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Emmanuel Pahud se souvient de Claudio Abbado
06/16/2014



Le Suisse Emmanuel Pahud, flûte solo au Philharmonique de Berlin entre 1993 et 2000 et, après une brève suspension pour se consacrer à l’enseignement à Genève, depuis 2002, évoque pour ConcertoNet ses souvenirs de Claudio Abbado, disparu en janvier dernier.



E. Pahud (© Peter Adamik/EMI Classics)


De quand datent vos premiers contacts avec Claudio Abbado?
Mes premières rencontres avec Claudio Abbado datent de 1993, quand j’ai eu un poste après avoir été reçu à mon concours. J’ai travaillé avec lui sur une période de dix ans, avec une interruption en 2000-2001 lorsque j’ai enseigné au conservatoire de Genève. C’est l’époque où il est tombé malade mais nous avons continué à nous fréquenter.
A l’époque où je suis allé à Berlin, c’était le chef qui avait fondé l’Orchestre des jeunes de la Communauté européenne, l’Orchestre de chambre d’Europe, l’ancien directeur de la Scala, de l’Orchestre symphonique de Londres, le premier chef invité de Chicago, premier chef invité à l’Opéra de Vienne. En tant que chef, c’est un parcours formidable, qui suit les traces de tous grands, des Karajan, Solti, Celibidache…


Quelle était la situation qu’il avait trouvée en arrivant à Berlin?
Il a été nommé en 1989 et est arrivé en 1991. Lorsque j’ai réussi mon concours en 1992, il sortait de sa première saison. Il avait tourné en Europe avec un cycle consacré à la musique de Brahms. Il transformait l’héritage Karajan avec cette troupe qui avait joué cette musique pendant des décennies mais aussi avec de nouveaux musiciens. Dès la deuxième saison, il voulait mettre l’orchestre en scène au milieu de cette Philharmonie. Il a donné Le Voyage à Reims de Rossini avec l’orchestre présent sur la scène. Il avait de nombreux projets: les Concertos brandebourgeois, les concertos pour vents de Mozart avec les musiciens de l’orchestre...
Chaque année une dizaine de musiciens ont remplacé ceux qui étaient arrivés après-guerre et partaient en retraite. C’était un changement énorme, qui ne s’est pas toujours passé de façon heureuse et beaucoup de musiciens en période d’essai ont dû partir assez rapidement. Ce n’était pas facile de convaincre à la fois l’ancienne et la nouvelle génération. Mais c’était son grand talent de laisser tout le monde se mettre d’accord sans rien ne sembler imposer à personne.


C’est comme cela que l’on décrivait ses répétitions. Il parlait peu mais il se passait quelque chose.
Il parlait très peu dans ses répétitions et parlait peu en général, sauf s’il s’agissait d’un sujet ou d’une situation qu’il affectionnait particulièrement et là, il devenait évidemment plus volubile. Je crois qu’il n’aimait pas donner des directives. Il préférait des situations où l’on s’entend, où sa gestique, son regard, ses expressions montraient le chemin et c’était à nous, les musiciens, de franchir le pas, de prendre le message et de le porter là où il le souhaitait. Il avait une façon non directive d’intimer aux gens dans quelle direction aller.
Karajan était plus spécifique dans ses directives et des générations de musiciens qui ont eu l’habitude de travailler avec lui ont dû avoir du mal à s’habituer à ce genre de travail. Ils avaient l’habitude de se faire dire quel phrasé précis prendre à tel endroit et tout d’un coup, cela avait disparu. Mais cet orchestre était une machine très bien huilée et des gens qui savaient merveilleusement jouer ensemble.


De ce point de vue, l’équipe qu’il avait formée à Lucerne devait être particulièrement adaptée à ce mode de fonctionnement.
L’Orchestre du Festival de Lucerne était une sorte d’aboutissement de ces démarches, de toutes les relations qu’il avait eues avec le Philharmonique de Berlin, avec quelques musiciens qu’il a connus lors de ses années viennoises, de quelques quatuors à cordes qui ont naturellement une entente particulière ensemble et bien sûr tous les jeunes de l’Orchestre de chambre Mahler ou de l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler. C’était tous ces gens qui étaient réunis et avec qui il savait qu’il pouvait travailler et pouvait aller encore plus loin dans son désir de faire la musique, d’avoir le choix total des musiciens et des programmes pour ces deux trois concerts par an. J’étais très heureux qu’il m’ait demandé et j’avais aussi accepté de faire partie de l’équipe pour la création de l’Orchestre du Festival de Lucerne, en 2003. A l’époque, j’avais quitté Berlin et étais professeur à Genève et j’étais ravi de faire de la musique avec Claudio Abbado et avec des tels collègues.


