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Une interview exclusive de Kent Nagano
05/03/2001

Quelques semaines après la reprise de El Nino à Berlin en version oratorio, le chef américain nous livre ses impressions sur la musique de John Adams, sur son travail avec le Deutsches Symphonie-Orchester, sur sa prochaine collaboration avec l'Opéra de Los Angeles, sur Berlin et sur d'autres choses encore.


Lors de votre premier concert à Berlin avec le DSO en 1991 vous interprétiez déjà une oeuvre de John Adams, et plus récemment en 1998 vous montiez à Londres Nixon in China. Quel jugement portez-vous sur cette musique ? Pourquoi ce choix parmi les compositeurs d'aujourd'hui ? La musique de John Adams n'est-elle pas pour vous un peu facile et conventionnelle, si l'on songe par exemple au travail que vous aviez effectué avec Ozawa et Messiaen sur le Saint François d'Assise, oeuvre que l'on est en droit de trouver d'une toute autre envergure ?

Pour moi, John Adams fait partie de ses rares musiciens d'aujourd'hui qui aient trouvé une réelle originalité dans la sémantique de leurs compositions, un style personnel en quelque sorte. On peut aimer ou détester son langage, mais il faut reconnaître qu'il est l'un des compositeurs les plus importants de sa génération en Amérique. On sent à travers sa musique que les États-Unis sont encore un pays relativement jeune, avec une culture également jeune qui reflète son héritage métissé et son caractère toujours instable, imprévisible et insatiable. Il est vain de chercher à comparer cette musique à celle des grands chefs d'oeuvre de Messiaen. Non seulement sa musique doit être prise dans un contexte historique et culturel complètement différent, mais encore John Adams se trouve dans une autre période de sa vie que celle où Messiaen a écrit toutes ces extraordinaires partitions. Rappelons que ce dernier était déjà assez âgé lorsqu'il composait le Saint François d'Assise par exemple. De toute manière la profondeur spirituelle et esthétique, la cohérence structurelle, la complexité intellectuelle et l'humanité que l'on peut trouver dans la grande musique de Messiaen me semblent vraiment incomparables.


Quelles sont les difficultés d'interprétation dans la musique de John Adams ?

Il y a des difficultés techniques particulières. L'interprétation peut devenir assez confuse si l'on ne prend pas garde à la structure essentiellement évolutive de la partition avec des passages qui "divaguent" intentionnellement, un peu comme de la musique improvisée. Ces passages sont très importants. Par exemple, dans El nino, la technique bien connue de Adams consistant à répéter certaines cellules de notes peut donner un résultat musical plat et simpliste, si l'on ne comprend pas comment ces cellules s'imbriquent l'une dans l'autre d'un point de vue compositionnel, et surtout si l'on n'est pas sensible en tant qu'interprète au caractère foncièrement changeant de leur mélodie, de leur texture, de leur rythme, et de leur rôle dans la structure harmonique.


John Adams semble apporter une importance particulière au "crossover", c'est-à-dire au mélange de musique savante et de musique "populaire". Vous-même, écoutez-vous la musique populaire d'aujourd'hui ? Si oui, quels sont vos goûts en matière de rock ou de variétés ? Profitez-vous de votre élection à Berlin pour vous tenir au courant des dernières nouveautés techno ?

J'admire certains interprètes dans la musique jazz ou rock, mais je dois admettre qu'il est difficile de trouver un artiste vraiment exceptionnel dans la musique populaire, comme dans toute forme d'art populaire d'ailleurs.


Quel quartier habitez-vous dans Berlin ? Quel regard portez-vous sur cette ville et sur sa vie musicale ? Y trouvez-vous de l'inspiration ?

Berlin est une ville très importante dont la puissance, l'histoire et l'héritage culturel offrent naturellement une énorme source d'inspiration. En tant que capitale, Berlin est particulièrement attirante pour l'exceptionnelle beauté de ses environs, et surtout ce mélange inhabituel de peuples et de personnalités très variées. Aujourd'hui, la ville est au coeur d'une phase de transition passionnante, qui lui donne une nouvelle image et un statut vraiment international. Je ne saurais sous-estimer à quel point faire partie de Berlin en cette période de changement, avec tous ses défis et ses incertitudes, peut être une source d'énergie, d'excitation et d'espoir.


Êtes-vous satisfait de votre travail avec les musiciens du DSO ?

Oui, beaucoup...


Cela ne doit pas être si facile face à de tels musiciens dont on devine qu'ils ont plus de "répondant" que la moyenne... Discutent-ils vos choix interprétatifs et si oui, comment sont prises les décisions ?

