About us / Contact

The Classical Music Network

Editorials

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

L’avenir des formations musicales de Radio France
05/05/2015


Arrêtons le gâchis!


Il y a peu, on pouvait penser que la musique classique retrouvait tout son lustre en France. Or, l’éclosion de nouvelles salles – qu’elles se situent à Paris comme l’auditorium de Radio France ou la Philharmonie à La Villette, ou en province, comme le flambant auditorium récemment construit à Bordeaux – et le lancement réussi des programmations pour la saison 2015/2016 – les grands orchestres du monde entier se pressant notamment dans les salles parisiennes – ont été assombris par de nombreux événements – suppression des subventions accordées par certaines régions à plusieurs ensembles comme les Arts Florissants, l’Orchestre de Dijon-Bourgogne ou Les Musiciens du Louvre-Grenoble, réforme en cours des conservatoires parisiens, qui tient davantage du populisme que de l’intérêt réel de la musique – dont l’importante crise qui a secoué Radio France est le dernier avatar, ce mouvement ayant fait peser une sérieuse menace sur l’existence de deux orchestres parmi les plus emblématiques de notre pays, le National de France et le Philharmonique de Radio France.


Que s’est-il passé?


Remontons pour ce faire un peu en arrière, au 27 février 2014, lorsque le Conseil supérieur de l’audiovisuel nomme Mathieu Gallet à la tête de Radio France. Le jeune homme, passé par le cabinet de Frédéric Mitterrand à la Culture avant de prendre les rênes de l’Institut national de l’audiovisuel, passe pour un fervent mélomane que l’on croise effectivement régulièrement dans les salles de concert: d’ailleurs, n’a-t-il pas confié à un grand quotidien qu’une de ses œuvres fétiches était Une vie de héros de Richard Strauss? On pouvait donc fonder les plus grands espoirs sur son arrivée. Pourtant, dès sa prise de fonction officielle à Radio France le 12 mai, il nomme aux fonctions de directeur de la musique Jean-Pierre Rousseau, qui s’engage immédiatement dans un certain nombre de réformes provoquant très rapidement l’ire des musiciens. Alors que le National et le Philhar’ disposent chacun d’une équipe dédiée avec un projet artistique qui lui est propre, M. Rousseau envisage sans concertation de créer une direction unique afin de réaliser des économies: à l’image de ce qui se passe à l’étranger, beaucoup craignent une possible fusion des deux orchestres (voir ici). Dans le même temps, le directeur artistique du Philhar’, Eric Montalbetti, qui a œuvré avec succès pendant dix-huit ans pour en faire un orchestre renommé – la liste des chefs invités s’est étendue, les projets se sont multipliés, le répertoire s’est élargi de la musique baroque aux créations contemporaines –, est conduit à la démission au mois de septembre, suscitant un préavis de grève des musiciens du Philhar’ (lancé par les organisations syndicales CGT et Sud Radio France) dès le 30. Dans le même temps, dans un communiqué sans concession, le Mikko Franck, directeur musical à compter de septembre 2015, se montre solidaire des musiciens, estimant que s’il doit être heureux du fait que «la question abordée ne soit pas celle de la fusion des deux orchestres, malheureusement la mutualisation des administrations [lui] paraît être tout aussi préoccupante». C’est également l’époque où Frédéric Lodéon voit son fameux «Carrefour» déplacé de France Inter à France Musique (de même que, dans un autre genre, le tout aussi symbolique «Là-bas si j’y suis» de Daniel Mermet était supprimé des ondes): et pourtant, qui n’a pas acheté un disque ou écouté une œuvre grâce à ce formidable musicien, à la fois passeur et narrateur, jovial et enthousiaste, grâce à qui la musique classique a souvent pu toucher un public qui lui était jusque-là étranger?


Ensuite, ce furent deux événements qui, coup sur coup, affectèrent l’avenir du National. D’une part, on apprenait le 3 octobre 2014 que Daniele Gatti, l’actuel directeur musical, allait quitter son poste pour succéder à Mariss Jansons à la tête du prestigieux Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam. D’autre part, la directrice artistique de l’orchestre, Christina Rocca, annonçait également début janvier 2015 son départ pour prendre le poste de vice-présidente pour le planning artistique de l’Orchestre symphonique de Chicago, actuellement dirigé par Riccardo Muti. Enfin, après que la célèbre maison ronde eut été victime d’un grave incendie le 31 octobre, ce furent coup sur coup les deux révélations du Canard Enchaîné (sur les dépenses de rénovation de son bureau et sur ses dépenses de communication) qui éclaboussèrent Mathieu Gallet dans un contexte budgétaire pour le moins tendu.


