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Le mois du mélomane professionnel
02/01/2016




Un «grand» mois. Riche, très riche quantitativement et qualitativement. Il était là pour nous récompenser du «désert» musical des temps de fête de fin d’année.


Commençons par le Jour de l’An et ses cadeaux. J’ai eu le bonheur de recevoir le coffret Perlman avec tout ce qu’il a pu enregistrer. Des heures d’écoute. Anecdote: quel est le premier disque que j’ai choisi d’écouter? Celui du Premier Concerto de Wieniawski. Depuis mon premier jour au violon, j’ai pensé que cette entrée du violon avec ses dixièmes était quelque chose de surréaliste. Perlman m’a enchanté dès le départ. Un aveu: Mon «Dieu» du violon fut toujours Jascha Heifetz, surtout grâce à son timbre inégalable. Pendant quelque temps, j’ai pensé lui avoir trouvé un héritier en Perlman et le coffret a failli me le confirmer. Il a suffi que je tombe, par hasard, sur un trio de Mendelssohn joué par Heifetz, Piatigorski et Rubinstein pour me rendre compte que Heifetz reste irremplaçable. Oui, le miracle du timbre.


Une soirée avec Natalie Dessay, Karine Deshayes, Laurent Naouri et Opera Fuoco dirigé par David Stern. Je n’ai pas trop apprécié l’idée d’un programme associant Mozart et Les Nuits d’été de Berlioz, mais ce fut une occasion, une première pour moi, d’écouter une partie du Berlioz par une voix d’homme comme ce fut l’habitude autrefois. Le pardon accordé, je me suis laissé aller à la joie de cet ensemble de pièces, duos et trios, de Mozart qui s’est terminé par un trait d’humour autour de Papageno/Papagena où le frustré des femmes finit par en avoir deux, les deux merveilleuses chanteuses. Une soirée mozartienne entière aurait été, quand même, plus équilibrée.


Boulez est mort. Que de souvenirs! Toute une période de ma vie musicale dédiée à l’entrée dans la «musique du XXe siècle». A Saint-Sulpice, une réunion émouvante. De belles paroles de la Bible, des mots de Daniel Barenboim et d’autres, surtout de Laurent Bayle venant du fond du cœur, de la musique de Bach, de Schönberg, de Messiaen et du défunt et, surtout, tous les musiciens de l’Ensemble intercontemporain en deuil.


La biennale de quatuors à cordes à la Cité de musique fut un succès exceptionnel. Plus de 13000 places vendues. Un succès qui grandit d’une biennale à l’autre. Rassurant pour l’évolution du goût du public. Il fallait faire un choix et le mien ne fut pas qu’heureux. Déception pour le Quatuor Thymos avec le Quatrième de Chostakovitch, qui n’est pas son meilleur. Demi-déception pour le Quatuor Renaud Capuçon: difficile de réussir un quatuor avec un «grand» et trois «moins grands». Mais il y a eu l’émotion permanente à l’écoute du sixième mouvement, l’Adagio quasi un poco andante du Quatorzième Quatuor de Beethoven, inspiré du Kol Nidrey de la liturgie de Kippour. C’est mon professeur d’histoire de la musique à l’Académie de musique de Jérusalem qui nous a appris que beaucoup de musiciens à Vienne, y compris Beethoven, venaient à la grande synagogue le soir de Kippour pour écouter, justement, ce Kol Nidrey qui a inspiré aussi Max Bruch pour sa magnifique pièce pour violoncelle. Excellente conférence-concert par le Quatuor Danel autour de Weinberg et de ses dix-sept Quatuors avec David Fanning, qui a publié sa biographie, et Michelle Assay, son assistante. J’ai eu le bonheur de présenter les dix-sept Quatuors par les Danel dans une de mes émissions radiophoniques. Et puis, dernier concert de la biennale avec les Hagen, malheureusement sans Veronika souffrante, mais bien remplacée par sa belle-sœur Iris, dans les derniers quatuors, les Quinzièmes, de Chostakovitch, désespérant, et de Schubert, qui croit encore à la vie. Magnifiques fêtes que ces biennales.


