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A Vienne avec ConcertoNet: Robert Trevino
09/28/2016


R. Trevino (© D.R.)


Le chef américain nous confie sa quête effrénée qui l’a fait basculer de la musique de Santana vers les podiums d’orchestre – et s’autorise un moment de détente pour apprécier l’art de boire à la française.


Rien ne prédisposait Robert Trevino (32 ans) à devenir chef d’orchestre: il raconte le moment où, assis dans le fourgon de son père, il entend pour la première fois de la musique classique: «J’avais huit ans, et c’était comme une étincelle – je décidai d’un coup de devenir musicien». La fable du petit Robert, né au Texas dans une modeste famille d’immigrés mexicains, parvenant par son seul travail à s’élever du rang d’auditeur de Carlos Santana à celui de chef invité à Vienne, est un condensé de l’American Dream qui ne demande qu’à être exploité par les candidats à l’élection présidentielle américaine. «Pas de musique avant l’âge de 8 ans!»: interloqué, je cherche à confirmer ce que je viens d’apprendre: «Comment avez-vous fait pour rattraper tout ce retard?». Le mot semble résonner dans l’esprit de Trevino – de fait ce n’est qu’à 13 ans qu’il commence à étudier de basson («à cause de Pierre et le Loup», confie-t-il), avec l’inébranlable ambition de devenir chef d’orchestre. «J’étais convaincu d’aimer la musique plus que personne ne l’avait jamais aimée, il n’y avait donc aucun doute possible: je serai un génie». Après une première d’année d’études, le choc est rude: «Je passai de justesse, en bon dernier de la classe – comment était-ce seulement possible?». Il se met alors intensivement au travail: «Lever aux aurores, pour étudier les partitions – pas de pause déjeuner – étude du basson jusqu’à 22 heures avant d’enchaîner sur les devoirs du lendemain; j’ai maintenu ce rythme jusqu’à l’âge de 24 ans. Je n’avais pas le choix, c’était le seul moyen de rattraper le temps perdu.»


Les chefs d’orchestre cultivent volontiers une image mystique de gourou: rien de tel chez Trevino qui décrit son métier comme le ferait un manager d’une entreprise du CAC 40: «négocier un problème», «prendre des décisions», «mettre sous contrôle», «négocier dans les situations compliquées», «évaluer les options» sont des expressions qui rythment ses phrases. Un pragmatisme nord-américain, sans doute, mais certainement aussi une contre-réaction à ses naïfs rêves d’enfant. Trevino ne cherche pas à cacher ses erreurs de jeunesse: «Assistant de Leif Segerstam, j’avais plein d’opinions sur la manière dont la musique devait être jouée. Or le travail d’un assistant, ce n’est pas ça: il s’agit de préparer les partitions, d’écouter la balance, le tempo, la justesse...». Un moment-clef survient plus tard à Cincinnati: «L’orchestre possède un son très homogène et riche, un peu allemand; j’étais venu avec l’idée de les faire jouer à ma façon, incisif, clair et cuivré. Mais en écoutant un autre chef répéter, je me suis soudain rendu compte qu’ils jouaient merveilleusement de cette manière: pourquoi tout vouloir changer? Je les ai laissé jouer puis j’ai fait quelques ajustements. Tout était tellement plus facile – et le concert fantastique.»


Quelques jours avant notre entretien, Trevino avait remplacé Pablo Heras-Casado à la tête de l’Orchestre symphonique de Vienne. Il raconte en détail le travail fourni pendant la semaine: «La Septième de Dvorák est beaucoup moins slave de caractère que ses autres symphonies: on sent le compositeur qui essaye d’être comme Brahms, d’écrire une musique pure d’architecture germanique, avec un fond aristocratique poli»: il entonne le thème d’introduction aux violoncelles «tala la la la... c’est neutre – académique – beau – bien fait», il poursuit, en crescendo, «ta ta taa... Mais à chaque jonction, il n’en peut plus et son instinct mélodique reprend le dessus. Il a probablement eu l’impression d’avoir rempli son objectif, pourtant la partition est remplie de folklore tchèque. Ce n’est que dans le dernier mouvement qu’il semble se dire: on laisse tomber, on se lâche.» Il chante alors avec animation l’attaque du finale, dirigeant de la fourchette des musiciens imaginaires. Les clients de l’hôtel restent imperturbables – ils ne s’attendaient probablement pas à autre chose en séjournant directement en face du Konzerthaus. «J’ai cherché à libérer les musiciens de cette lutte interne – je leur ai dit: N’ayez pas honte de vous faire plaisir. J’aime penser que cela les a aidés pendant le concert.».