Bref, dans une ambiance délétère où les nuages n’ont cessé de s’amonceler, où les moyens financiers sont comptés (la direction de Radio France ayant présenté pour la première fois de son histoire un budget 2015 en déficit de 21,3 millions d’euros), où s’ouvrent de difficiles négociations avec l’Etat pour conclure le contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour les cinq ans à venir et où , pour ce qui est du National mais de manière plus large pour tout ce qui a trait à la musique, où tout projet artistique d’envergure est absent, Radio France fut plongée dans une grève durable, la plus longue qu’elle ait jamais connue.


Afin de trouver des économies, un des sujets évoqués fut très rapidement celui du maintien de deux orchestres, le National et le Philhar’, sachant que Radio France compte également dans ses rangs deux autres formations musicale, le Chœur et la Maîtrise. Certes, par le passé, certaines entités ont pu disparaître: souvenons-nous que l’ORTF a, à un moment, également compté dans son escarcelle l’Orchestre Radio-Lyrique (créé en 1941) ainsi que l’Orchestre de chambre de la Radiodiffusion française (qui vit le jour en 1952), deux phalanges qui se fondirent au sein du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio-France, créé pour sa part en 1976! Alors, si des orchestres ont pu disparaître par le passé, pourquoi pas aujourd’hui dirons certains... Et il est vrai que certains, à commencer par la Cour des comptes dans le rapport qu’elle a consacré à Radio France au début du mois d’avril («Les raisons d’une crise, les pistes d’une réforme»), préconisent de «fusionner les deux orchestres symphoniques de Radio France, [et d’]établir une direction commune à France Musique et à la direction de la musique (Radio France)» (recommandation n° 6). Ce point de vue strictement comptable a été relayé avec démagogie par quelques think tanks ultra-libéraux (voir ici) qui ne font d’ailleurs aucune analyse ni économique, ni artistique, et par une partie de la presse, qui voit dans ce maintien de deux orchestres un bouc émissaire facile à sacrifier dans le contexte actuel.


Or, de quoi parle-t-on? Tout simplement du rayonnement artistique de notre pays! Car ce sont bien souvent les mêmes qui sont prompts à formuler des critiques aujourd’hui alors que, lors du concert célébrant le quatre-vingtième anniversaire du National, ils étaient les premiers à applaudir aux propos conclusifs de Riccardo Muti, qui exhortait les décideurs de notre pays à faire vivre l’Orchestre national de France, ambassadeur musical de premier ordre à travers le monde!


On sait très bien que la culture ne fait jamais partie des priorités lorsque les difficultés financières s’amoncellent sur un pays. Mais la fusion des deux orchestres serait une catastrophe. Non seulement parce que cela se traduirait aussi bien par une arrivée massive de musiciens – serait-il utile d’avoir au sein d’un même orchestre quinze cors ou huit clarinettes? – que par, fatalement, un nombre important de départs. En outre, l’idée de rénover l’auditorium de Radio France était de donner à ces deux orchestres un lieu stable pour leurs répétitions et leurs concerts: la disparition d’une des deux phalanges reviendrait donc à amoindrir la rentabilité de cette salle puisque, mécaniquement, le nombre de concerts qui y seraient donnés serait en baisse. De plus, le National et le Philhar’ ont deux personnalités très différentes, non seulement dans le son même de chacun des deux orchestres que dans le répertoire choisi: pour s’en convaincre, il suffit de regarder les programmations qui, même s’il peut effectivement y avoir des doublons – mais au nom de quoi l’un des deux orchestres devrait-il renoncer à jouer Beethoven ou Brahms au profit de son petit camarade? – versent plus volontiers dans le symphonique et l’opéra côté National, plus dans le baroque et le contemporain côté Philhar’. Enfin, au-delà de ces questions de programmation, la disparition d’un orchestre de cette trempe serait tout simplement un point extrêmement négatif pour la politique culturelle française, surtout quand on sait combien Paris suscite aujourd’hui envie et admiration au lendemain du lancement réussi de ses nouvelles salles de concerts, partout saluées à travers le monde, du Guardian au New York Times, en passant par les commentaires louangeurs de chefs de premier plan comme Mariss Jansons ou Sir Simon Rattle!


Une fois le constat posé, que faut-il faire?


