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Entretien avec Seiji Ozawa
06/25/2014

Seiji Ozawa est actuellement en Europe afin de faire travailler les jeunes musiciens de l’académie qu’il a fondée il y a dix ans au Japon et en Suisse. Il sera en concert avec son académie à Genève au Victoria Hall le 28 juin puis à Paris au Théâtre des Champs-Elysées le 1er juillet. A cette occasion, il évoque la création et le fonctionnement de cette académies, la technique de direction d’orchestre ainsi que ses projets.



(© Antoine Leboyer)


D’où vous est venue l’idée de votre académie?
Seiji Ozawa. Hideo Saito, mon professeur, était violoncelliste, il avait étudié en Allemagne avec Emanuel Feuermann. C’était le fondateur de mon école, l’Ecole Toho, et un chef d’orchestre. Il avait pour principe que le quatuor était le meilleur accès pour connaître des compositeurs comme Beethoven, Mozart, Tchaïkovski, Chostakovitch, Debussy, Ravel... Les quatuors de ces compositeurs représentent ce qu’ils ont fait de plus honnête, ils n’ont rien de décoratif. C’est leur expression la plus directe. Il disait toujours que lorsque l’on a bien étudié leurs quatuors à cordes, on peut sans problème passer à leurs symphonies, sonates, opéras... qu’importe. C’est à travers leurs quatuors que l’on peut vraiment apprendre Mozart, Haydn et Beethoven.
Comme je ne joue pas d’un instrument à cordes, il m’a demandé de coacher des instrumentistes. Mes collègues de l’école se réunissaient pour étudier une œuvre et je venais les encadrer. C’était un travail important que j’ai adoré. Il y a vingt ans, lorsque j’étais le directeur musical de l’Orchestre de Boston, au Festival de Tanglewood, nous avons repris ce travail sur les quatuors mais il y avait beaucoup de demandes et j’ai dû faire intervenir mon assistant. Lorsque j’ai créé le festival Saito Kinen à Matsumoto, il y a également vingt ans, j’ai tout de suite instauré le même travail sur les quatuors à cordes. Mais à nouveau, mon emploi du temps était tellement chargé que je n’ai pas pu me consacrer comme je l’aurais dû à cet enseignement.
Tout a changé lorsque nous avons rencontré Robert Mann, qui venait de prendre sa retraite du Quatuor Juilliard qu’il avait fondé. Je lui ai demandé de nous rejoindre à Tanglewood et il est venu tout de suite. Nous avons démarré l’académie au Japon il y a dix-huit ans et celle de Genève il y a dix ans.


L’an dernier, le plus jeune académicien n’avait que 15 ans. Cela doit être très difficile de jouer de la musique de chambre dans de telles conditions.
Seiji Ozawa. C’est exact. Dans un quatuor, les instrumentistes ne peuvent se cacher. Il n’y a pas de décoration, pas de maquillage. L’intonation entre le second violon, l’alto, le violoncelliste... tout cela doit être parfait. Mais c’est là où ces jeunes gens sont tout simplement extraordinaires. Habituellement, les trois premiers jours sont couci-couça puis tout d’un coup, tout se met en place dans les trois derniers et lorsqu’ils arrivent à Victoria Hall pour la répétition, ils sont extraordinaires.


Le niveau de l’académie à Tokyo tout comme à Genève est très élevé.
Seiji Ozawa. C’est vrai mais celui de Genève est un peu plus haut. Ceci est dû au fait que nous pouvons faire venir des élèves de nombreux pays: Pologne, Russie, France, Allemagne, Suisse... Au Japon, le niveau a augmenté mais nos musiciens ne viennent que du Japon, de la Chine, de Canton, de Taipei ou de Corée.


Le niveau des musiciens chinois s’est beaucoup accru.
Seiji Ozawa. Oui et le mois dernier, l’Orchestre symphonique de Boston et celui de Philadelphie se sont produits là-bas.


Vous avez pu récemment entendre l’Orchestre symphonique de Boston et le Philharmonique de Berlin lorsqu’ils ont fait une tournée au Japon. Leur son a-t-il changé?
Seiji Ozawa. Le son de Boston est excellent. Ils ont un nouveau pupitre de cuivres qui est très bon, c’est souvent une des forces des orchestres américains. J’ai entendu la Symphonie fantastique de Berlioz et ils ont deux tubas qui sont parfaits, deux jeunes garçons que je n’avais jamais vus.


