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Jeffrey Tate (1943-2017)
07/08/2017


J. Tate


Est-ce une coïncidence si Jeffrey Tate, atteint d’une grave malformation du dos (une spina bifida accentuée par une cyphose) qui l’obligea toute sa vie à diriger assis, a pensé à devenir médecin? On peut se le demander, lui qui, né le 28 avril 1943 à Salisbury, s’était donc engagé dans des études de médecine à l’Université de Cambridge avant de commencer son internat à l’hôpital Saint-Thomas de Londres comme spécialiste de la chirurgie des yeux. Né d’un père employé des postes et d’une mère architecte, le jeune Jeffrey passa son enfance à Farnham, dans le Surrey, où il manifesta un certain talent pour le piano, sans malheureusement pouvoir le pratiquer autant qu’il l’aurait souhaité en raison de longs et fréquents séjours à l’hôpital. Comme il le dit lui-même dans un entretien au Guardian en 2011, «j’étais un bon pianiste mais pas du tout brillant, j’étais un violoncelliste très moyen mais je savais à peu près chanter», ses professeurs témoignant de ses dons auprès de ses parents sans pour autant leur assurer qu’il pourrait vivre un jour de sa passion. Mais, nouveau coup du sort en 1966, il échoue à ses examens pour avoir passé trop de temps à jouer du piano et à lire des partitions d’opéras: finalement, la musique est trop importante et mérite qu’on s’y intéresse plus sérieusement...


Il auditionne au London Opera Center et, fort de ce succès, est engagé pour un an en qualité de répétiteur pour les chanteurs de la maison. Même s’il avoua être devenu chef d’orchestre par accident, Jeffrey Tate a reconnu qu’avoir ainsi débuté l’a considérablement aidé par la suite, reprenant en quelque sorte le parcours classique des grands chefs de l’ancien temps qui commençaient par la fosse avant de diriger de la musique purement orchestrale. Il entre à Covent Garden en 1969, de nouveau en qualité de répétiteur et, grâce à ses immenses connaissances artistiques et son sens de la persuasion, se fait rapidement apprécier de tous les chanteurs avec lesquels il travaille. A la fois chef de chant et chef-assistant, il travaille aux côtés de Sir Colin Davis, Carlos Kleiber et surtout Sir Georg Solti, avec lequel il participe à l’enregistrement de dix opéras (il tient notamment la partie de clavecin pour Les Noces de Figaro dont l’enregistrement fut publié chez Decca). Dans un entretien à la radio britannique, il parlait avec passion de Solti, dont la nervosité et la volonté d’aller toujours plus avant (notamment lors des sessions d’enregistrement pour le disque) l’impressionnaient – Solti dont il fut l’assistant pour le Ring avant d’assister Sir Colin Davis, là encore à Covent Garden, là encore pour un Ring. Après un passage à Berlin, où il travaille quelque temps avec Herbert von Karajan, Jeffrey Tate est appelé par Pierre Boulez, qui lui demande de l’assister dans deux événements restés majeurs dans l’histoire musicale du XXe siècle: le fameux «Ring du centenaire» en 1976 (il faut lire à ce titre le long et ô combien éclairant entretien qu’il accorda à Jean-Jacques Nattiez en 1987 pour le compte de la Canadian University Music Review) et la création mondiale de la version en trois actes de Lulu d’Alban Berg, trois ans plus tard à Paris.