Et puis des concerts symphoniques. L’Orchestre National sous la direction de Gatti avec, comme soliste, Julian Rachlin qui nous a ébloui avec un Premier de Chostakovitch remarquable suivi de la Troisième Sonate d’Ysaÿe. Il y a eu l’Orchestre Pasdeloup auquel j’accorde une fidélité inébranlable grâce à ces concerts de dimanche, 17 heures 45, de mes années de jeunesse qui nous «sauvaient» du «cafard des dimanches». Colonne au Châtelet, Lamoureux à Pleyel et Pasdeloup au Palais de Chaillot, et d’autres. Beaucoup de Beethoven et de Wagner et aussi du Fauré, du Debussy et de Ravel. Il y avait moins de musique ailleurs, ni disques, ni YouTube, ni tout le reste dont nous disposons aujourd’hui. Nikita Borisoglebsky, dépêché d’urgence de Moscou pour remplacer Nemanja Radulovic, souffrant, n’a pas déçu dans le Concerto de Tchaïkovski suivi aussi d’une sonate d’Ysaÿe. Il y a eu le week-end Stockhausen avec le concert de l’Orchestre du Conservatoire et de l’EIC avec une magnifique pièce de Jonathan Harvey, un Antiphonen décevant de Zimmermann, loin de ce qu’a pu nous offrir souvent l’auteur des Soldats, et Gruppen de Stockhausen avec la salle de la Cité de la musique comme cadre franchement inadéquat pour l’œuvre. Une partie du public, qui n’a pas laissé un strapontin vide, est sorti frustrée. Souvenir: 1975, Maison de la radio, un programme Stockhausen/Boulez/Messiaen. Dix personnes dans la salle. Quelle évolution du public. Nous, les journalistes, y sommes certainement pour quelque chose. Fierté professionnelle.


La liturgie juive fut à l’honneur. La synagogue Copernic nous offre, depuis plusieurs années des concerts soit liturgiques, soit classiques soit un mélange des deux. Cette fois-ci, on a fait venir de Chicago un grand Cantor, Alberto Mizrahi, que la presse locale appelle «Le Pavarotti juif» (inutile, car son nom seul peut parfaitement suffire à le caractériser) qui, en plus d’une interprétation remarquable de pièces liturgiques nous a ébloui avec un «Rachel, quand du Seigneur» qui nous a rappelé Neil Schicoff à Vienne (à voir sur YouTube avec les longues minutes d’applaudissements). La chorale de la synagogue a fait de remarquables progrès. Fin de mois, hier, avec l’ensemble La Tempesta sous la direction de Patrick Bismuth, dans un programme autour de Salomone Rossi Ebreo, «L’Invention d’une liturgie», qui a introduit la polyphonie dans la liturgie synagogale.


Bien que cette chronique soit longue, j’ai envie d’y ajouter une réflexion sur la place de la vue dans le plaisir de la musique. Les cinq sens agissent toujours les uns sur les autres et c’est encore le cas pour la vue dans la musique. J’y ai fait attention ce temps-ci à travers un ensemble de faits qui m’ont frappé. Je commence par mon désagrément de voir les femmes violonistes jouant avec le violon posé sur une épaule nue. Je ne suis absolument pas puritain et j’ai même pratiqué le naturisme pendant un certain temps. Le dos nu de Khatia Buniatishvili, qu’on a beaucoup vue ce temps-ci sur Mezzo dans le Second Concerto de Liszt avec l’Orchestre philharmonique d’Israël et Zubin Mehta, ne me gêne pas du tout. Au contraire, cela ajoute au plaisir. J’espère que ce sera le cas en février au récital qu’elle va nous offrir à la Philharmonie. Serait-ce mon sens du sacré? Le violon, serait-il pour moi une voix qui aurait un rapport direct avec le ciel? Peut-être. J’en ai fait la remarque, tout jeune, à la non moins jeune Ida Haendel après un concert. Des dizaines d’années après, au concours Menuhin, elle s’était souvenue de cela et nous avons bien ri. Ce fut le cas du second violon du Quatuor Thymos, ce qui a peut-être joué un rôle dans mon désagrément de ce concert. Ce fut le cas de l’absence de Veronika Hagen, bien que sa belle-sœur l’ait parfaitement remplacée. Ce fut le cas encore au concert Pasdeloup, où je suis venu écouter Tchaïkovski par quelqu’un qui ne va jamais chez le coiffeur (Radulovic) et j’ai eu à la place un violoniste remarquable, certes, mais qui va chez le coiffeur régulièrement. Une réflexion à développer.


Au mois prochain!


Benjamin Duvshani

 

 

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