Y avait-il quelque chose de spécial, de miraculeux ces dernières années? Après sa maladie, on avait cru qu’il ne reviendrait tout simplement jamais diriger.
Quand on connait bien Claudio Abbado, on sait qu’il était très coriace et ne se laissait pas abattre facilement. Il avait des projets en tête et une force vitale incroyable. Il trouvait une sérénité et l’épanouissement à travers la musique et avec le contact avec les jeunes. Il y a eu des phases où il était physiquement très affaibli des suites de son opération mais quand il revenait à Berlin au mois de mai à la Pentecôte à la Philharmonie, c’était une rencontre qui était célébrée par lui, par les musiciens, par les solistes qui étaient également avec nous. La dernière fois, on n’aurait jamais dit que c’était la dernière et peut-être même allait-il encore mieux que d’habitude. Peut-être est-ce comme le corail qui fleurit de ses plus belles couleurs avant de s’éteindre.


Il reste tout un héritage. Cela se ressent-il dans le monde de la musique?
Enormément. Aucun chef de cette génération, ou de celle d’avant, de l’après-guerre n’a créé autant d’orchestres de jeunes qui se sont stabilisés d’une façon professionnelle. En plus de ses activités de directeur musical de différents orchestres et institutions, il a créé l’Orchestre des jeunes de la Communauté européenne, dont la première génération est devenue l’Orchestre de chambre d’Europe. Ensuite l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler, dont la première génération est devenue l’Orchestre de chambre Mahler. Il a continué avec l’Orchestre Mozart et bien sûr l’Orchestre du Festival de Lucerne, dont on espère qu’il va vivre sur sa lancée. Ce sont déjà six exemples d’orchestres qui font partie du paysage musical et qui ont été imaginés, voulus et créés par Claudio Abbado.


L’Orchestre de la Suisse romande était dirigé hier par un autre flûtiste suisse, Thierry Fischer, qui a travaillé avec Claudio Abbado. Vous qui avez exploré tant de répertoires possibles, ne seriez-vous pas tenté comme lui par la direction d’orchestre?
Non pas du tout. J’ai trop d’estime pour les chefs d’orchestre pour pouvoir prétendre m’épanouir dans ce domaine-là. J’ai trop de plaisir avec la musique moi-même directement quelle que soit la constellation dans laquelle je le fais: orchestre, musique de chambre, solo, classique, pas classique, contemporain... C’est une chose que je n’ai pas du tout en ligne de mire mais qu’on me prédit depuis que j’ai 25 ans à peu près. Si cela a lieu, ce sera bien malgré moi.
Je savais très bien que l’OSR jouait sous la direction de Thierry Fischer un concerto de Michael Jarrell avec Jean-Guihen Queyras. J’ai créé moi-même avec l’OSR un triple concerto de Jarrell, que j’ai repris plusieurs fois avec Thierry Fischer. Je suis bien au courant de ce que font ces musiciens, que j’aime beaucoup et avec qui je fais volontiers de la musique.


Vous viendrez la saison prochaine à Genève avec l’Orchestre national de Lyon. Quelles sont vos activités en Suisse?
Je serai en résidence à La Chaux-de-Fonds à partir de septembre 2014 pour un concert en quatuor avec mes collègues du Philharmonique de Berlin puis en soliste avec l’Orchestre de la SWR de Baden-Baden en janvier 2015 pour un hommage à Pierre Boulez où ...explosante-fixe... sera associé à un concerto de Mozart. Je serai de retour en avril 2015 à Genève pour une soirée avec l’Orchestre national de Lyon dirigé par Alain Altinoglu dans le cadre des concerts des Grands Interprètes. Je retrouverai à nouveau le programme autour des Quatuors avec flûte de Mozart et Sonates à quatre de Rossini avec mes amis berlinois pour des concerts à Lucerne, Rolle et Glaris avant de retourner à La Chaux-de-Fonds pour un cours d’interprétation et un concert solo en avril 2015. Enfin, fin avril/début mai, je serai à Berne avec l’Orchestre symphonique de Berne dirigé par Oleg Caetani.
J’ai des années bien remplies et je prépare déjà la saison 2016-2017.


Le site des amis de Claudio Abbado
Le site d’Emmanuel Pahud


[Propos recueillis par Antoine Leboyer]

 

 

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