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Monique de la Bruchollerie: témoignages
08/06/2017


Cyprien Katsaris, qui était dans la classe d’Aline van Barentzen au Conservatoire de Paris, devint l’élève de Monique de la Bruchollerie (1915-1972) de 1967 à 1972.
«La première fois que je l’ai vue, je lui ai joué le premier mouvement du Concerto de Tchaïkovski, en présence de toute la classe et aussi d’une grande personnalité du monde du piano, son assistante Jeannine Vieuxtemps. Sa manière de nous faire travailler était précieuse car elle avait une expérience de la scène tout à fait rarissime pour un professeur puisqu’elle était une grande concertiste. Aux Etats-Unis, on l’avait surnommée "Horowitz femme". Il était "sa" référence et elle était assez fière de la comparaison. Elle se mesurait aux très grandes œuvres du répertoire; il me semble même qu’elle fut la première pianiste à jouer le Troisième Concerto de Rachmaninov en concert.
«Dans le travail, elle insistait pour que l’on recopie ses doigtés qui étaient très particuliers, dépassant parfois l’imagination, souvent périlleux mais qui donnaient un résultat sonore au plus proche de ce qu’elle pensait être des intentions du compositeur. Monique de la Bruchollerie insistait pour que nous fassions tous les jour vingt minutes de gammes dans tous les tons, sans interruption, en ralentissant ou en reprenant le mouvement suivant notre de gré de fatigue, un quart d’heure d’octaves suivant le même principe, sans jamais forcer et nous faisait travailler notamment les extensions dans les 51 Exercices de Brahms. Sa méthode pour travailler les passages difficiles était assez curieuse mais très efficace car elle donnait une véritable conscience de la difficulté. On devait, par exemple, faire un trait en jouant une note sur deux, puis deux notes sur quatre et ainsi de suite. Cela créait une sorte de mobilisation qui empêchait un travail trop mécanique, les passages étaient traités de manière "chirurgico-pianistiques"!
Sur le plan de l’interprétation, Monique de la Bruchollerie avait une très forte personnalité, mais elle nous permettait de nous épanouir, en quelque sorte elle nous faisait éclore, fleurir. Il y avait un côté très dictatorial qui était compensé par un aspect très tolérant, très humain et très charmant qui nous permettait de nous "trouver" malgré son exigence et sa rigueur. Elle accordait une très grande importance à l’imagination et sa curiosité d’esprit lui faisait aborder quantité d’œuvres contemporaines. J’ai travaillé dans sa classe le scherzo de la Deuxième Sonate de Boulez, par exemple. D’autres ont travaillé le Concerto de Jean Rivier ou la Sonate de Dutilleux qu’elle jouait merveilleusement.
«"Avez-vous fait votre travail d’ouvrier?" était une expression qui revenait souvent et j’ai principalement retenu ce qui était une sorte de leitmotiv de sa part: "quand vous montez sur scène, vous devez oublier toute la préparation, donnez-vous entièrement, tant pis pour les fausses notes; vous donnez au public, généreusement, il vous faut surpasser, transcender tout ce que vous avez appris et laisser libre cours à votre imagination."»


Frédéric Aguessy a travaillé avec Monique de la Bruchollerie de 1968 à 1972.

