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Entretien avec Douglas Boyd
03/15/2015


Douglas Boyd (né en 1959) s’est fait connaître comme un des grands hautboïstes de sa génération, qui, après avoir notamment été l’élève de Maurice Bourgue, fut soliste, pendant vingt-et-un ans, de l’Orchestre de chambre d’Europe, dont il fut l’un des fondateurs. Mais on ignore souvent en France que, directeur musical de la Camerata de Manchester (2001-2011), chef associé (2003) puis premier chef invité du Sinfonia de la City de Londres (2006), «partenaire artistique» de l’Orchestre de chambre de Saint Paul (2004-2009) et premier chef invité de l’Orchestre symphonique du Colorado (2008-2011), il se consacre depuis 2002 exclusivement à la direction d’orchestre, étant actuellement chef principal du Collège de musique de Winterthur (depuis 2009) et directeur musical de l’Opéra de Garsington (depuis 2012). Du moins on l’ignorait jusqu’à ce qu’il fût nommé, avec effet au 1er juillet 2015, directeur musical de l’Orchestre de chambre de Paris, où il succèdera au triumvirat formé par Thomas Zehetmair, chef principal et conseiller artistique, Roger Norrington, premier chef invité, et François Leleux, artiste associé.


Ayant à cœur de s’exprimer en français, cherchant ses mots avec sérieux et méthode, et le plus souvent avec succès, le chef écossais répond à nos questions sur la nouvelle Philharmonie de Paris, dont l’orchestre est l’une des «formations associées», la vie musicale dans la capitale, ses projets et son implication à la tête d’une formation qui se qualifie elle-même de «citoyenne». De fait, à la faveur de sa résidence porte de Pantin, l’Orchestre de chambre de Paris poursuivra ses partenariats et ses actions de proximité au nord-est de Paris et dans les communes limitrophes, avec notamment en ce printemps l’aboutissement de plusieurs «projets participatifs» que sont la production d'un opéra pour enfants au Pré-Saint-Gervais), l’initiation à la pratique collective sur instruments à cordes pour des collégiens (XXe), et la création d'un «opéra hip-hop» avec de jeunes rappeurs et danseurs (XIXe).



D. Boyd (© Alan Stratton/Medialane)


Vous allez prendre vos fonctions à un moment important de l’histoire de l’Orchestre de chambre de Paris: l’ancien Ensemble orchestral de Paris a une nouvelle identité depuis 2012 et, en tant que «formation associée» comme l’Orchestre national d’Ile-de-France et Les Arts florissants, a désormais un lien privilégié avec la Philharmonie de Paris, inaugurée mi-janvier. Quel est votre projet pour cet orchestre?
Mon grand projet est d’avoir un orchestre de classe internationale pour une ville qui est aussi de classe internationale. Je pense qu’il est tout à fait possible d’y parvenir avec cet orchestre, car nous avons des atomes crochus, comme l’a montré le concert que nous avons donné ensemble fin janvier au Théâtre des Champs-Elysées. L’atmosphère était fantastique: nous avons travaillé très dur mais dans un esprit de corps pour faire de la musique au plus haut niveau. Je suis donc très optimiste pour l’avenir. En ce moment, c’est ma lune de miel et j’espère qu’elle durera longtemps!
Et puis j’arrive à un moment extraordinaire pour l’orchestre. Nous avons une nouvelle salle et je crois que nous sommes le seul orchestre parisien à jouer aussi bien à la Philharmonie qu’au Théâtre des Champs-Elysées ou à l’Opéra-Comique. C’est très spécial et cela me fait penser à une vieille publicité pour Heineken, «la bière qui rafraîchit les parties que les autres bières ne peuvent atteindre»! Nous sommes l’orchestre qui peut atteindre des lieux qu’aucun autre orchestre ne peut atteindre.


