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Entretien avec Vanessa Benelli Mosell
07/16/2015


Après un récital «carte de visite» (Haydn, Liszt, Scriabine, Prokofiev) puis un disque entièrement consacré à Liszt, tous deux chez Brilliant Classics, Vanessa Benelli Mosell (née en 1987) frappe fort pour son arrivée chez Decca: un album dont plus de la moitié est consacrée à Stockhausen, associé, sous le titre «[R]evolution» et sans rapport apparent, à deux autres compositeurs, Stravinski et Beffa. Voilà qui intrigue suffisamment pour vouloir mieux faire connaissance avec une Toscane de naissance devenue, depuis novembre dernier, Parisienne d’adoption et qui, pour ses études, a par ailleurs déjà vécu à Londres et à Moscou.



V. Benelli Mosell (© Matteo Niccolai)


Vous avez étudié en Italie, bien sûr, puis en Russie et au Royaume-Uni. Qu’est-ce qui vous relie à la France et au français, que vous parlez si bien?
Une partie de ma famille habite en France depuis deux ou trois générations. Quand j’étais enfant, je suis venue en France à plusieurs reprises et pendant mon adolescence, j’ai suivi des cours et des classes de maître à Paris. C’est ainsi que j’ai connu la culture et la langue françaises.


Vous avez fait vos débuts avec Pascal Rogé?
En août 1999, j’ai participé à une classe de maître à Nice, la première semaine avec Jean-Philippe Collard, la seconde avec Pascal Rogé. Durant cette semaine, Pascal Rogé a demandé à parler à ma mère, en ma présence: il a demandé si je pouvais donner avec lui à New York en octobre le Concerto pour deux pianos de Poulenc. J’ai accepté avec joie, j’ai appris l’œuvre et deux mois plus tard, j’ai fait mes débuts aux Etats-Unis! Et c’était aussi la première fois que je jouais à deux pianos.


Vous n’aviez pas encore douze ans...
En effet! Et avec Pascal Rogé, nous parlions en français, ce qui m’a aussi donné l’occasion de progresser.


Vous avez déjà publié précédemment deux disques chez Brilliant Classics. Qu’est-ce qui vous a conduit à rejoindre Decca?
C’est grâce à la collaboration inoubliable que j’ai eue avec Karlheinz Stockhausen, un compositeur qui a marqué l’histoire de la musique: l’éditeur a été intéressé par cette expérience unique.


Le programme de votre album part donc de Stockhausen. Mais quel est le cheminement qui vous a conduit à le compléter par des œuvres de Stravinski et Beffa? Et quelle signification donnez-vous au titre de ce nouvel album, «[R]evolution»?
Le but était de coupler Stockhausen avec un compositeur plus accessible. Mais il était difficile d’en trouver un qui puisse faire face à une personnalité comme Stockhausen. Après y avoir longtemps réfléchi, il m’a semblé que plusieurs liens existent entre Stravinski et Stockhausen. Par exemple, l’évolution de Stravinski, qui commence avec la culture de son pays, les thèmes et mélodies traditionnels – on le voit dans Pétrouchka – pour rejeter ensuite, après la révolution, la Russie et évoluer vers le néoclassicisme. Son parcours musical a été marqué par beaucoup de révolutions, parvenant même finalement, après la mort de Schönberg, à un langage influencé par le sérialisme. Il fut certainement l’une des personnalités artistiques les plus multiples du XXe siècle.


En quelque sorte le Picasso de la musique.
Il y a en effet, chez lui comme chez le peintre, beaucoup de périodes différentes!
Au moment où Stravinski a adhéré au sérialisme, l’une des œuvres les plus avancées et les plus impressionnantes de Stockhausen était Gruppen: après le pointillisme, Stockhausen a adopté le sérialisme, travaillant non seulement sur des groupes de notes mais aussi sur des groupes d’instruments et même sur des groupes d’orchestres, et cela a beaucoup marqué Stravinski.
J’ai parlé de ce projet de disque à Karol Beffa, qui m’avait envoyé, comme le font beaucoup de compositeurs, certaines de ses partitions. Parmi elles, j’ai choisi la Suite, car j’ai trouvé que son langage, ses formules rythmiques et répétitives, ses emprunts au jazz, avaient des analogies avec le piano de Stravinski.


