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Entretien avec Florence Notter
07/05/2013


Situation de l’Orchestre de la Suisse romande, recrutement du futur directeur musical, relations avec le Grand Théâtre, programmation, nouveaux publics: Florence Notter, qui vient de succéder à Metin Arditi à la présidence de l’OSR, répond aux questions de ConcertoNet.



A. Leboyer, F. Notter


ConcertoNet a interrogé votre prédécesseur Metin Arditi (voir ici). Pourriez-vous évoquer le parcours qui vous a amenée à cette fonction et y a-t-il beaucoup de femmes présidentes d’orchestres de cette stature?
Je n’ai pas regardé si et combien de femmes dirigent des orchestres, mais je ne crois pas que cela a été un élément qui a joué un rôle dans ma nomination. J’ai été plutôt au bon moment à la bonne place. J’ai passé plusieurs années déjà à l’orchestre en tant que membre du bureau du Conseil de fondation et à la tête de l’Association des amis de l’OSR. Cela m’a amenée à fréquenter et connaître aussi bien les musiciens que le personnel administratif.


Le fait d’être une femme n’a donc pas été, comme cela peut être le cas dans certains domaines professionnels, un frein.
Ce n’a pas été le cas. Les personnes qui m’ont élue à l’orchestre sont tout à fait ouvertes. Ce qui compte, c’est la vision que l’on a et les buts que l’on veut atteindre. Il y a eu une démarche claire du Bureau de l’OSR: une commission a reçu plusieurs candidats qui ont ensuite été présentés à l’orchestre pour arriver à une décision validée par les autorités. Si j’ai changé de poste depuis le 1er juillet 2013, j’étais déjà très impliquée avec l’orchestre, les musiciens et le public que je connais bien. J’aime cet orchestre et mon rôle est de l’aider à se développer et de mettre mon énergie à son service.


Dans quel état se trouve cet orchestre et quels sont donc vos projets pour l’OSR?
Nous sommes dans une période charnière. Il y a une nouvelle équipe qui arrive avec un nouveau directeur général remarquable. Il y a un nouveau dynamisme, avec une volonté de la part des musiciens de se développer et d’avoir de nouveaux projets et, en particulier, d’être plus accessibles à un plus large public. Nous avons des saisons avec un taux de remplissage important, un des meilleurs en Europe, mais la barre est haute et il va falloir innover pour trouver un nouveau public. Il y a une nouvelle génération qui arrive et nous devons trouver des projets pour celle des 25-45 ans, qui est sous-représentée dans nos salles de concert. Il faut leur présenter des projets différents, peut-être moins difficiles d’accès pour ce public, et les emmener petit à petit vers des œuvres plus complexes.
Une autre de nos spécificités à l’OSR est que nous faisons à la fois du symphonique et du lyrique. Nous discutons beaucoup et en bonne intelligence avec le Grand Théâtre pour trouver un modus vivendi qui satisfasse les deux parties, et ce pour le bien de la scène musicale genevoise. Il est important que notre prochain directeur artistique et musical se produise deux fois par saison avec l’OSR au Grand Théâtre de Genève. Nos musiciens passent 40% de leur temps dans la fosse du Grand Théâtre. C’est beaucoup et il faut des chefs qui fassent progresser l’orchestre d’une façon linéaire au-delà des 60% du temps qui est consacré au symphonique.


L’entretien que Tobias Richter a accordé à ConcertoNet (voir ici) a permis de montrer la spécificité des défis d’une maison d’opéra: sélection des artistes, choix des répertoires, ... et des cadres de répétitions sur plusieurs semaines, ce qui est très différent du symphonique.
Le chef est d’autant plus important pour nous qu’il passe plus de temps avec nos musiciens. C’est l’OSR qui est dans la fosse et c’est important pour notre image.


Ne faudrait-il pas, pour la ville de Genève, chercher en commun, OSR et Grand Théâtre, un directeur musical qui ait une double vocation, sachant que d’expérience aujourd’hui, les directeurs de théâtre regardent surtout la programmation, le choix des chanteurs et surtout le metteur en scène plus que le chef.
Nous aimerions que notre directeur musical puisse à la fois diriger des productions et être impliqué dans la stratégie artistique, déterminée par les deux institutions. Genève aurait tout à y gagner.