L’Orchestre de chambre de Paris se définit comme un «orchestre citoyen». Comment comptez-vous développer cet aspect de sa personnalité?
Je déteste l’expression «musique classique»: il y a simplement de la musique orchestrale ou de la grande musique. Il est vital pour l’avenir de montrer au public que notre musique est pour tout le monde et pas seulement pour une élite, pour 1% de la population, et de faire passer le message que la musique est indispensable à notre temps.


Avez-vous déjà pu apprécier les caractéristiques architecturales et acoustiques de la Philharmonie?
C’est unique, extraordinaire et, ce qui est le plus important pour nous, l’acoustique est absolument géniale. En outre, l’orchestre a désormais une maison, comprenant une salle de répétition, ce qui lui permettra de façonner une sonorité, particulièrement dans le répertoire classique – Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert – et trouver une voix qui sera uniquement la sienne. Je n’y ai pas encore entendu de concerts en tant que spectateur, mais ma femme [la violoncelliste Sally Pendlebury] y a joué il y a deux jours avec l’Orchestre de chambre d’Europe et m’a dit que le rapport avec le public est parfait.


Vous allez continuer à alterner avec le Théâtre des Champs-Elysées. Comment abordez-vous avec l’orchestre ce défi de jouer dans deux salles si différentes?
J’aime ce défi: nous avons l’«ancien monde» du Théâtre des Champs-Elysées, avec une tradition de plus d’un siècle que l’on ressent dans la salle, et le «nouveau monde» de la Philharmonie.


Vous avez joué et dirigé dans beaucoup de salles modernes dans le monde entier. Comment situez-vous la Philharmonie par rapport à ces salles?
Elle se range certainement parmi les meilleures salles du monde! C’est une chose qui n’existe pas à Londres et dont nous aurions besoin: Simon Rattle le réclame maintenant!


A Paris, il a fallu beaucoup de temps à Pierre Boulez pour y arriver...
Ce qui est aussi très important pour la Philharmonie, c’est d’être une plaque tournante (hub) pour toute la population, les écoles, les enfants, pour faire de la musique non seulement à l’étage de la Philharmonie mais dans tous les arrondissements de la ville.


Vous habitez Londres, vous avez occupé des fonctions en Europe, à Manchester et à Winterthur, mais aussi aux Etats-Unis, à Saint-Paul et à Denver. Comment percevez-vous la vie musicale parisienne?
Le public est très chaleureux: quand il aime quelque chose, il l’exprime vraiment honnêtement – mais quand il ne l’aime pas, il l’exprime aussi. En Angleterre, le public est plus poli, mais je préfère Paris!


Alors que vous allez désormais vivre une partie de l’année à Paris, quels sont vos souvenirs de la ville?
J’y ai étudié avec Maurice Bourgue, mais je faisais alors régulièrement l’aller-retour entre Londres et Paris. Etudier avec lui a véritablement changé ma vie, car c’est vraiment un musicien et une personne extraordinaire.
Et c’est à la Cité de la musique, aujourd’hui «Philharmonie 2», que j’ai donné [en mai 2002] mon dernier concert avec l’Orchestre de chambre d’Europe, où j’ai joué pendant vingt-et-un ans, et ce fut aussi mon dernier concert en tant que hautboïste. Ce souvenir m’est d’autant plus précieux que c’est Claudio Abbado dirigeait, avec Anne Sofie von Otter et Thomas Quasthoff en solistes. On peut d’ailleurs encore voir ce concert sur YouTube et un disque d’orchestrations de lieder de Schubert est également sorti. Paris est donc une ville très importante pour moi!



D. Boyd


Quel est selon vous le répertoire d’une formation de quarante-trois musiciens?
C’est un répertoire très vaste (catholic). Et l’on peut jouer aussi sur le nombre, c’est-à-dire donner un concert extraordinaire avec cinq musiciens comme avec cinquante-cinq musiciens. On peut jouer, comme la saison prochaine, aussi bien la musique de Purcell – sa Fantaisie pour quatre musiciens seulement – que des symphonies de Beethoven et Schönberg ou une création de Philippe Manoury. C’est donc un répertoire universel, mais au cœur de ce répertoire se situe la musique classique – Haydn, Mozart... – où il est très important de trouver une langue pour notre époque, avec toutes les émotions imaginables – joie, terreur, amour.