Sur le son, que ce soit à Tokyo ou à Genève, lorsque vous arrivez sur scène, que tous les musiciens sont ensemble, vous arrivez et tout d’un coup, le son est complètement changé, avec une dynamique très large. Que se passe-t-il quand vous dirigez?
Seiji Ozawa (souriant). Je ne sais pas.
Blanche d’Harcourt (Directrice de l’Académie Ozawa). Je me souviens que durant la première année de l’académie, en 2005, nous avons eu un choc en entendant le son de l’orchestre quand vous avez dirigé la Sérénade de Tchaïkovski.
Seiji Ozawa. Cela doit venir de l’influence de mon professeur Saito. Il avait une manière fantastique de produire un son des cordes, d’où attaquer avec l’archet, où mettre la pression... Saito était maniaque de ce genre de choses. Et aussi de respirer. Robert Mann fait la même chose.


Herbert von Karajan travaillait beaucoup sur les coups d’archet. Les instrumentistes du Philharmonique de Berlin avaient tous le même coup d’archet.
Seiji Ozawa. Karajan travaillait aussi beaucoup sur la respiration mais je dois vous raconter un souvenir. Mstislav Rostropovitch était comme un frère pour moi. Un jour, il m’a dit: «Seiji, nous devrions faire une tournée en caravane». Il en avait fait une en Sibérie avec un accordéoniste et son violoncelle et en Inde avec un orgue à pédales. Il voulait le refaire avec un orchestre à cordes et m’ai dit: «Seiji, nous devrions faire ça ensemble.» Je lui ai dit que je pourrais organiser cela au Japon et il est venu pendant deux semaines. Nous avons joué les Concertos pour violoncelle de Haydn, qui ne demandent pas de vents, que des cordes, celui de Boccherini et une œuvre du répertoire baroque. Nous nous sommes déplacés en camion dans les montagnes et il voulait travailler comme un fou. Nous jouions jusqu’à trois concerts par jour: en fin de matinée, à la mi-journée et le soir. Mais comme ces concerts n’avaient pas été bien annoncés, il nous arrivait de ne pas avoir beaucoup de public. J’ai dit à Slava que ce n’était pas bon de pas avoir de public pour des musiciens qui avaient tant travaillé et lui ai demandé de faire un cours. Nous l’avons organisé et, par ailleurs, le public est venu à cette occasion. Une de nos jeunes musiciennes a joué un Prélude de Bach – et c’était très bien – et Slava s’est mis à parler de la respiration, exactement la même chose et les mêmes termes que le professeur Saito ou maestro von Karajan. Puis il a fait des analogies – c’était le grand talent de Slava. Il a parlé des colonnes grecques qui ont une forme spéciale. Elles ne sont pas symétriques et ont une forme plus évasée vers la base et non pas au milieu. Il a montré à cette jeune femme la musique et comment phraser en pensant à ces colonnes grecques et elle joué encore mieux.
Les compositeurs ne parlent pas du phrasé et de ce genre de choses. C’est à nous musiciens de le ressentir et de le mettre en pratique et quand c’est le cas, le public sera d’autant plus ravi parce qu’il comprendra de même.


Quels sont vos projets?
Seiji Ozawa. Je viens de diriger l’Orchestre de chambre de Mito, que nous avons créé il y a vingt ans, la même année que l’Orchestre Saito Kinen. Il est formé de trente musiciens appartenant à l’Orchestre de chambre de Mito. Mito fait partie des villes où il y a eu un tremblement de terre. Nous voulons jouer toutes les symphonies de Beethoven. Nous avons fait la Quatrième en janvier – et c’était très bien – ainsi que la Septième, qui sera reprise à Nagano fin juillet. J’ai dirigé en mars Les Noces de Figaro: mon assistant Ted Taylor, qui est un excellent claveciniste du Metropolitan Opera, a dirigé les solos et j’ai dirigé les ensembles. Je dirigerai enfin la Symphonie fantastique à Tokyo le mois prochain.
Haruki Murakami est un écrivain très célébré au Japon et qui adore la musique. Nous jouerons un concert “gig”, ce qui est le terme pour une session de jazz en Américain et je dirigerais la Rhapsody in Blue de Gershwin. La première partie sera dirigée par Diego Matheuz, qui a travaillé avec Claudio Abbado. Je me souviens de ma dernière discussion avec Claudio Abbado à Berlin. J’avais dirigé Elias avec Natalie Stutzmann et Matthias Goerne. C’était superbe et avec ce dernier, nous avons fait Barbe-Bleue à Tokyo.
Je dois évoquer un dernier projet. Haruo Niyama est un jeune danseur japonais de 16 ans qui vient de gagner le premier prix de Lausanne. Nous venons tous deux de faire une conférence de presse avant que je ne vienne ici. Il vient de Matsumoto, où il habite encore. Je ne pensais pas que de tels talents pouvaient venir de là mais il a reçu le premier prix. Il est très gentil et je vais diriger pour lui des petites pièces, des menuets, du Mozart, du baroque. Ces jeunes artistes sont si extraordinaires.


Le site de l’Académie Ozawa


[Propos recueillis par Antoine Leboyer]

 

 

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