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Entretien avec Antoine Tamestit
12/15/2012


Antoine Tamestit répond aux questions de ConcertoNet à l’occasion de la sortie chez Naïve d’un album comprenant notamment trois des Suites pour violoncelle de Bach jouées à l’alto (voir ici).



A. Tamestit (© Eric Larrayadieu/Naïve)


Commençons par votre dernier disque consacré aux transcriptions pour alto de trois des Suites pour violoncelle de Bach; vous avez par ailleurs également joué à l’alto la Deuxième Partita pour violon. Est-ce à dire que l’alto est un instrument par défaut?
Ah non, au contraire! Je pense que l’alto est un instrument qui rassemble tout ce qu’il faut, tous les mondes qui me plaisent. Je ne cherche pas à jouer toutes les Sonates et toutes les Partitas pour violon, toutes les Suites pour violoncelle par principe, mais j’estime que certaines œuvres gagnent à être redécouvertes, ou à être renouvelées. De plus, ce que je joue, ce n’est pas une transcription car je joue toujours à partir de la partition originale! Il se trouve que l’alto reste l’instrument dont je suis le plus amoureux, que ce soit par son timbre ou par ses couleurs, parce qu’il est très proche de la voix. Je ne peux donc m’empêcher d’aller piocher à droite ou à gauche pour avoir le plaisir d’interpréter des œuvres que je chéris par-dessus tout et qui peuvent raconter quelque chose à l’alto. La Partita que vous avez citée, par ses couleurs sombres (une quinte en dessous du violon) qui lui donnent un côté encore plus proche de la terre, gagne avec l’alto un caractère encore plus profond. Par ailleurs, jouer Bach à l’alto n’est pas du tout anachronique, une grande liberté existait à l’époque. C’est ce chemin qui m’a intéressé; le fait de le jouer avec un alto ne tient donc ni à une certaine légitimité, ni à un quelconque dépit. J’ai simplement envie de dire quelque chose avec ces œuvres-là; d’un autre côté, il va de soi que je ne jouerai jamais le Concerto pour violon de Sibelius que j’adore pourtant!


Comment vous est venue l’idée de jouer ces Suites: même si la transcription est fréquente au XVIIIe siècle, même s’il n’y a qu’une octave de différence entre le violoncelle et l’alto, avez-vous facilement abordé ces œuvres ou avec une légère appréhension?
Ce n’est pas une envie soudaine: c’est une envie qui date d’il y a 20 ans! C’est d’ailleurs l’envie de jouer ces Suites qui m’a fait choisir l’alto. Je joue la Première Suite depuis l’âge de 10 ans et je dois dire que je n’ai jamais cessé de la jouer. J’ai ensuite abordé la Troisième quand j’avais 13 ans, la Cinquième quand j’en ai eu 16... J’ai également beaucoup joué les Première et Troisième, non seulement pour moi-même, mais aussi en récital.


Seulement les Suites impaires donc?
Oui, essentiellement. Il m’est bien arrivé de jouer également les Suites paires, mais jamais en concert, et jamais en entier: c’est pour cette raison que je prends du temps, beaucoup de temps même pour le deuxième disque. J’ai longtemps tourné autour des trois Suites impaires et j’y ai toujours pris beaucoup de plaisir. Puis, les ayant souvent jouées en bis, c’est le public qui m’a également demandé si je n’avais pas l’intention, un jour, de les enregistrer. Cette idée a mûri, d’autant que j’ai fait de nombreuses rencontres ces dernières années avec des musiciens baroques; j’ai joué sur des cordes en boyau, j’ai utilisé ces derniers temps un archet baroque qui m’a fortement inspiré alors que j’en avais pourtant essayé d’autres auparavant. Le fait que je joue également un stradivarius qui date de l’époque de Bach m’a poussé à franchir le pas.


Antérieur même à l’époque de Bach car, sauf erreur, il date de 1672!
Oui, tout à fait... Je me suis donc lancé dans un important travail il y a deux ans, puis dans le travail d’un enregistrement il y a un an. Le premier travail s’est terminé par un concert puis le deuxième travail, avec des professeurs de violoncelle baroque notamment, par une véritable remise à plat, par une remise en question. Mais, même si j’ai subi de nombreuses influences et que j’ai eu beaucoup de discussions, les fondements de ma pensée sont toujours les mêmes: j’adore chaque note de ces Suites, tout simplement.