Fortement sollicité par les questions de plusieurs députés (Michel Françaix, Barbara Pompili, Hervé Féron...) lors de son audition, le 8 avril 2015, par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, Mathieu Gallet a rappelé que «le choix du redimensionnement [des orchestres], ce n’est pas mon choix [mais celui du Ministère]». D’ailleurs, que signifie le mot de «redimensionnement»? Si la ministre de la culture et de la communication, Fleur Pellerin, a quelque peu rassuré en éconduisant toute fusion entre les deux orchestres, on ne peut dire néanmoins que son discours ait été jusqu’à présent très clair, le fait que «l’Etat soit prête à prendre ses responsabilités» étant une manière polie de dire que, pour l’heure, aucune décision n’est prise mais aucune n’est véritablement écartée… La Cour des comptes, dans un titre volontairement frappant et réducteur de son rapport («Des formations musicales nombreuses et coûteuses»), la première section s’intitulant tout simplement «Un coût excessif» (pages 46 sq.), a rappelé que les deux orchestres représentaient en 2013 un coût direct de 39,1 millions d’euros, les dépenses de fonctionnement de l’Orchestre national de France et du Philharmonique de Radio France se montant respectivement à 3,6 millions et 4,6 millions en 2013, les recettes de billetterie et les recettes de mécénat de l’ensemble des formations musicales s’élevant, en retour et pour la même période, respectivement à 2,1 millions et 0,2 million d’euros. Une liste des sources d’économies a été dressée, des plus réalisables – installation durable du National au Théâtre des Champs-Elysées pour permettre au Philhar’ de jouer et répéter à l’auditorium de Radio France et au National d’être en résidence dans une salle dédiée – aux plus imaginatives – transfert du National à Dijon, fusion des orchestres... –, des ballons d’essai ont été lancés – participation de la Caisse des dépôts et consignations au financement du National – et, pendant ce temps, la grève s’est poursuivie, poussant les deux orchestres à jouer dans le hall de Radio France ou dans une salle vide de tout public.


En faisant preuve de réalisme, la solution la plus viable et la plus durable semble surtout de contenir les effectifs des deux orchestres pour maintenir les coûts de fonctionnement (notamment de la masse salariale qui, aux dires de la Cour des comptes, représente près de 28 millions d’euros pour les quatre formations de Radio France en 2013). Ensuite, un partage optimal de la présence du National entre l’avenue Montaigne et l’avenue du Président Kennedy doit sans doute être possible, le Philhar’ ayant vocation à rester à l’auditorium de Radio France comme l’Orchestre de Paris est assuré de bénéficier de la Philharmonie à La Villette. Il importe également que le ministère de la culture cesse ses atermoiements et, comme il aime à le dire, prenne ses responsabilités, les dotations de l’Etat devant être assurées et les engagements pris pleinement respectés, au-delà des changements de majorité ou des difficultés financières.


Mais, surtout, un projet artistique doit être sérieusement établi pour chacune des deux formations. Alors que le Philhar’ a réussi à trouver un successeur à Myung-Whun Chung en la personne du Finlandais Mikko Franck, le National n’a toujours pas de successeur désigné pour prendre la suite de Daniele Gatti en 2016, autant dire demain! Par ailleurs, aucun des deux orchestres n’a aujourd’hui de directeur artistique, capable de donner une ligne générale claire en accord avec le directeur musical et permettant ainsi aux musiciens et au public de s’inscrire dans la durée: pourvoir ces deux postes est aujourd’hui une nécessité absolue! Par ailleurs, que ces deux orchestres diversifient leurs activités, comme l’a souhaité Mathieu Gallet lors de son audition à l’Assemblée nationale, vers «un nouveau public, un public plus familial», c’est déjà le cas – et le patron de Radio France l’a d’ailleurs admis: des réserves et du potentiel peuvent certainement être trouvés en interne mais, lorsqu’on lit la pétition lancée par les deux orchestres pour protester contre leur possible fusion (pétition signée notamment par des personnalités aussi diverses qu’Alain Altinoglu ou les sœurs Labèque, Jacques Attali ou René Koering, Marc Coppey ou Fabien Gabel), nul doute que les musiciens y sont prêts. Après vingt-huit jours de grève, Radio France sort groggy: il faut vite panser les plaies, renouer le dialogue social et relancer les initiatives afin de faire fructifier l’existence de salles de concert optimales et de satisfaire un public désireux d’entendre le grand répertoire.


Sébastien Gauthier

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com