Dans le poème symphonique de Tchaïkovski La Tempête, les problèmes sont très différents: «Il y a des moments que l’on retrouve dans ses pièces orchestrales de maturité, mais le compositeur n’est pas encore bien sûr de la manière dont produire ses effets. Par exemple, ces gammes de violons pour créer cette vague sonore – j’ai demandé à l’orchestre de les jouer en coup d’archet libre, ce qui a tout d’abord beaucoup surpris les musiciens, mais c’était le seul moyen d’obtenir un son convaincant. Pareil pour ces mélodies qui alternent cordes faibles et fortes: il ne feraot plus jamais cela par la suite, il écrirait simplement dans une autre tonalité.» Il prend une gorgée de café et conclut: «Peut-être dans vingt ans je regarderai tous ces changements et les trouverai prétentieux ou inutiles.». Trevino insiste sur ses méthodes systématiques de préparation: écoute de concerts, discussions avec ses pairs, visualisation sur YouTube: «Je demande toujours les enregistrements de mes concerts, et m’oblige à les réécouter – même si c’est souvent inconfortable.» Il précise aussi tenir strictement à jour un journal de bord sur ses partitions: «Pour chaque œuvre, j’y note les dates de concerts, les tempos et les options interprétatives – et aussi les erreurs à ne plus répéter! La musique ne devient jamais plus facile: au contraire, au fur à mesure que l’on étudie, de nouvelles manières d’aborder un problème apparaissent et remettent en question ce que l’on pensait savoir.»


L’action apaisante d’un petit déjeuner prolongé faisant effet, nous échangeons désormais sur les différences entre Paris et Vienne. «Au début, je m’y sentais comme un extraterrestre, mais maintenant j’adore Paris et ses habitants, et plus généralement la conception esthétique des Français» déclare-t-il d’un ton extatique. «Prenez la manière dont on déguste le vin chez vous: on ouvre une bonne bouteille, et tout le monde commence à échanger des regards sceptiques.» Trevino mime la scène, portant sa tasse de café sous les narines et levant vers moi un sourcil dubitatif. «Après une première gorgée, on discute du vin; ça se poursuit jusqu’à la dernière goutte, où l’on s’accorde généralement avec enthousiasme sur les qualités de la bouteille.» Cet esprit spirituel français, où rien n’est suffisamment bon en soit mais où tout peut être discuté, semble le ravir. «C’est parfois un peu compliqué dans les relations sociales quand ils ne vous connaissent pas, mais après c’est "viens dormir chez moi, les clefs sont sous le paillasson, et n’hésite pas à te servir dans ma cave à vin"», résume-t-il.


«Au fait, pourquoi vouliez-vous m’interviewer?» – Robert Trevino semble sincèrement surpris que l’on puisse s’intéresser à lui. Nous revenons donc sur les circonstances improbables de notre prise de rendez-vous le soir précédent, au milieu de la foule d’un entracte de concert et nous nous remémorons le concert mémorable de Hilary Hahn. «Je n’avais jamais entendu ce compositeur – Vieuxtemps. C’est très opératique, parfois un peu étrange comme musique. Hilary Hahn était incroyable: un archet tellement lent et pourtant ce son formidable, propre et puissant.» Une lueur d’admiration passe dans son regard: «Je change régulièrement de chemise en répétition – mais je me demande si elle a versé la moindre goutte de sueur pendant tout le concerto.». Il est vrai qu’à l’âge où Trevino commençait ses cours de basson, Hilary Hahn se produisait déjà comme soliste.


Dimitri Finker

 

 

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