Il n’y a pas comme à Zurich une masse critique qui justifie la présence de deux orchestres distincts. Les deux parties vont devoir se mettre d’accord.
Il y a un dialogue constructif qui a démarré entre les deux institutions. Ce serait à long terme, pour Genève, d’avoir un directeur musical et artistique d’exception. Le contrat de Neeme Järvi expire en août 2015. Nous avons donc une échéance et ce serait important de confirmer à un futur directeur qu’il y aura deux productions par saison dont il sera en charge artistiquement.


Lors de l’entretien qu’il nous a consacré (voir ici), Henk Swinnen a évoqué la possibilité que l’orchestre soit une ou plusieurs saisons sans directeur musical pour justement faire venir une personnalité de premier plan.
C’est toujours d’actualité. Un tout grand chef sera tenté de venir s’il a le contrôle sur la totalité des activités de son orchestre. Nous avons déjà reçu des candidatures spontanées vraiment intéressantes. Donc oui, il faudra peut-être attendre une ou deux saisons pour avoir une personnalité vraiment de premier plan. Mais cela est déjà arrivé à beaucoup d’orchestres, et donnerait l’opportunité à l’OSR de se développer d’une manière unique et plus autonome.


On peut avoir l’impression qu’il y a un creux aujourd’hui avec un moindre nombre de chefs de très grand talent dans la génération des 40-50 ans. Il y a en revanche dans la génération suivante des artistes d’exception que certains orchestres qui ne sont pas parmi les plus importants se sont empressés de signer et de verrouiller: c’est le cas pour Göteborg et Dudamel, Birmingham et Nelsons récemment, ou Liverpool avec Vasily Petrenko qui a livré une superbe prestation avec l’OSR (voir ici).
Petrenko est venu «trop tôt», nous n’étions pas à la recherche d’un chef. C’est vrai que sa venue fut magnifique. Il sait en particulier très bien communiquer avec les musiciens et le public et nous continuerons de développer cette relation. Vasily viendra avec Elisabeth Leonskaïa le 1er mai 2014 pour un concert extraordinaire, hors abonnement.
Nous avons un problème qui est que nous n’avons pas eu assez de chefs jeunes qui soient venus diriger l’OSR. Nous devons maintenant ouvrir cet orchestre et faire des expériences, prendre des risques calculés. Il y a une génération de chefs qui ont la soixantaine et plus, qui sont excellent mais qui sont déjà pris, et après une génération «bloquée». C’est ce que nous avons essayé de faire avec Kazuki Yamada, que nous avons nommé premier chef invité. Mais je tiens à vous rassurer, nous avons un orchestre quasi centenaire avec une histoire importante et nous avons des chefs de très grande envergure qui ont spontanément fait acte de candidature.


Vous avez évoqué le fait de faire des expériences. Durant la période où l’orchestre était dirigé par Marek Janowski, le répertoire était assez large, voire trop ambitieux. A tort ou à raison, il me semble que le répertoire se resserre. A titre d’exemple, à la fin de la saison prochaine, nous aurons eu dans la saison trois fois Schéhérazade et le Concerto pour violon de Tchaïkovski, chaque fois avec des artistes différents. L’OSR est après tout l’orchestre d’Ansermet. Est-il moins aventureux que par le passé?
Je pense que vous vous trompez. Notre programme cette année est assez «conventionnel» mais Renaud Capuçon viendra par exemple jouer en janvier une création de Pascal Dusapin. Nous travaillons déjà avec d’autres orchestres sur plusieurs créations contemporaines pour l’avenir. Nous n’avons pas oublié notre mission de faire connaître aux Genevois la musique contemporaine. Nous sommes à la recherche d’œuvres contemporaines et pensons créer des événements autour de la musique contemporaine lors de la création de Pascal Dusapin et de sa venue éventuelle. C’est absolument notre mission de faire avancer la connaissance du répertoire.