Lorsqu’on écoute le Prélude de la Première Suite, on est frappé par le naturel du son, par la profondeur des registres (notamment les graves), de même dans la Courante ou dans l’Allemande de la Troisième Suite par exemple. On est également surpris par certains accents (la Courante de la Troisième Suite, par exemple, est presque grinçante à la fin). Avez-vous été vous-même étonné par le résultat obtenu et par son côté convaincant?
Oui, cela a été tout à fait conforme à ce que je souhaitais. Chaque note de Bach peut être vue de multiples façons. En réécoutant ce que j’ai fait, j’ai pensé que le résultat était plutôt conforme à ce que j’en attendais. C’est pourquoi j’ai accepté de lâcher ce disque, car c’est le caractère et la couleur que je voulais donner à ces Suites. Il y a eu un très beau travail entre l’ingénieur du son et moi, mais aussi entre la salle et moi! Cette salle, la salle de musique de chambre de la Radio allemande de Cologne est idéale: j’y suis entré un mois et demi avant l’enregistrement, j’ai joué 5 minutes et je ne suis pas allé plus loin car tout était parfait. D’habitude, on prend une demi-journée pour définir nos positions et ajuster la prise de son; en l’occurrence, une demi-heure a suffi. Le jour même de l’enregistrement, j’ai joué seulement quelques notes et tout était prêt; l’ingénieur du son, qui est d’ailleurs un ancien violoniste, a été aussi étonné que moi. Face à notre propre surprise, nous avons fait écouter nos résultats à quelques personnes et chacun était convaincu. Ce fut une belle rencontre générale.


Restons donc sur cet instrument. Vous jouez ces Suites sur un stradivarius avec un archet baroque: quels changements techniques, s’il y en a eu, cela vous a-t-il demandé?
J’avais déjà joué avec un archet baroque ainsi que des cordes en boyau. Aujourd’hui, je joue pour tous mes concerts sur un stradivarius comptant trois cordes en boyau filetées; je l’ai gardé pour cet enregistrement. Par ailleurs, la corde de la, qui est généralement en métal, est ici en boyau nu. J’ai également descendu le diapason. Avec un archet baroque, la technique d’archet est difficile, car la mèche n’est pas tenue à la base et les crins peuvent facilement bouger: la mèche a ici une seule fixation et, donc, une technique spécifique doit être apprise. Etrangement, c’est une difficulté mais aussi une aide. Les caractères et intonations étaient en effet pour partie dictés par l’archet, qui m’a donné beaucoup de réponses, notamment en me disant «Non, ce n’est pas comme ça qu’on doit jouer tel passage», car le résultat sonnait de façon trop sèche ou trop peu contrôlée.


Pour enregistrer ce disque consacré aux Suites de Bach, qu’avez-vous écouté pour encore mieux vous familiariser avec ces œuvres: des enregistrements de violoncellistes ou bien de transcriptions effectuées pour alto (la plus ancienne étant, sauf erreur, celle de Lilian Fuchs gravée en 1951-1955, mais aussi plus récemment par Helen Callus ou Gérard Caussé)? Ou, au contraire, avez-vous souhaité ne rien écouter pour ainsi ne pas avoir d’a priori?
J’écoute assez facilement des collègues altistes mais seulement pour le plaisir, et dans d’autres œuvres que celles que je joue, car je ne veux pas être influencé à ce point. J’ai néanmoins écouté l’enregistrement réalisé par Nobuko Imai pour Philips il y a une dizaine années [les trois premières Suites ont été enregistrées en juin 1997, les trois suivantes en janvier 1999] car c’est la première, à ma connaissance, à avoir enregistré ces Suites sur un alto ancien, même si cela s’est fait avec un archet baroque et des cordes modernes. C’est quelqu’un dont je suis très proche, qui m’a beaucoup influencé mais nous ne sommes pas de la même génération, nous avons des habitudes différentes, des points de vue parfois éloignés: pour autant, sa vision est très intéressante. Je pensais pour ma part qu’il fallait néanmoins aller plus loin. En vérité, j’ai surtout écouté de nombreux enregistrements de violoncellistes, notamment baroques, afin de m’imprégner de ce monde du violoncelle. J’ai écouté avec attention l’enregistrement de Yo-Yo Ma qui, sur ces Suites, avait conduit un projet peut-être aujourd’hui un peu daté mais très intéressant: associer un artiste avec chacune des Suites selon ce que cela lui avait inspiré... Ainsi, pour la Première, il a fait appel à un designer de jardins; il s’est associé à un chorégraphe pour la Troisième, mais aussi à un peintre, à un marionnettiste japonais... Il a donc voulu adapter chaque Suite à un monde différent et je crois vraiment à ça: c’est la raison pour laquelle ça m’a beaucoup attiré. Pour autant, et même si elle est elle aussi intéressante, sa version des Suites ne m’a pas pleinement convaincu sur chaque note; j’ai trouvé la version de Bylsma très agréable par sa liberté et la couleur de son. Mais celle qui m’a le plus fasciné, c’est peut-être celle de Jérôme Pernoo [enregistrement paru en 1998 chez Ligia Digital], jeune violoncelliste qui est un ami, et qui est celle que je préfère.