«J’étais très jeune à l’époque, j’avais douze ans et je suis entré en degré préparatoire, puisque cela existait encore à cette époque, comme un enfant. Ce n’est que bien longtemps après que je me suis rendu compte de ce qu’elle était et de ce qu’elle m’a apporté. J’étais plus ou moins conscient, plus ou moins mûr pour recevoir tout ce qu’elle m’a donné. Mais cela n’est jamais perdu. Il m’est arrivé par la suite de me dire "Ah oui... c’était à ce niveau-là de grandeur".
«Par un travail technique simple, mais systématique, intelligent et efficace, elle m’a fait passer en trois mois d’un petit élève qui articulait gentiment à un vrai pianiste. Elle exigeait un travail technique avec une rigueur simple d’artisan. On avait une sorte d’emploi du temps journalier; il y avait une heure à une heure et demie de technique, gammes, tenues, trilles, octaves, doubles notes. Elle avait des doigtés très étonnants, une manière d’"arranger" les choses entre les deux mains, ce que je mets avec beaucoup de profit encore maintenant dans mon travail. Il y avait des mouvements alternés, des changements de main. Le but n’était pas tant la simplification de l’exécution que la recherche d’un beau son. Elle pouvait ainsi créer un certain équilibre ou un autre univers sonore. Cela peut-être discutable, mais dans son cas, ce n’était pas pour faciliter le jeu mais beaucoup plus pour une question d’oreille, d’esthétique, de véritable choix artistique. Elle exigeait que l’on ait des doigts qui marchent mais, pour autant, elle n’était pas un pur produit de la technique digitale française, bien qu’elle ait travaillé avec Isidore Philipp. Elle avait surtout une admiration absolue pour Horowitz. C’est elle qui me l’a fait découvrir. Bien sûr, elle n’avait pas la même approche du piano car Horowitz est tout de même un cas inimitable, mais l’idée qu’elle se faisait d’un artiste était qu’il devait faire sonner le piano merveilleusement, quelqu’un qui prend des risques en tant que créateur. C’est cela que je garde, a posteriori. Elle était d’une exigence absolue et désirait que l’on s’engageât vraiment. Une des dernières paroles qu’elle ait dites à mon père est "pas de médiocrité". Cela la résume parfaitement, jouer du piano était une grande chose, pas seulement un métier, quelque chose de sacré. Il y avait une idée transcendante, plus que strictement humaine dans la musique.»


Fille aînée de Monique de la Bruchollerie, Diane Lefébure, pianiste et professeur, nous apporte, par son témoignage précieux, tous les principes mais aussi certains concepts d’interprétation qu’elle a reçus.
«Ce dont je me souviens le plus, c’est cette idée de labeur qu’elle imposait à elle-même et aux autres. Son travail quotidien était vraiment un travail d’artisan: le texte pour lui même, lentement, les mains séparées, en variant les mouvements avec une grande humilité face à lui. Elle travaillait tous les jours beaucoup, sans faire vraiment d’exercices techniques, si ce n’est parfois, ceux de Bernard Rie et bien sûr, ceux de son professeur, Isidore Philipp. On me parle souvent de ses doigtés qui étaient en effet très particuliers et tout le monde me demande si j’utilise les mêmes, qui étonnent souvent. A vrai dire, ils me semblaient d’une évidence limpide, cela "marche" tout seul! Nous avons peut-être la même morphologie de main et la même articulation... Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je n’ai pas de souvenirs réellement précis sur telle ou telle œuvre travaillée avec elle, mais lorsque j’enseigne, je sens tout à coup comme une réminiscence de ce qu’elle m’a appris, comme une "seconde peau", quelque chose qui est en moi et que je redonne tout naturellement. J’ai cependant en mémoire des moments extraordinaires pour les dernières Sonates de Beethoven. Autant pour Schumann elle faisait appel à l’imagination, à l’imaginaire, plus exactement, autant pour Beethoven elle avait ses idées très précises sur la construction, la structure, le rapport des masses. Son Opus 110 était une splendeur. Sans doute ses rapports chaleureux avec Kempff, qui l’adorait, y étaient pour quelque chose. Avec elle on avait la certitude su style. Son intuition était phénoménale et donnait l’impression qu’il y avait une adéquation parfaite entre elle et les compositeurs. Jamais elle ne jouait tout à fait de la même manière et l’on percevait que bien qu’elle avait une fois pour toute établie son idée sur la structure d’une œuvres, elle était capable de varier extraordinairement les intentions, le discours. A cet égard, on pourrait comparer ses interprétations à la série des Cathédrales de Rouen de Monet, la toile de fond reste la même avec des éclairages sans cesse renouvelés.»


Compte rendu de l’édition Monique de la Bruchollerie parue en 2015

[Propos recueillis par Christian Lorandin]

 

 

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