Lors du concert de Vasily Petrenko, le système des rideaux latéraux avait été mis en place dans la salle, ce qui a grandement contribué à améliorer la qualité de l’acoustique de la salle et probablement à permettre aux musiciens de mieux s’entendre et de mieux jouer. Ne faudrait-il pas systématiquement les utiliser?
Vous n’êtes pas le seul à évoquer ce sujet. Nous avons fait venir un acousticien pendant plusieurs semaines pour voir comment moduler la salle. Nous avons fait une étude précise. Nous savons que le Victoria Hall, qui est une très belle salle, n’est pas facile et n’avons pas pu suivre certaines des recommandations qui avaient été préconisées, en particulier pour des raisons esthétiques. Le projet est donc toujours à l’étude.


Avez-vous des projets spécifiques pour faire connaître la musique et l’OSR aux plus jeunes?
Oui, c’est notre avenir. Notre orchestre a une mission éducative, pas uniquement au sens scolaire mais aussi dans une perspective émotive ou intellectuelle. La musique fait partie des racines des jeunes, de leur pays. Il faut la transmettre d’une manière qui soit adaptée à leur âge, de façon ludique pour les plus jeunes et en discutant avec les professeurs des écoles et en coopération avec le département de l’instruction publique, ce que nous faisons. Il faut savoir que nous distribuons dans les établissements scolaires de Genève 15000 disques édités par les Zamis. Ces disques reprennent des morceaux qui vont être joués dans la saison et leur permettent de se familiariser avec les œuvres qu’ils vont entendre au Victoria Hall. C’est Philippe Béran qui anime ces programmes pour les jeunes, et de façon admirable. Nous avons aussi prévu de faire des ateliers, de les emmener à des cinés-concerts pour jouer sur l’aspect visuel qui leur est familier.
Cela fait partie aussi de nos missions de convaincre un public qui aurait peut-être des réticences à entrer dans le Victoria Hall. C’est à nous d’aller vers eux. Nous allons donner le 30 septembre un concert au CERN, où sera interprétée la Neuvième Symphonie de Beethoven avec un chœur pour moitié professionnel et pour moitié composé de fonctionnaires internationaux, et nous jouerons du rock avec l’ensemble d’Alan Parsons. Nous n’hésitons pas à aller à l’encontre de nouveaux publics.
Il est aussi important de faire mieux dans le canton de Vaud. Pour les Vaudois, l’OSR est un orchestre genevois et non romand. Ce n’est pas le cas et n’oublions pas qu’Ernest Ansermet et Charles Dutoit sont des Vaudois.


Avez-vous proposé à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) d’y faire des concerts?
Nous sommes en train de regarder les salles que nous pourrions utiliser. Notre directeur général est allé visiter la salle des délégués des Nations Unies. Il s’agit d’une salle de 2000 places qui a une superbe acoustique. Pourquoi ne pas aller donner des concerts là-bas et, oui, il faudra regarder si l’on pourrait faire de la musique à l’EPFL. Nous aimerions aussi participer aux célébrations du bicentenaire de l’entrée de Genève dans la Confédération. L’histoire de l’orchestre fait partie de l’histoire du canton. Pourquoi ne pas y jouer l’Ouverture de Guillaume Tell en clin d’œil puis des compositeurs suisses? C’est en discussion avec le comité de Genève 200. Nous essayons de mieux rayonner et d’assurer au mieux notre mission éducative à Genève.
Il y a une globalisation de la musique qui n’existait pas avant: des représentations d’opéra ou de musique symphonique au cinéma ou des retransmissions sur Internet, comme celles que fait l’Orchestre philharmonique de Berlin. Nous devons affronter un nouveau type de concurrence, qui est bénéfique et intéressante et qui nous pousse à faire toujours mieux.


Une dernière question: l’esprit d’Ansermet est-il toujours vivant à l’OSR?
Je le crois. La création contemporaine dont nous avons parlé a été une des priorités d’Ansermet. Nous souhaitons rayonner comme il l’aurait fait. Tous les musiciens le veulent. A nous de continuer pour que dans cent ans, on se demande si «l’esprit des années 2010» est toujours là.


[Propos recueillis par Antoine Leboyer]

 

 

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