A. Tamestit (© Eric Larrayadieu/Naïve)


Petit clin d’œil: le fait que votre tante, Nicole Tamestit, joue au sein de l’Orchestre des Champs-Elysées, donc avec Philippe Herreweghe, grand interprète de la musique baroque et tout spécialement de Bach, vous a-t-il aidé? Vous a-t-elle conseillé pour aborder ce répertoire? En avez-vous discuté ensemble?
S’il y a une influence, elle est sous-jacente, elle va sans le dire... Nous avions parlé ensemble de mon enregistrement de la Partita et j’ai eu son opinion sur ce disque qui était alors mon premier disque en solo. Par ailleurs, j’ai rencontré Philippe Herreweghe il y a deux ans, et j’ai même joué avec lui, mais ce n’était pas du Bach [Harold en Italie au Concertgebouw d’Amsterdam]. Je ne l’ai pas consulté sur cet enregistrement mais je l’ai, en revanche, beaucoup écouté, ainsi que Masaaki Suzuki, dans des cantates pour m’imprégner de cet univers sonore et de cette capacité de souffle qui existe chez Bach. Pour en revenir très directement à votre question, j’ai tout de même parlé avec Nicole de Herreweghe, de sa conception de l’œuvre de Bach, ...


D’après certains écrits, la Sixième Suite aurait été composée pour un instrument spécifique, la viola pomposa; par ailleurs, Sigiswald Kuijken se fait le promoteur d’une sorte d’alto de l’époque, tenu en bandoulière comme une guitare, la viola da spalla. Avez-vous essayé ces instruments? Que pensez-vous de cette recherche?
C’est une question très importante, car c’est un de mes prochains projets: je veux notamment savoir comment je vais aborder cette Sixième Suite. Je veux essayer ces deux instruments, notamment la viola da spalla, que j’ai entendu jouée par un jeune altiste, et que j’ai trouvé très convaincant. Or, je voudrais, avant tout, trouver un instrument qui s’enchaîne bien avec le mien car, dans le cadre d’un disque, je ne veux pas que se succèdent deux instruments qui soient étrangers l’un pour l’autre. Il faut trouver ce lien, car mon alto est véritablement unique; je me donne donc un an ou deux pour essayer ces instruments et on verra.


A propos de projets, en avez-vous d’autres dans le répertoire de la musique baroque (le Concerto pour alto de Telemann, jouer dans les Brandebourgeois de Bach, le Premier et le Sixième notamment) ou des transcriptions (on connaît, par exemple, les interprétations de William Primrose qui joue des arrangements faits par Kreisler ou par lui-même d’œuvres de Rameau, Boccherini, Carl Philipp Emanuel Bach, ...)?
Le Concerto de Telemann: je le joue depuis longtemps mais il a beaucoup de mal à être programmé. Je le défends avec bonheur mais il faut le mettre en balance avec quelque chose de plus moderne, la Trauermusik de Hindemith par exemple, œuvre moderne dans son langage mais baroque dans l’écriture. Je rencontre le même problème avec les Concertos brandebourgeois car les jouer signifie trouver également deux violes de gambe, un violone (l’ancêtre de la contrebasse), un violoncelliste, ce qui pose notamment des questions de coût. J’ai récemment reçu un courrier de Masaaki Suzuki pour son festival Bach afin que j’y joue les Suites et peut-être le Sixième Brandebourgeois. Un autre compositeur qui m’attire beaucoup, c’est Marin Marais, qui reste également pour moi un compositeur de prédilection; plus largement, je suis attiré par le monde de la viole de gambe, que j’ai essayé d’habiter pour la Cinquième Suite. J’attends encore mais je veux fouiller ce répertoire; je vais ainsi regarder quelques partitions de Marin Marais qui puissent convenir à ma tessiture, le timbre de l’alto se rapprochant à l’évidence de certaines violes de gambe. J’aime me laisser aller à cette musique.


