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Entretien avec Marc Mauillon
12/02/2016


Marc Mauillon, une voix dans le texte


De Cachafaz de Strasnoy à l’Orfeo de Rossi, Marc Mauillon compte non seulement parmi les barytons de caractère les plus talentueux de sa génération, mais aussi l’un des interprètes les plus attachants de la scène française, avec un répertoire qui enjambe les clivages avec autant d’instinct que d’intelligence. L’actualité du soliste se bouscule en cette année 2016: après la parution chez Arcana d’un album consacré à Caccini et Peri avec sa sœur Angélique à la harpe à la fin de l’hiver, il a endossé pour la première fois l’habit de Pelléas à Malmö en mai, avant de livrer son premier Orphée à la rentrée sur la scène dijonnaise. Nous l’avons rencontré à quelques jours de la première scénique de Songline, autoportrait musical inspiré par les itinéraires chantés des Aborigènes dans le désert australien.



M. Mauillon (© Philippe Parent)


Commençons par l’enregistrement du début de cette année. On vous connaît d’abord comme «baroqueux». C’est donc un retour aux sources?
Caccini et Peri étaient deux figures humanistes issues de la camerata fiorentina, chanteurs virtuoses mais aussi compositeurs. Célèbres et rivaux, leur renommée les a conduits jusqu’à la cour de France. Mais, en plus de l’intérêt historique de mettre en valeur les débuts de l’opéra, ces partitions constituent de véritables bibles pour les interprètes du recitar cantando: tout y est écrit, jusque dans la manière de rendre les mots expressifs.
Le buoncanto des débuts du baroque, c’est d’abord l’art de faire passer l’émotion du texte, qui n’hésite pas à recourir à une hétérogénéité de l’émission, voire une voix «enlaidie» pour exprimer la souffrance et la douleur. La coloration du texte passe avant celle du son; cette dernière ne deviendra une règle qu’avec ce que l’on nommera belcanto, et dont le romantisme italien a livré un des archétypes. Pour simplifier, on peut opposer la vocalité «du son» à celle «du texte», et c’est vrai que je me sens plus proche de cette seconde esthétique.


Le baroque est désormais sorti de son statut de répertoire de niche. Comment regardez-vous cette évolution depuis vos débuts?
Lorsque j’étais étudiant, au carrefour des années 2000, il y avait encore une certaine méconnaissance du répertoire baroque dans les conservatoires. Ce n’était pas intégré dans les cursus comme aujourd’hui, et mon perfectionnement, je l’ai d’abord fait pendant des stages. Aujourd’hui, avec aussi le renouvellement générationnel des enseignants, qui montrent plus de curiosité également, la musique ancienne fait vraiment partie de la formation «académique».
Le revers de ce décloisonnement, c’est le danger d’une certaine standardisation de l’esthétique vocale. Bien sûr, on ne peut que se réjouir de voir le baroque pleinement intégré à la programmation des grandes maisons comme l’Opéra de Paris. Mais on fait parfois passer le désir de grandes voix avant le travail du style, qui finalement peut s’avérer lacunaire: personne n’oserait imaginer faire prendre le risque à un chanteur spécialisé dans le répertoire du dix-septième siècle d’aborder Puccini en quatre semaines, alors que l’inverse est fréquent.


Passons à Pelléas: parlez-nous de cette prise de rôle...
Pelléas, je l’ai toujours senti comme un rôle écrit pour moi. On y retrouve le primat du texte et une recherche dans la prosodie présente chez Caccini et Peri, comme chez Ravel ou Poulenc.


Comment a été reçue sur une scène non francophone votre interprétation d’une musique aussi liée à la prosodie française?
L’expérience a été assez étrange. Pour le public de Malmö, Pelléas et Mélisande apparaît comme une œuvre presque expérimentale; elle ne fait pas partie du cœur de répertoire. Et c’est vrai que j’ai ressenti une différence d’écoute entre la première, où une partie du public était venu de France pour m’entendre, et les autres représentations, où les gens se sont d’abord laissé porter par la musique. Cela étant, le spectacle a eu du succès, mais ma vocalité plus naturaliste a surpris, comme je l’ai lu dans la presse locale, plus habituée à une conception plus wagnérienne si l’on veut.


Avec Orfeo à la rentrée, c’était également la première fois que vous endossiez un rôle de premier plan sur une scène française: vous l’appréhendiez aussi?
Ce n’est pas comparable. Avec Pelléas, c’était aussi un rendez-vous avec moi-même. J’avais des doutes, j’ai comparé des versions. Orfeo était davantage dans la continuité de mes débuts, je me sentais prêt: c’était une évidence et je ne ressentais pas de problème de légitimité comme pour Pelléas.


Parlons maintenant de votre projet, Songline, que vous allez «jouer» pour la première fois, seul en scène à la Péniche Opéra (La Pop). Comment a-t-il mûri en vous?
C’est un récital à voix seule, a capella, mêlant le médiéval et le contemporain, inspiré par les itinéraires chantés des aborigènes australiens, que j’ai découverts dans Le Chant des pistes de Chatwin – Songline pour le titre anglais original: mon spectacle est une référence directe au livre. Pour les Aborigènes, toute la création du monde s’est faite en chantant. Pour s’orienter dans le désert, ils se sont transmis au fil des générations des chants de marche qui reconstituent cette création et leur sert de boussole. Cela m’a fait rêver et j’ai trouvé l’idée très pertinente pour un récital solo: j’ai eu envie de recréer mon itinéraire chanté personnel avec des pièces qui ont jalonné ma vie de chanteur. Par analogie avec les Aborigènes, le chant me guide dans ma vie.


Pas de baroque parmi les pièces choisies: comment avez-vous fait votre choix?
Ce sont pourtant des pages qui m’ont accompagné depuis le début: mon premier disque était consacré à Machaut, et j’ai eu mon prix de chant avec la Récitation n° 12 d’Aperghis. En fait, il y a plein de références à différentes rencontres. Pour autant, je n’utilise pas le répertoire que j’ai chanté avec les ensembles baroques, et j’ai plutôt privilégié des pièces que j’ai eu peu l’occasion de donner en public. Et puis la monodie a quelque chose de très intime pour moi; je me chauffe la voix avec des monodies médiévales.


Le programme a été créé en récital, dans le Trégor, en Bretagne, il y a deux ans, au Petit Festival (*). Parlez-nous du passage à la version scénique...
Ce solo intime parle d’une marche, donc, dès le récital, je pensais déjà à spatialiser les choses. On a opté pour une scénographie nomade où je pouvais être autonome et qui serait faisable presque n’importe où: j’actionne moi-même le dispositif lumineux au fil du spectacle. Cette idée de récital en mouvement m’a amené à travailler avec un chorégraphe. La danse forme un contrepoint qui m’a été d’une grande aide. Avec Yannick Hugron, nous avons conçu ma performance chorégraphique comme celle d’un authentique danseur, et non d’un chanteur qui ferait quelques pas de danse. La voix et la chorégraphie sont liées d’une manière plus profonde, pour en faire une sorte d’objet transgenre, au croisement de trois mondes: le chant, la danse et l’installation artistique.


C’est une expérience plutôt inédite?
Oui, difficile de raccrocher cela à quelque modèle. Ce solo est un saut dans l’inconnu, un peu comme les Aborigènes qui partaient seuls dans le désert avec leurs chants pour seul bagage.


(*) Songline. Iitinéraire monodique, paru chez Le Petit Festival


Le site de Marc Mauillon


Propos recueillis par Gilles Charlassier [novembre 2016]

 

 

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