... le Stravinski «néoclassique» des années 1920 et 1930 plutôt que celui de Pétrouchka...
Oui, les titres des trois pièces de la Suite évoquent d’ailleurs Couperin.
Tout cela m’a fait penser, pour le disque, à un titre qui aurait été «Evolution», depuis Stravinski jusqu’à la figure très révolutionnaire de Stockhausen pour retourner, avec Beffa, à un langage plus accessible, devenu aujourd’hui très courant.


Après Gruppen, Stockhausen a lui-même encore évolué.
Il a évolué, mais c’était davantage une recherche, qui lui a permis d’atteindre le point ultime d’avancement esthétique. Aucun compositeur n’est allé aussi loin, même aujourd’hui avec les progrès de la technologie: un compositeur comme Marco Stroppa, par exemple, utilise certes ces technologies, mais Stockhausen, par rapport à son époque, était toujours à la pointe de l’avant-garde.
J’ai donc suggéré le titre «Evolution», mais Beffa a eu l’idée de le faire précéder d’un «R». «Révolution», cela ne désigne pas seulement le changement mais cela signifie aussi un retour, faire un tour complet. De fait, dans la musique de Beffa, il y a un retour à la tradition. J’ai donc trouvé son idée tout à fait intéressante et la maison de disques l’a beaucoup appréciée aussi.


Considérez-vous les Trois Mouvements de «Pétrouchka» comme une œuvre «autonome» pour piano? Ou bien, au contraire, essayez-vous de restituer la dimension orchestrale mais aussi narrative du ballet original?
C’est un chef-d’œuvre du répertoire pianistique, même si, à l’origine, il n’a pas été conçu pour piano seul. C’est une démonstration des possibilités de l’instrument: je recherche la couleur orchestrale et la dimension narrative, mais l’écriture est magistrale et la puissance pianistique est maximale – il faut s’engager pleinement d’un point de vue non seulement technique mais aussi cérébral. Après une exécution en public, je suis fatiguée, mais les spectateurs aussi, tellement il y a de notes, de situations, de sonorités! La beauté et la puissance de l’œuvre viennent de ce que tout le ballet est concentré dans une durée très brève. Et à l’époque, il était le seul à écrire de cette façon pour le piano.


Très jeune, vous avez eu la chance de travailler avec Stockhausen. Qu’avez-vous retenu de ses conseils et recommandations? Insistait-il sur la précision rythmique, l’expression, le chant, la couleur, le geste, le climat général?
J’ai abordé seule ses quatre premiers Klavierstücke car mes professeurs à Imola n’étaient pas en mesure de maîtriser ce langage. J’ai découvert que les quelques enregistrements existants n’étaient pas toujours satisfaisants en termes de précision. A mon tour, j’ai enregistré ces pièces pour la radio, qui les a diffusées. Le présentateur de l’émission, le musicologue Mario Bortolotto, était un ami de Stockhausen et, comme il avait aimé mon enregistrement, il l’a fait connaître au compositeur.
Deux semaines plus tard, Stockhausen m’a appelé et m’a demandé de venir travailler avec lui. J’étais très impressionnée à la perspective de jouer devant lui durant cette audition qui était organisée pour sélectionner ceux qui allaient être admis à suivre ses cours. Il y avait beaucoup d’autres artistes et à dix-neuf ans, je ne connaissais alors quasiment pas l’univers de Stockhausen. Je suis donc sortie de la salle et j’ai expliqué à ma mère que je ne me sentais pas à la hauteur mais elle a réussi à me convaincre d’essayer.
Stockhausen a jugé que ce que je faisais était presque parfait et il ne m’a donc pas donné beaucoup de conseils. Il a toutefois beaucoup insisté sur la dynamique, qui n’est pas du tout la même que d’habitude: par exemple, il faut jouer les piano quasiment forte ou mezzo forte, car il y a chez lui quatre nuances de piano. Je ne pouvais pas le savoir, de même qu’il voulait toujours que j’aille plus lentement que ce qui est écrit dans la partition et que j’exagère les rubatos et ritardandos. C’est donc une musique qu’il faut jouer de façon très expressive, sinon elle deviendrait aride, même si les durées, par exemple pour la dernière note d’un morceau, ne doivent surtout pas être abordées comme dans la musique romantique.



