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Kurt Masur (1927-2015)
12/22/2015



K. Masur (© Radio France/Christophe Abramowitz)



C’est donc à quelques jours de Noël que Kurt Masur s’en est allé, dernier représentant d’une grande tradition allemande qui avait, grâce à lui notamment, produit des fruits féconds aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. ConcertoNet avait déjà rendu compte d’une biographie, somme toute assez médiocre du grand chef écrite par Johannes Forner parue voilà presque dix ans, ce qui nous dispensera de la décrire dans ses moindres détails.


Qu’il nous suffise de rappeler que, né le 18 juillet 1927 à Brieg en Haute-Silésie (il s’agit de la ville actuelle de Brzeg, en Pologne), il souhaite alors devenir pianiste à l’instar de ses sœurs qui suivent des cours mais un problème de tendon à sa main droite lui fait préférer la direction d’orchestre. Il suit alors les cours de Heinz Bongartz à Leipzig, époque où il lui arrive également de jouer du jazz dans des cabarets pour gagner sa vie... A partir de 1948, il devient répétiteur dans plusieurs villes allemandes (à Halle notamment) avant de s’établir à Dresde où il devient second chef de la Philharmonie, collaborant ainsi avec Bongartz, qui était en poste à la tête de la prestigieuse phalange. Directeur du Komische Oper de Berlin (alors à l’Est) de 1960 à 1964, il succède à Bongartz à Dresde en 1967 avant de prendre en main le Gewandhaus de Leipzig en 1970, devenant ainsi le dix-septième chef d’un orchestre auquel son nom sera associé pour toujours. C’est également à cette époque que Masur donne ses premiers concerts avec l’Orchestre de l’ORTF, enregistrant notamment le Premier Concerto de Tchaïkovski avec Nelson Freire le 18 février 1969 (voir ici). Interprète mineur dans le répertoire lyrique, c’est pourtant dans ces années qu’il dirige Tristan und Isolde avec les Chœurs et l’Orchestre de la Fenice (Hermin Esser et Gunilla af Malmborg tenant alors les rôles titres), l’éditeur Mundo Musica ayant préservé cette soirée du 4 avril 1971.


A la tête du Gewandhaus de Leipzig, Masur écrit une des plus belles pages de l’orchestre de Mendelssohn, gravant avec lui les grands cycles symphoniques habituels (Beethoven, Schumann, Brahms, Bruckner) et, surtout, l’œuvre de Mendelssohn dans laquelle il demeure un interprète hors pair. Ainsi, rien ne fut oublié, des Symphonies aux oratorios (Elias, avec Alastair Miles, et Paulus), des concertos et ouvertures aux œuvres plus rares que sont les douze Symphonies pour cordes (enregistrées entre septembre et décembre 1971) ou l’incroyable Première Nuit de Walpurgis). Bénéficiant d’une totale liberté de ses mouvements bien que venant du bloc de l’Est, Masur parcourt le monde à la tête de son orchestre, multiplie les concerts, dirige les grandes phalanges américaines aussi bien que le Philharmonique de Berlin (la Symphonie «Linz» en janvier 1982, Peer Gynt en mars 1984, la Huitième Symphonie de Dvorák en juin 1996) ou l’Orchestre symphonique de Londres.


Au moment des premiers mouvements berlinois d’octobre 1989, Masur prend une nouvelle dimension internationale, manifestant dans les rues de Leipzig avec la population éprise de liberté, signant un appel au calme afin d’éviter tout bain de sang, ouvrant les portes de la salle du Gewandhaus, qui devient ainsi un lieu de débats et de foisonnement intellectuel... Une fois le mur tombé, Kurt Masur prend la direction du Philharmonique de New York (Herbert Blomstedt lui succédant à la tête du Gewandhaus de Leipzig), cumulant ce poste avec celui de directeur du Philharmonique de Londres à partir de 2000 (où il reste jusqu’en 2007). Mais c’est sans aucun doute en devenant le directeur musical de l’Orchestre national de France en septembre 2002, succédant ainsi à un Charles Dutoit des plus contestés, que Kurt Masur va véritablement se révéler au public français. Il programme là encore de grands cycles symphoniques: Brahms (ici, ici, ici et ici), Beethoven (voir ici, ici, ici, ici et ici), Mendelssohn (dirigeant notamment à cette occasion aussi bien Elias que Paulus), Schumann (voir ici et ici). Il dirige également la musique de son temps, créant en France des œuvres majeures d’Henri Dutilleux (qu’il s’agisse de Sur un même accord avec Anne-Sophie Mutter au violon ou de Correspondances avec Barbara Hannigan) mais aussi de Matthus ou El-Khoury.