Passons maintenant du baroque à l’époque classique. Vous avez joué plusieurs fois la Sinfonia concertante en mi bémol de Mozart (à Paris avec Renaud Capuçon sous la direction de Masaaki Suzuki, à Lucerne avec Fanny Clamagirand et le Philharmonique de Vienne sous la direction de Franz Welser-Möst); vous avez également enregistré le Trio «des Quilles» avec Bertrand Chamayou et Nicolas Baldeyrou. Quelle appréciation porter sur le fait que tout un pan du répertoire classique pour alto (les concertos de Joseph Martin Kraus, de Benda, de Stamitz, ...) n’est pas étudié, encore moins interprété? Là aussi, connaissez-vous ce répertoire, avez-vous envie de le découvrir et de le défendre?
Je défends beaucoup le Concerto de Hoffmeister, que j’ai joué notamment avec l’Orchestre de chambre d’Europe [notamment lors d’un concert, le 4 décembre 2011, à Cologne]. Je n’aime pas beaucoup le Concerto en ré majeur de Stamitz; en revanche, je trouve superbe le Concerto en la majeur... Et puis, très prochainement...


A Munich je crois...
Effectivement, à Munich, je vais tenter une expérience avec Mozart.


Votre site Internet annonce effectivement que vous allez jouer, dans quelques jours, une «transcription authentique du Concerto pour clarinette» de Mozart sous la direction de Christopher Hogwood. Pouvez-vous nous en dire davantage car, même s’il en existe également une pour flûte, on n’entend jamais ces deux autres versions?
Je ne l’aurais pas fait il y a quelques années. Il faut rappeler que ce n’est d’ailleurs pas une transcription mais une version en tant que telle, qui date de 1802 et à laquelle, mais il faut regarder ça avec beaucoup de prudence, Beethoven aurait lui-même mis la main à la pâte... J’attends de fait beaucoup de ma rencontre avec Christopher Hogwood! D’ailleurs, et je reviens là au Concerto de Hoffmeister, lorsqu’on compare ce concerto avec celui de Mozart, on se rend compte que certaines mesures sont identiques, à une quinte de différence: c’est très surprenant et cela mérite qu’on s’y arrête!


Faisons un nouveau saut dans le temps... Vous êtes fortement attiré par le répertoire contemporain (le Concerto de Schnittke, Voci de Luciano Berio, le Concerto de Goubaïdoulina, ... Vous avez donc indéniablement une vraie appétence pour le répertoire contemporain: pourquoi? Est-ce pour sortir des pièces concertantes habituelles pour alto (Harold en Italie, les Concertos de Walton ou de Hindemith, ...)? Est-ce parce qu’il existe une vraie découverte de l’alto par les compositeurs des années récentes?
C’est ça: les compositeurs découvrent aujourd’hui l’alto. L’alto a existé auparavant mais il a ensuite connu, au XIXe siècle, une vraie baisse de régime au profit du piano et du violon, du violoncelle et de la voix ensuite. Pourtant des œuvres existent: Harold en Italie, Schumann, Weber qui a également composé pour l’alto mais, finalement, peu de choses pour l’alto soliste. Aujourd’hui, on se dit qu’on a fait beaucoup pour le violon mais rien pour l’alto, qui a l’avantage d’avoir une sonorité plus chaude que le violon et une technique tout aussi étendue. C’est vrai que je suis attiré par le répertoire contemporain, comme par le baroque, mais cela me vient du fait que je joue depuis toujours, notamment sous l’influence de mes parents, tous les répertoires sans exclusive, sans discrimination: je n’arrive pas à ne pas les mélanger. Il existe d’ailleurs un grand avant-gardisme chez Bach car ses œuvres ont quelque chose à nous dire, son écriture est très riche, communicative...


Vous êtes membre du Trio Zimmermann, créé en 2007 par le violoniste Frank Peter Zimmermann (avec également le violoncelliste suisse Christian Poltéra). Il existe beaucoup de trios intéressants où l’alto est ainsi requis (Mozart, Beethoven, Schubert, Reger, Roussel, Hindemith, Martinů, ...). Le trio est un format, comme en quatuor ou avec un compagnon de sonate, où l’on ouvre son intimité et où une communion parfaite entre les musiciens est requise: comment s’est faite la rencontre? Avez-vous hésité avant d’accepter et aviez-vous eu d’autres propositions avant celle-ci?
Je connaissais déjà Christian Poltéra. Quant à Frank Peter Zimmermann, il était pour moi une idole inatteignable, dont j’admirais le son et la curiosité musicale. Lorsque j’ai joué avec lui la Sinfonia concertante en ce jour anniversaire du 27 janvier 2006, j’avais vraiment atteint une sorte de paradis musical. Aussi, lorsque, à la fin d’une répétition, il m’a demandé si je souhaitais faire de la musique de chambre, j’ai bien évidemment répondu par l’affirmative! Et quand il m’a ensuite demandé si je souhaitais constituer avec lui un trio, je ne pouvais que répondre oui. Le trio, c’est ce qui m’a fait le plus rêver depuis l’enfance, peut-être parce que l’alto est au milieu, peut-être parce que j’ai été marqué par les trios de Mozart ou l’Opus 3 de Beethoven... On s’est alors demandé avec quel violoncelliste on allait jouer. On a appelé Christian Poltéra et ça a tout de suite parfaitement fonctionné. On s’est alors lancé dans un immense travail de fond pour jouer, lire, rejouer, revoir les partitions, car il fallait créer, comme vous l’avez dit, une intimité particulière, le trio étant un ensemble où l’on entend immédiatement les moindres inflexions, les plus petites différences, où il nous faut donc calculer les mêmes vitesses d’archet. C’est un travail vraiment très profond. C’est sûrement pour cela qu’on ressort de nos séances d’enregistrement, de nos concerts, de nos rencontres totalement vidés émotionnellement.