V. Benelli Mosell (© Olivier Brauman)


La Suite de Beffa peut aussi être jouée au clavecin. Avez-vous un intérêt pour les instruments anciens? Avez-vous vous-même pratiqué de tels instruments?
J’ai pratiqué le pianoforte à Imola, car mon professeur possédait une collection d’instruments anciens. A la villa d’Este, j’ai essayé un Erard sur lequel Liszt avait joué. Je connais donc bien ces instruments et je sais qu’ils ne sont pas adaptés aux grandes salles modernes: à mon avis, on ne devrait jouer sur des instruments anciens que dans des lieux anciens, seuls appropriés pour les mettre convenablement en valeur. De toute façon, la question ne se pose pas pour une partie importante de mon répertoire, à savoir le XXe siècle. Et puis, si l’on veut faire de la philologie, alors, il ne faut pas utiliser le même instrument dans Mozart que dans Liszt. Le piano a évolué mais je suis satisfaite du stade qu’il a atteint: je n’ai pas envie d’expérimenter des instruments avec davantage de touches, davantage de pédales ou davantage de cordes.


En remplaçant Stockhausen par la Deuxième Sonate de Boulez ou les Variations de Webern, votre programme aurait exactement été celui d’un célèbre disque du plus grand pianiste vivant de votre pays, Maurizio Pollini. Avez-vous eu l’occasion de l’entendre, de le rencontrer, de travailler avec lui?
Je l’ai rencontré, je l’ai entendu plusieurs fois et je connais bien ses enregistrements. Je suis fan depuis toujours! Contrairement à d’autres pianistes, il joue à la fois de la musique contemporaine et de la musique classique, ce qui donne la possibilité au grand public de découvrir la musique contemporaine. Dans les années 1970, il en a même joué dans des usines avec Claudio Abbado et Luigi Nono.


Quels sont les autres pianistes qui vous inspirent, que vous admirez?
Sviatoslav Richter, car j’aime beaucoup sa sonorité, immédiatement reconnaissable. J’apprécie aussi beaucoup la façon dont il était ouvert à tous les styles de musique.


Quand vous avez étudié en Russie, avez-vous retrouvé cette sonorité?
Richter est unique, car sa sonorité est très particulière. Et puis il ne faut pas essayer d’imiter quelqu’un! Même Pollini n’était pas un modèle pour moi.
Mon professeur, Mikhail Voskresensky, était élève de Lev Oborin et de Yakov Milstein, qui avait lui-même été l’élève de Scriabine. J’ai beaucoup appris sur le répertoire des pianistes russes – Chopin, Liszt, Rachmaninov, Scriabine... Et avant, j’avais déjà rencontré l’école russe en travaillant avec Dina Yoffe, une élève de Vera Gornostayeva.


Avez-vous déjà d’autres projets chez Decca?
Deux autres enregistrements sont prévus dans mon contrat et très bientôt, on en saura davantage: à suivre!


En concert, quelles sont les œuvres que vous allez prochainement mettre à votre répertoire? Vous produisez-vous avec d’autres artistes, musiciens ou chanteurs, par exemple?
Cet été, je vais donner la Suite de Beffa mais aussi faire de la musique de chambre (Chopin, Schumann...) avec Alain Meunier, Rebecca Chaillot et Tristan Pfaff, non loin de Montélimar, puis avec Henri Demarquette, notamment dans des œuvres de Rachmaninov et Piazzolla, au Croisic. Je jouerai aussi en septembre le Deuxième Concerto de Rachmaninov, puis le Triple Concerto de Beethoven en Espagne avec Julian Rachlin et Boris Andrianov.



Le site de Vanessa Benelli Mosell



[Propos recueillis par Simon Corley]

 

 

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