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Entretien avec Paul Agnew
08/29/2014


P. Agnew (© Sébastien Gauthier)




Etes-vous venu au festival de Thiré par le biais direct de William Christie? Et comment vous y voyez-vous puisque vous y chantez mais vous y dirigez également?
En fait, avant même que le festival n’existe, j’étais déjà chef invité des Arts Florissants et donc, lorsqu’il a été acquis que l’ensemble participerait à cette manifestation, j’ai été assez naturellement inclus dans la programmation. Dès le début, il a été acquis que William s’occuperait des concerts sur le Miroir d’eau et que Johnny [Jonathan Cohen] et moi, nous dirigerions ailleurs et, à ce titre, l’église de Thiré nous est rapidement apparue comme étant le lieu le plus évident, d’autant que je travaille beaucoup, pendant toute la saison, avec le chœur des Arts Florissants, plus spécifiquement dans le répertoire de la musique sacrée. Et puis, l’année dernière, j’ai eu l’idée – parce que la musique baroque se divise, pour aller vite, entre musique profane et musique sacrée (cette dernière étant même prépondérante à mon sens par rapport à la musique profane) – de réserver certains moments du festival à la musique sacrée. Et on a décidé d’appeler ça «Les Méditations». Ce sont donc des concerts qui ont lieu 30 minutes environ après la fin du concert du soir sur le Miroir d’eau et dont le programme varie selon les artistes disponibles et selon mes propres envies. Le principe veut que ces soirées, données à la seule lumière des chandelles, durent environ une demi-heure et se finissent sans applaudissements, ce qui permet de terminer des journées souvent fort riches et très chargées par un moment de réelle méditation et de véritable communion, que l’on soit croyant ou non. Et ça marche très bien. C’est donc par ce biais que je trouve ma place dans ce festival mais je chante également, notamment dans le cadre des promenades musicales.


Demain, vous allez diriger un programme entièrement consacré à Purcell, «Hear my prayer»: comment avez-vous conçu ce programme et quel choix a dicté la sélection des pièces qui vont y être données?
J’ai voulu donner un aperçu de l’œuvre sacrée de Purcell. En fait, Purcell est surtout connu pour ses opéras mais ceux-ci ont été essentiellement composés à la fin de sa vie, dans les années 1690. Si l’on rencontrait aujourd’hui Purcell, je pense qu’il serait assez étonné de voir sa réputation fondée sur seulement quelques œuvres comme Le Roi Arthur ou Didon et Enée alors que, dès l’âge de six ou sept ans, il a commencé à composer pour l’église. Nous avons donné ce programme dans le cadre de deux tournées: il comprend des pièces de musique cérémonielle, essentiellement pour le couronnement de Charles II, et des pièces plus intimistes, sans instrument, pour voix seules. On essaie de jouer ces divers morceaux de la façon la plus authentique qui soit, en ayant seulement recours à un quatuor de cordes, un théorbe et un orgue. Car il faut savoir que, contrairement à ce que pourrait laisser sous-entendre son nom, la Chapelle royale était de petite dimension: seulement 10 mètres sur 30! Et les Twenty-four violins of the King, exacte réplique des Vingt-quatre violons du Roy qui existaient déjà en France, avaient pris l’habitude d’envoyer chaque dimanche, à tour de rôle, cinq d’entre eux pour jouer dans la Chapelle royale à l’occasion des offices religieux. Ces Anthems n’ont donc rien à voir avec de la musique d’orchestre: c’est avant tout de la musique de chambre, avec un chœur très réduit. De plus, la disposition d’alors faisait que l’orchestre ne se trouvait pas dans la chapelle même (on y trouvait, en revanche, le chœur et l’orgue) mais plutôt sur un balcon, à l’opposé: cela explique en partie pourquoi l’orchestre n’intervient guère lorsque le chœur chante. Si j’ai choisi le titre «Hear my prayer», ce n’est pas seulement parce qu’il y a un Anthem, absolument remarquable d’ailleurs, qui porte cet intitulé. C’est aussi parce que, à l’époque où vit Purcell, l’Angleterre est en proie à de très vives inquiétudes. Même si la Restauration intervenue avec l’arrivée de Charles II au pouvoir véhicule une image de plaisir, on oublie le grand incendie de Londres, qui a ravagé un tiers de la ville en 1666; on oublie également la peste qui sévissait fortement, notamment en 1665: tout cela montre que la mort était très présente dans la vie sociale et quotidienne des gens. Et c’est cela que l’on entend dans la musique plus intime de Purcell. On a donc droit à de nombreuses prières, soit de préservation, soit, lorsque notre heure arrive, pour être bien accepté par Dieu dans l’au-delà. Je souhaitais donc qu’il y ait cette diversité de pièces, de la cérémonie à l’intimité. Demain soir, on écourtera un peu le programme par rapport à ce que l’on a pu faire par le passé puisque le concert durera environ une heure. Lorsqu’on a donné ce programme salle Pleyel, on disposait d’un chœur de vingt-deux personnes alors que demain soir, nous aurons un chœur de seulement treize chanteurs. Mais je pense que cet effectif correspond davantage à la réalité de ce qu’était la Chapelle royale, finalement pas beaucoup plus grande que l’église de Thiré. Je suis très content, alors qu’on a peut-être un peu perdu l’habitude de jouer dans ce type d’endroits, que l’on puisse demain donner ce programme dans un lieu qui devrait s’y prêter magnifiquement.


