliviers de Beethoven pour le premier, une pièce de Berio précédant le Concerto pour orchestre de Bartók pour le second), Christian Thielemann (un programme entièrement straussien où seront notamment donnés les méconnus Sonatine pour seize instruments à vent et Trois Hymnes opus 71) et, enfin, Mariss Jansons pour un unique programme dominé par un prometteur Oiseau de feu. Des chefs confirmés également: Daniel Harding (deux concerts dont Roméo et Juliette de Berlioz, donné à trois reprises dans le cadre de la Musikfest en septembre prochain), Paavo Järvi (deux concerts également dont l’un verra la création du Concerto pour cor d’Abrahamsen avec Stefan Dohr en soliste), les frères Fischer (Adám avec Haydn et Mozart, Iván avec Haydn également mais cette fois complété par la Faust-Symphonie de Liszt), Mikko Franck (Rautavaara, Debussy, Prokofiev et Ravel) ou Tugan Sokhiev. Des chefs qui, enfin, n’ont guère dirigé le Philharmonique jusqu’à présent, voire qui vont faire leurs débuts cette année: citons pour cette dernière catégorie le jeune Santtu-Matias Rouvali (pour un concert où seront notamment donnés le Concerto en sol de Ravel par Alice Sara Ott et la Première Symphonie de Sibelius, symphonie qu’il vient d’enregistrer à la tête de l’Orchestre symphonique de Göteborg dans un disque Alpha unanimement loué), Teodor Currentzis pour le Requiem de Verdi et même Daniel Strabawa, un des Konzertmeister de l’orchestre qui dirigera du violon un programme Mozart/Panufnik/Schubert! Mentionnons également plusieurs apparitions françaises avec François-Xavier Roth ou Emmanuelle Haïm dans un programme Purcell/Händel (la Music for the Royal Fireworks et la cantate Apollo e Dafne!), sans oublier Stéphanie d’Oustrac qui chantera La Mort de Cléopâtre de Berlioz sous la baguette du chef tchèque Jakub Hrůsa.
Outre leur participation aux festivals de Salzbourg et de Lucerne (où sera à chaque fois donné le programme Schoenberg/Tchaïkovski que nous avions entendu au mois de mars dernier), les Berliner Philharmoniker assureront une présence conséquente au Festival de Baden-Baden du 4 au 13 avril sous les baguettes de Petrenko, Sokhiev, Blomstedt et Nézet-Séguin. Ils effectueront également trois tournées, la première étant conduite par Zubin Mehta et devant les emmener au Japon (Osaka, Nagoya, Yokohama et Tokyo notamment) au mois de novembre. La deuxième sera exclusivement allemande, Petrenko dirigeant ses troupes à Cologne, Dresde et Hanovre entre autres. La troisième et dernière commencera pour sa part en Israël, de nouveau sous la baguette de son directeur musical (Kirill Petrenko dirigeant l’Europakonzert du 1er mai 2020 à Tel-Aviv, permettant ainsi de célébrer le soixante-quinzième anniversaire de la libération des camps de concentration et de la fin de la Seconde Guerre mondiale), avant de partir à Jérusalem puis en Europe (Budapest, Prague, Vienne, Amsterdam, Bruxelles et Luxembourg) pour un programme alternant les Quatrième et Sixième de Mahler auxquelles il faut adjoindre en alternance les Rückert-Lieder et Kol Nidre de Bruch. Une fois n’est pas coutume, pas d’étape parisienne du Philharmonique au cours de cette saison donc (pas plus qu’à Londres, en Espagne, en Italie ou aux Etats-Unis d’ailleurs)!
Le tour d’horizon ne serait pas complet si l’on ne signalait pas également les multiples concerts de musique de chambre donnés par les membres de l’orchestre, qu’il s’agisse de concerts «classiques» (du baroque au contemporain), de concerts donnés à un public plus familial (avec la participation toujours centrale dans ce type d’événements festifs de la corniste Sarah Willis) ou de Konzerttermine qui, joués en seconde partie de soirée le samedi après le concert donné par le Philharmonique à 19 heures, permettront d’entendre à partir de 22 heures aussi bien Varèse sous la direction de François-Xavier Roth (Density 21.5, Intégrales, Ionisation...) que Le Noir de l’étoile de Gérard Grisey ou une «Nuit latino-américaine» dirigée en juin 2020 par Gustavo Dudamel.
Lors de sa conférence de presse, Kirill Petrenko insista sur les projets éducatifs dans lesquels est investi l’orchestre, Petrenko préférant d’ailleurs parler à cet égard de «sensibilisation à la musique» («music outreach»). S’inscrivant là aussi dans la lignée de Claudio Abbado et de Sir Simon Rattle, l’actuel directeur musical des Berliner affirma avec force sa volonté de développer les formes de sensibilisation à la musique qu’il avait notamment expérimentées lorsqu’il était en poste à Meiningen. Refusant de donner plus d’éléments à cette heure, il en dévoilera davantage lors de la présentation de la saison 2020- 2021. Pour autant, ayant déjà eu l’occasion de diriger les étudiants de l’Académie de l’Orchestre philharmonique de Berlin, rebaptisée depuis le mois de mai 2017 «Académie Karajan» (voir ici), Petrenko montera cette année un ouvrage lyrique avec eux et des chanteurs venus notamment de conservatoires environnants, souhaitant tenter une expérience à l’égard d’un public particulièrement sensible à l’égard du répertoire lyrique. On pourra ainsi les entendre dans Suor Angelica de Puccini début février 2020, qui sera donné dans le grand hall de l’aéroport désaffecté de Tempelhof! Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, cet aéroport situé à l’extérieur de la ville est aujourd’hui inoccupé – au profit des deux aéroports de Tegel et de Schönfeld, un troisième aéroport étant en cours de construction depuis de nombreuses années, les retards de son achèvement et l’explosion des coûts ne cessant de créer polémique sur polémique... – et sert désormais, selon que l’on se situe sur les anciennes pistes ou sur les terrains avoisinants, de lieu pour faire du char à voile ou du vélo ou pour y faire des barbecues en famille ou entre amis. A n’en pas douter donc, cette future représentation lyrique sera à nulle autre pareille! Les étudiants de la Karajan-Akademie der Berliner Philharmoniker donneront ainsi six concerts sous la direction, entre autres, de Kirill Petrenko, Susanna Mälkki, Reinhard Goebel et Cornelius Meister, le répertoire abordé allant de Krenek à Vivaldi en passant par Mozart, Eötvös (sous la direction du compositeur, avec notamment Aurora pour contrebasse solo et orchestre à cordes, le soliste étant en l’occurrence Matthew McDonald, contrebassiste solo du Philharmonique).
Comme on le voit, la scène musicale berlinoise, et plus particulièrement, le rôle du Philharmonique recèlent un intérêt et des attentes incroyables. Kirill Petrenko, sachant qu’on l’attend beaucoup, avoua à la fin de son propos que cette saison sera encore compliquée puisqu’il doit encore quelques mois à son orchestre munichois mais il s’est d’ores et déjà engagé à être encore plus présent à partir de la saison 2020-2021. Bienvenue maestro!
La nouvelle saison de l’Orchestre philharmonique de Berlin
Sébastien Gauthier
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