On vient d’évoquer Frank Peter Zimmermann; vous avez déjà une large et belle carrière derrière vous. Quelles sont les grandes rencontres qui vous ont marqué à ce jour, à commencer évidemment par vos professeurs, Nicholas Angelich, Menahem Pressler...? Je suppose qu’avoir joué au festival de Lucerne avec le Philharmonique de Vienne sous la direction de Riccardo Muti a également été un très grand moment?
C’est vrai que j’ai déjà travaillé avec plusieurs personnes qui m’ont beaucoup apporté. Nicholas [Angelich] est une force musicale, mais une force tranquille qui porte et qui vous transporte. Pressler m’a beaucoup impressionné, par sa bonté, par sa générosité aussi. Sandrine Piau également, dont la voix m’a inspiré, et qui m’a frappé elle aussi par sa générosité. J’ai évidemment été marqué par ma rencontre avec le Quatuor Hagen, qui a toujours fait partie de mes idoles. Riccardo Muti en effet, qui m’a énormément étonné par son investissement dans la moindre note, et qui a voulu que nous fassions tout le concerto ensemble, note par note...


C’était le Concerto de Bartók je crois?
Oui, tout à fait. Et c’est la même chose qui s’est déroulée il y a quelques mois avec Antonio Pappano et l’Orchestre symphonique de Londres lorsque nous avons donné le Concerto de Walton. Sinon, il y a des artistes qui m’ont appris, influencé alors que je ne les connais même pas. Je pense, je l’évoquais tout à l’heure, à Yo-Yo Ma: je suis attiré par sa conception de la musique, par son sens de la transmission, du partage, par sa volonté de toucher les gens... Je pense également à Daniel Barenboim, avec qui j’ai seulement parlé mais qui m’a fait réfléchir: «Il n’y a pas d’interprétation» m’a-t-il lancé car, pour lui, on doit seulement voir comment aller d’une note à l’autre, sur le moment, la première note appelant la suivante et ainsi de suite... Je suis par ailleurs un grand amateur de chant, d’opéra: je pense donc à mon unique rencontre avec Renée Fleming, que j’écoute souvent et que j’admire au plus haut point.


Autre format: l’orchestre. Vous avez choisi d’être soliste et de ne pas être, par exemple, altiste solo d’une belle phalange (ce qui vous «prive» de Don Quichotte de Strauss ou de quelque autre pièce du même genre). Est-ce un choix originel ou est-ce que cela s’est fait comme ça? Quels sont vos rapports avec l’orchestre?
J’aime beaucoup écouter les orchestres; je n’avais rien contre eux mais faire partie d’un orchestre, comme d’un quatuor, demande des sacrifices de temps importants. J’ai été rapidement invité à jouer des concertos et des récitals: entrer dans un orchestre m’aurait obligé à renoncer à certaines représentations, ce qui était compliqué. De plus, ma personnalité aime toujours changer ce qui cadre peut-être mal avec la vie d’un orchestre...


C’est dû à votre goût de la liberté?
Oui, sans aucun doute, mais peut-être aussi à un certain ego, à une conception personnelle de la musique, du son: je ne suis pas sûr de toujours vouloir me mélanger à soixante personnes. Mais ça, c’est mon problème. J’ai déjà eu l’occasion de jouer au sein de l’Orchestre du festival de Lucerne: la Sixième Symphonie de Mahler et la Quatrième de Bruckner avec Abbado, du Mozart avec Cecilia Bartoli... Partager du Mozart avec elle, c’est évidemment génial, mais pour l’instant, je ne me plains pas: je fais ce que j’adore faire. C’est le principal.


Le site d’Antoine Tamestit


[Propos recueillis par Sébastien Gauthier]

 

 

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