Comment expliquez-vous que l’œuvre sacrée de Henry Purcell ait ainsi besoin d’être redécouverte car, mise à part l’Ode à sainte Cécile, on ne connaît guère ce type de pièces que vous allez diriger demain? C’est d’ailleurs un peu la même chose chez Dowland par exemple, non?
Oh, en fait, j’ai l’impression que c’est le cas pour beaucoup de compositeurs! Chez Dowland effectivement, mis à part Flow my tears et Lacrimae, c’est vrai qu’on ne connaît pas grand-chose de lui. Mais, même pour quelqu’un comme Bach, on vous répondra qu’on connaît ses cantates mais, en fait, on fait toujours référence aux mêmes. C’est donc pareil avec Purcell. Ainsi, on va par exemple donner demain un petit canon, un Miserere nobis, un canon à quatre, avec deux thèmes, qui tient sur seulement deux lignes et qui, sur le papier, est assez peu prometteur. C’est pourtant une œuvre tout à fait remarquable mais c’est vrai qu’elle n’attire pas l’œil; j’avoue que je ne la connaissais absolument pas avant de l’avoir fait répéter. J’ai fait, avec un autre ensemble, un programme d’Anthems de compositeurs autour de Purcell, notamment Pelham Humphrey et William Croft. C’est là aussi tout un pan de la musique qu’il nous reste à découvrir. Alors, il faut évidemment continuer à jouer des œuvres plus connues pour attirer le public mais tout en essayant d’y adjoindre des pièces qui le sont moins. Cela fait partie de la richesse de notre travail!


Si l’on en vient au disque «Le Jardin de Monsieur Rameau» auquel vous avez activement contribué, comment avez-vous découvert la musique de Jean-Philippe Rameau?
En fait, cela remonte à l’époque où j’ai commencé à travailler avec William [Christie]. Il m’a auditionné en 1992, le dernier soir des représentations d’Atys à l’Opéra Comique. J’ai été retenu et j’ai fait avec lui le projet pour lequel j’avais été auditionné, des œuvres de Charpentier. Puis il m’a ensuite proposé un autre projet, qui consistait à enregistrer les Grands Motets de Rameau: c’est là que je l’ai vraiment appréhendé puisqu’on joue très peu Rameau en Angleterre. Je me souviens que lorsque j’ai travaillé In convertendo, cela a été un moment de découverte tout à fait extraordinaire. Puis, dans la foulée, j’ai chanté le rôle de Jason dans Médée de Charpentier, et celui d’Hippolyte dans Hippolyte et Aricie. Ensuite, grâce à Hugues Gall, qui était à l’époque le directeur de l’Opéra national de Paris et qui voulait développer ce répertoire, j’ai chanté dans Les Indes galantes, Les Boréades, Platée avec Marc Minkowski...


Vous avez chanté dans Dardanus aussi?
Non, même si j’ai eu l’occasion de le chanter ailleurs, notamment en Australie. Je n’ai pas chanté non plus dans Les Paladins, que William a monté dans la mise en scène de José Montalvo. Et donc, voilà comment j’ai découvert ce compositeur, sa musique, son imagination orchestrale, son humour... Compositeur qui est pour moi le sommet de la musique baroque française; je ne dis pas le «meilleur» car on peut trouver le meilleur à toute époque mais cette confluence entre ce qui vient de l’air de cour, presqu’uniquement basé sur le récitatif, avec ce qui vient de la musique italienne, davantage concentrée sur la virtuosité et sur la voix, aboutit à un sommet que je trouve véritablement magnifique et qui a définitivement quitté l’âge de la musique baroque. On est vraiment passé à autre chose!