C’est précisément un répertoire dans lequel beaucoup d’innovations ont été apportées dans l’interprétation au cours des dernières décennies, grâce à des chefs tels que Brüggen, Gardiner, Harnoncourt, Norrington... Retenez-vous des enseignements de ces chefs? Les cordes de l’orchestre joueront-t-elles par exemple avec un peu ou beaucoup de vibrato?
Si l’on dit aux musiciens de ne pas faire de vibrato, c’est trop négatif: plutôt que d’interdire quelque chose, il vaut mieux dire «Faites quelque chose». Plus important que le vibrato, il faut être expressif avec l’archet: je préfère donc dire «Soyez expressifs ici, et moins expressifs là» que de parler de vibrato. L’influence de Nikolaus Harnoncourt a été formidable: j’ai travaillé avec lui pendant une vingtaine d’années et c’est une figure messianique, mais il est très important pour un chef de trouver sa vraie voie. En dix secondes, un orchestre va sentir si vous n’êtes pas authentique et je dois donc trouver ma voie.


Recourrez-vous à des instruments «anciens» pour certains pupitres, comme les trompettes, les timbales ou peut-être aussi les cors?
Nous allons l’expérimenter avec les trompettes et les timbales, et peut-être aussi les cors. Les trompettes et les timbales forment une équipe, mais pour les cors, c’est un peu plus compliqué, car ils sont entre les cuivres et la petite harmonie. Je crois que la question n’est donc pas aussi importante pour les cors.


Que pouvez-vous déjà nous révéler de la programmation de la prochaine saison?
Ce sera une saison éclectique et de transition. J’ai déjà mentionné la création du Concerto pour violoncelle de Manoury avec Gautier Capuçon, dans un concert dont la seconde partie sera consacrée à la Sérénade «Haffner» de Mozart avec notre fantastique premier violon super soliste, Deborah Nemtanu. Il y aura aussi un concert anglais avec la Sérénade pour ténor et cor et les Variations sur un thème de Frank Bridge de Britten, la Fantaisie sur un thème de Corelli de Tippett et l’œuvre de Corelli qui l’a inspiré. Pour Noël, nous donnerons à la Philharmonie Le Messie en anglais, avec quatre formidables solistes anglais. Nous aurons aussi un programme consacré aux première et seconde Ecoles de Vienne – Haydn, Schönberg, Mahler (avec Nathalie Stutzmann) et Webern.


Avez-vous déjà des projets de thèmes ou de compositeurs pour les saisons ultérieures?
J’espère que nous pourrons proposer un cycle des Symphonies de Beethoven. C’est mon rêve, mais il y a beaucoup de projets pour la saison 2016-2017, que nous commençons seulement à programmer.


Vous êtes fan de football. Quel est votre pronostic pour le match retour entre Paris-Saint-Germain et Chelsea le 11 mars prochain?
J’aime tous les sports qui se jouent avec une balle, mais avant mon équipe favorite est Crystal Palace. J’ai donné la semaine dernière une interview à L’Equipe et j’ai expliqué que la musique est pour tout le monde. Nous devons allons vers les gens en leur disant que la musique, comme le sport, peut changer leur vie, comme l’a montré El Sistema au Venezuela.
Cela étant, je suis désolé de vous dire qu’avec un match nul un partout à Paris, Mourinho ne peut pas perdre! [Quelques jours après cet entretien, l’équipe parisienne a obtenu un match nul sur le terrain de Chelsea, se qualifiant ainsi pour les quarts de finale de la Ligue des champions.]


Le site de Douglas Boyd
Le site de l’Orchestre de chambre de Paris
Le concert du 30 janvier avec l’Orchestre de chambre de Paris au Théâtre des Champs-Elysées: un extrait sur YouTube et en intégralité sur le site de France Musique


[Propos recueillis par Simon Corley]

 

 

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