C’est à la même époque qu’il commence à diriger: Carmen en 1978 à l’Opéra de Göteborg, puis 1979, année où il dirige pour la première fois au Metropolitan Opera de New York (de nouveau, c’est Lulu qu’il choisit). Nommé chef de l’English Chamber Orchestra en 1985, il enchaîne les responsabilités en devenant chef principal du Royal Opera House (de 1986 à 1993), premier chef invité de l’Orchestre national de France (de 1989 à 1998), chef principal de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam (de 1991 à 1995), directeur musical du Théâtre San Carlo de Naples (de 2005 à 2010) et chef de l’Orchestre symphonique de Hambourg depuis 2009 (son contrat avait même été reconduit jusqu’en 2019). Parallèlement à ces divers engagements, il dirige les plus grands orchestres du monde, du Philharmonique de Berlin au Symphonique de Boston, du Concertgebouw d’Amsterdam à l’Orchestre de Cleveland. Il court également les grandes scènes lyriques du monde: Vienne (où il débute en mars 2011 avec Ariane à Naxos), la Scala, la Fenice, l’Opéra de Paris (où il dirige Ariane à Naxos en 1983 avant Così fan tutte et Lulu puis, plus récemment, Wozzeck en mai 1999, Billy Budd en 2010 et The Rake’s Progress en octobre 2012, dans une mise en scène d’Olivier Py), le Met, Genève, le Théâtre du Châtelet, où il donne un mémorable Ring en 1994 (dans la mise en scène de Strosser) à la tête du National, Nice (où il dirige son premier Parsifal).


Jeffrey Tate a toujours cultivé un certain goût pour l’éclectisme, aussi à l’aise chez les grands classiques germaniques (Mozart et Haydn bien sûr, Wagner évidemment, mais aussi Mahler, dont il grave le premier la version orchestrale de La Jeune Fille et la Mort de Schubert) que dans le répertoire du XXe siècle plus tardif. Président de l’Association pour la lutte contre la spina bifida et l’hydrocéphalie (Asbah), il était réputé pour sa gentillesse et son attention portée aux chanteurs, qu’il accompagnait volontiers au piano. Le 19 avril dernier, il venait d’être anobli dans l’ordre de l’Empire britannique par le prince William, au palais de Buckingham. C’est donc le 2 juin, dans l’après-midi, que Jeffrey Tate est décédé d’une crise cardiaque alors qu’il visitait le musée de l’Accademia Carrara, à Bergame, en Lombardie, quelques jours après avoir donné deux concerts les 30 et 31 mai à Bolzano et Trente, avec l’Orchestre Haydn, Elgar, Haydn et Mozart étant alors les trois compositeurs au programme.


Discographie indicative


Mozart est sans aucun doute le compositeur le plus facilement associé à Jeffrey Tate, qui enregistra à la tête de l’English Chamber Orchestra l’intégrale tant de ses Symphonies (Warner Classics) que de ses Concertos pour piano avec Mitsuko Uchida (Philips). Il faut également y ajouter deux disques assez célèbres (en tout cas au succès commercial avéré) d’airs de concerts et d’extraits d’opéras (L’Enlèvement au Sérail ou Mithridate par exemple), où Jeffrey Tate accompagne Kiri Te Kanawa (Philips) ou Barbara Hendricks (EMI Classics). Ajoutons également dans le répertoire classique des Symphonies «Londoniennes» de Haydn assez consensuelles (EMI).


Excellent chef lyrique, Jeffrey Tate n’a étrangement guère laissé de témoignage consacré à Richard Wagner, hormis un disque consacré à quelques ouvertures et préludes. Si l’on souhaite retrouver le chef lyrique, on ira en revanche écouter sans réserve son enregistrement public de Lulu, peut-être son ouvrage-fétiche, capté en 1992 à Paris avec l’Orchestre national de France et Patricia Wise dans le rôle-titre (EMI). Ses enregistrements de Hansel et Gretel de Humperdinck avec Anne Sofie von Otter et Barbara Bonney dans les rôles-titres (EMI) et d’Arabella de Strauss à la tête des forces de Covent Garden (Decca, 1987) restent également des références très recommandables.


Enfin, les curieux écouteront les extraits de deux récitals de Maria Callas donnés à Paris en 1963 et 1976 (EMI Classics) où, si la plupart sont accompagnés par Georges Prêtre à la tête de l’Orchestre national de la RTF, Ah perfido! de Beethoven est accompagné par Tate au piano!


Sébastien Gauthier

 

 

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