Lorsque j’ai interrogé William Christie sur le disque «Le Jardin de Monsieur Rameau», je lui ai demandé d’où venait le titre et si c’était une référence au fait que, dans le choix des compositeurs, certains pouvaient faire figure de racines pour Rameau (Montéclair), que d’autre pouvaient au contraire en être les fruits (Dauvergne)... Il m’a dit que c’était un peu par hasard que ce titre avait été donné: quelle est votre explication sur ce choix?
Ah, moi, j’adore votre théorie sur le titre! C’est vrai que Rameau, c’est un peu la plus belle rose qui soit après toutes les boutures et les expérimentations qui ont pu être faites avant lui. Mais c’est vrai également que, puisqu’on a fait ce disque avec et dans le cadre du Jardin des Voix, on a pu choisir de donner ce titre en forme de clin d’œil. En ce qui me concerne, j’en ai établi le programme, l’idée étant d’explorer les compositeurs avant, autour et après Rameau. On a ainsi voulu montrer tout le jeu des diverses influences qui pouvait exister à cette époque. On y a même ajouté quelques extraits de Gluck pour montrer que lorsque la tradition a atteint un sommet, on va inévitablement passer à autre chose et basculer dans un autre monde. On a donc commencé par un extrait de Jephté de Montéclair car, un an avant Hippolyte et Aricie, Rameau avait entendu Jephté et c’est ce qui l’a semble-t-il décidé à se lancer à son tour dans le genre de l’opéra. On a également choisi Campra pour mettre en valeur l’influence italienne dans la musique française. On a également choisi des extraits d’opéras de Dauvergne, car 2013 marquait le trois centième anniversaire de sa naissance; j’ai par ailleurs entendu un peu sa musique que j’ai immédiatement adorée. En outre, pour moi, Dauvergne fait véritablement le lien entre Gluck et Rameau: Dauvergne reste très français dans son approche, dans son orchestration mais la mélodie va au-delà de ce qui existait alors, Dauvergne ayant par ailleurs vraisemblablement été l’élève de Rameau. Chez Dauvergne, la mélodie est finalement moins attachée à chaque mot du texte qu’à l’idée générale guidée et exprimée par le texte: et c’est ça qu’on va entendre chez Gluck. Et donc, enfin, Gluck, pour faire référence à toute cette évolution musicale, à son apport en France et à la Querelle des Bouffons, qui l’a justement opposé à Rameau. Il faut également se souvenir que, pour nous, le Jardin des Voix a une visée pédagogique: il fallait donc aussi établir un programme permettant d’expliquer pourquoi on a utilisé certaines formes à un moment donné et qu’on les a abandonnées par la suite, pourquoi on a eu recours à tel instrument à une époque et que celui-ci a disparu ou été modifié...


Une dernière question qui a trait à la fois à ce que vous allez chanter lors des «Méditations» demain soir et au disque qui est actuellement en préparation, et qui touche à l’œuvre de Monteverdi: ce sont ses Madrigaux. Comment fait-on, par exemple demain soir, pour passer de Purcell à Monteverdi alors que l’univers de ces deux compositeurs est totalement différent, l’un étant davantage fondé sur l’intériorité, l’autre sur l’affect?
Oui, vous avez raison mais la façon de faire est finalement assez simple: tout passe par le travail. Je n’ai jamais acheté autant de livres que depuis que je suis chef! Connaître parfaitement là où en est le compositeur lorsqu’il écrit une œuvre, les caractères de chaque époque, tout cela est absolument essentiel. Quand on travaille Purcell, la langue harmonique de Monteverdi est tout autre: il faut donc l’oublier pour passer à un autre univers musical. On ne peut pas se dire que l’un connaissait le même langage diatonique que l’autre car cinquante ans séparent le Sixième Livre des Madrigaux de la naissance de Purcell. C’est d’ailleurs le rôle du chef que de créer toutes les conditions nécessaires permettant aux musiciens de comprendre là où ils en sont, qu’il s’agisse de l’utilisation de l’archet, du placement ou de l’ornementation de la voix... C’est un gros travail à effectuer en amont!


[Propos recueillis par Sébastien Gauthier]

 

 

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