Le DSO est un orchestre très sensible, attentif et rapide. Chaque musicien possède une éducation musicale très forte et un sensibilité artistique vraiment exceptionelle. L'orchestre a un caractère et une personnalité très, très affirmés ! C'est pourquoi il est extrêmement facile de travailler avec eux car si je suggère une interprétation, chaque musicien intègrera cette suggestion dans sa partie respective presque immédiatement. J'ai trouvé aussi chez les musiciens du DSO un sérieux inhabituel. Même lorsque je travaille avec une autre section de l'orchestre sur un passage apparemment indépendant de leur partie, ils continuent de suivre et d'analyser le processus interprétatif sur une partition intégrale, qu'ils ont souvent amenée personnellement. Pour tous ces musiciens, la qualité du concert est vraiment la première priorité.



Quel sera votre politique musicale avec le DSO pour les années à venir ? Souhaitez-vous toujours privilégier les oeuvres du XX et XXIème siècle, ou bien recentrer l'orchestre sur le "grand répertoire", au risque de marcher sur les plates-bandes plutôt bien taillées de votre grand frère le Philharmoniker ?

Notre tradition est d'abord fondée sur le grand répertoire allemand, et très certainement l'avenir du DSO reflètera notre engagement et notre identification à cet héritage. Mais il faut que cette tradition reste "vivante", et pour cela nous devons proposer un programme qui soit en phase avec notre société et la ville de Berlin aujourd'hui. C'est une ville cosmopolite soumise à des influences très variées, et il faut donc que notre programmation puisse provoquer l'intérêt, la curiosité, et surtout éloigne la sensation de "routine" que l'on peut parfois associer à la visite d'un concert classique. En général notre programme sera composé d'oeuvres bien connues du grand répertoire, quelquefois d'oeuvres moins bien connues, mais dans chaque concert nous devons assumer notre responsabilité devant notre public, notre art, et proposer un programme d'une qualité exceptionnelle.


Vous allez bientôt diriger le tout nouvel Orchestre de l'Opéra de Los Angeles. Étiez-vous "en manque d'Opéra" depuis votre départ de Lyon ? L'Opéra est-il pour vous une nécessité ?

Tout d'abord, il faut savoir que l'orchestre de Los Angeles n'est pas tellement nouveau et que l'Opéra de Los Angeles est une institution qui existe aussi depuis plusieurs années déjà. Cependant, il est vrai qu'en ce moment cet opéra vit une période de renaissance sous la direction générale de Placido Domingo. M. Domingo m'a demandé de le rejoindre comme chef principal et collaborateur musical, pour essayer d'accomplir un projet qui est aussi excitant que difficile : construire une maison d'opéra dont le profil artistique soit certes de haute qualité mais aussi avec une identité régionale, vraiment propre à Los Angeles. Ce sera un long engagement car de tels rêves ne s'accomplissent pas en un jour, mais nous sommes tous très impatients de commencer.


J'ai bien sûr une relation particulière avec l'opéra mais cette passion n'est pas exclusive, et tout au long de ma carrière j'ai essayé de maintenir un certain équilibre et ne pas me consacrer uniquement au répertoire symphonique ou opératique. Pour moi, l'opéra devient intéressant avant tout s'il est exceptionnellement bien préparé. C'est pourquoi j'entretiens une collaboration suivie avec des maisons qui partagent ce souci du travail en profondeur, en particulier avec M. Jean Pierre Brossmann chaque hiver Paris au Châtelet et avec Dr. Gérard Mortier dans le cadre du Festival de Salzbourg durant la saison d'été.



Quel souvenir gardez-vous de la France, et de Lyon en particulier ? Comment percevez-vous le public allemand face au public français ? Est-il plus exigeant ?

Je me rappelle surtout un pays ayant une relation très forte aux Beaux-Arts, dont la collection de tableaux est par exemple la plus importante dans le monde. Lyon était un endroit très agréable à vivre et la ville est devenue de plus en plus belle au cours des douze années que j'y ai passées. De plus, c'était une chance de pouvoir y rencontrer des personnalites colorées et assez exceptionnelles, pas seulement dans le milieu musical mais aussi dans le monde de la peinture, de la littérature, du theâtre, du cinéma et, en dernier mais non en moindre, de la politique.


En ses temps de crise de la "sale bouffe", troquer les fines tables lyonnaises contre le Fish & Chips mancunien puis la Boulette berlinoise, n'est-ce pas tomber de Charybde en Scylla sur le plan culinaire?

C'est vrai qu'à Lyon presque chaque restaurant est une bonne table, et dans la région vous pouvez trouver des tables vraiment exceptionnelles, connues partout dans le monde. Bien que Manchester n'ait évidemment pas la même culture culinaire, nous y avons trouvé quelques établissements intéressants, et avec surprise une tradition culinaire asiatique très vivante et célèbre d'ailleurs dans toute l'Angleterre. Berlin devient l'un des pôles majeurs en Europe et même si j'y habite depuis peu, j'ai pu y découvrir de délicates et excellentes nouvelles tables. J'ai déjà une liste d'adresses préférées bien remplie !




Propos recueillis par Thomas Simon

 

 

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