Quelquefois un peu brutal, adoptant une gestique assez peu explicite (handicapé il est vrai par une maladie de Parkinson qui rendait son bras gauche presque invalide), Masur n’en transforma pas moins le National en un orchestre de grande valeur en lui imposant une rigueur toute germanique, en renouvelant plusieurs pupitres (le recrutement de Sarah Nemtanu comme violon solo en demeurant le symbole le plus éclatant), en insistant sur les effets de masse chez les cordes... Dirigeant parfois de manière prosaïque du haut de son impressionnante stature, il savait également être exceptionnel, conduisant le National sur les cimes aussi bien de la Symphonie alpestre de Richard Strauss que sur les sommets de la Passion selon saint Matthieu. Quels souvenirs également que cette Grande de Schubert ou ce Triple Concerto où il retrouvait la complicité de Menahem Pressler au piano! Néanmoins, si une image devait rester, ce serait peut-être celle de ce concert d’avril 2012, une semaine avant sa chute lors d’une interprétation de la Pathétique, où il était l’ombre de lui-même dans le Concerto pour violon de Dvorák avec la fidèle Anne-Sophie Mutter: un concert poignant, sauvé par Sarah Nemtanu en première partie, le Schubert de la seconde s’étant avéré des plus lyriques qu’on puisse rêver.


C’est donc dans sa demeure de Greenwich, au nord-est des Etats-Unis, que Kurt Masur s’est éteint ce 19 décembre, laissant aussi bien les musiciens français qu’américains ou allemands quelque peu orphelins. Masur, plus que jamais, un citoyen du monde...



Le legs discographique de Kurt Masur


Bien que Kurt Masur ait dirigé de très grands orchestres au fil d’une carrière des plus remplies, force est de constater que sa discographie n’a pas la richesse de certains de ses confrères: peu d’incursions dans le domaine lyrique, un retour fréquent aux mêmes compositeurs (principalement le grand répertoire germanique)... Ayant enregistré essentiellement chez Berlin Classics, Philips et Teldec, il peut néanmoins s’enorgueillir de quelques disques qui témoignent tant de son art que de sa passion pour certains compositeurs.


Johannes Brahms





Bien que familier du compositeur allemand (Kurt Masur enregistra aussi bien ses Symphonies que l’intégrale des Danses hongroises), c’est surtout dans cette version de concert du Concerto pour violon qu’il reste une des grandes références. Anne-Sophie Mutter et le Philharmonique de New York sont splendides; le résultat culmine dans un troisième mouvement étourdissant (Deutsche Grammophon). Une réussite qui ne sera malheureusement pas renouvelée dans un Concerto de Beethoven beaucoup plus lisse et banal (chez le même éditeur).


Max Bruch





De Bruch, on ne connaît guère plus que le Premier Concerto pour violon: Masur a enregistré celui-ci mais aussi les deux autres avec Salvatore Accardo (Philips), mais il faut avant tout découvrir les trois splendides Symphonies auxquelles il redonne vie (Philips, puis Decca).


Dimitri Chostakovitch





Bon interprète de la musique russe, d’ailleurs plus en concert qu’au disque, Kurt Masur a eu l’occasion de rencontrer Dimitri Chostakovitch, dont il a toujours été un brillant défenseur. Au sein de sa discographie, on choisira cette Septième Symphonie «Leningrad» (voir ici), reflet d’un concert parisien donné à la tête de l’Orchestre national de France le 18 mai 2006. L’inspiration du concert est exceptionnelle et hisse cette version parmi les plus belles de ces dernières années (Naïve).


Felix Mendelssohn





Sans aucun doute, le compositeur de prédilection de Kurt Masur, qui a enregistré une partie non négligeable de son œuvre avec orchestre. Si l’on peut trouver ailleurs aussi intéressant voire mieux en ce qui concerne les cinq Symphonies (récemment rééditées dans un coffret chez Warner, qui y associe entre autres les deux Concertos pour piano et l’intégrale du Songe d’une nuit d’été), le coffret des douze Symphonies de jeunesse s’impose (Berlin Classics, puis Brilliant Classics, 1971). Les cordes de Leipzig sont splendides et la direction de Masur idéale. Signalons également La Première Nuit de Walpurgis gravée en 1973 (Brilliant Classics de nouveau) et une des plus belles versions qui soit du célèbre Second Concerto pour violon, le complément (le Premier Concerto de Bruch) permettant au jeune Maxim Vengerov, au seuil de son explosion médiatique, de faire montre de tous ses talents (Teldec).


Robert Schumann





Bien que peu familier du répertoire lyrique (tout au plus peut-on recommander son Ariane à Naxos, publiée chez Philips avec un trio féminin de premier ordre: Norman, Varady et Gruberova!), Kurt Masur signait là une version de Genoveva qui n’a jamais été détrônée depuis. Premier enregistrement intégral de l’œuvre réalisé à la tête des forces de Leipzig en 1976, on entend là tous les accents du grand romantisme allemand portés par des voix irréprochables, à commencer par celles de Dietrich Fischer-Dieskau et d’Edda Moser (Berlin Classics, puis Brilliant Classics).


Richard Strauss





Même si l’on a pu entendre en concert Kurt Masur dans certaines œuvres de Richard Strauss, celui-ci n’est jamais passé pour un de ses compositeurs de prédilection. Et pourtant, en août 1982, il dirige Jessye Norman dans une des plus belles versions qui soient des Quatre derniers lieder (Philips), la voix charnue et la déclamation de la soprano s’épanouissant sur le tapis orchestral enjôleur de Leipzig. En complément, six autres lieder orchestrés par Strauss dont le célèbre «Morgen».


Le site de Kurt Masur



Sébastien Gauthier

 

 

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