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02/12/2007 Jacques Offenbach : Orphée aux Enfers William Workman (Aristée, Pluton), Elisabeth Steiner (Eurydice), Regina Marheineke (Diana), Toni Blankenheim (Jupiter), Liselotte Pulver (L’Opinion publique), Kurt Marschner (Orphée), Inge Meysel (Juno), Theo Lingen (John Styx), Urszula Koszut (Vénus), Peter Haage (Mercure), Cvetka Ahlin (Minerve), Franz Grundheber (Mars), Heinz Kruse (Eros), Renate Schubert (Thalia), Ernst Umlandt (Vulcano), Sabine Nolde (Hebe), Ingeborg Kersten (Flore), Friedhelm Brill (Hercule), Margot Lund (Iris), Franz Straass (Charon), Helga Simon (Erato), Uta-Maria Flake (Macquilla), Elfriede Zimmer (Ceres), Chœur et Orchestre de l’Opéra de Hambourg, Marek Janowski (direction), Gyula Trebitsch (mise en scène), Bernard Daydé (décors)
Enregistré à l’Opéra de Hambourg (1971) – 101’
DVD Arthaus Musik 101 267 (distribué par Intégral) – Zone 0
Arthaus continue à publier les opéras filmés à l’opéra de Hambourg, sous la direction de Rolf Liebermann. Après de superbes Mozart, voici Orphée aux Enfers ou plutôt Orpheus in der Unterwelt puisque l’opéra est présenté en langue allemande, comme c’était l’usage dans les années 1960. Même si la distribution ne compte pas de noms qui sont devenus célèbres par la suite (à la différence des Mozart), elle n’en reste pas moins honnête et le couple Eurydice-Aristée doit retenir toutes l’attention.
La mise en scène de Gyula Trebitsch est absolument savoureuse et pleine d’idées. Le premier acte se passe dans la rue de la maison d’Orphée. Aristée est le voisin des époux et seule une barrière en bois sépare les deux maisons: celle d’Aristée est symbolisée par de grands épis de blé, comme il se doit. Le deuxième acte se déroule chez les dieux de l’Olympe, qui dorment tous sur de gros nuages. Les Enfers sont bien plus sombres et tout est en noir tandis que les meubles et la décoration sont du dernier cri. Les costumes sont très recherchés: Mars porte une tunique recouverte de mille médailles, Cupidon a un gros cœur sur le ventre, Aristée porte une peau de mouton, Pluton possède tous les attributs du diable à savoir un trident, des cornes rouges et un habit noir, etc… Quant à Jupiter, il est vêtu d’or, même quand il se transforme en bourdon: il met alors des lunettes avec des antennes et un vêtement ample censé symboliser ses ailes. Les personnages des Enfers sont complètement fantasques. A noter l’irrésistible serpent avec sa longue langue rouge et son ventre blanc…
Le personnage de l’Opinion publique est pris au premier degré: elle apparaît dès le début de l’opéra habillée d’une longue robe faite à partir de coupures de journaux (Die Welt, Herald Tribune…) et est désignée véritablement comme le “deus ex machina” qui tire les ficelles de l’histoire. Liselotte Pulver n’est pas chanteuse et l’on passera donc sur ses notes caverneuses, tant son interprétation d’une opinion publique intransigeante est juste.
Eurydice est campée par la mezzo Elisabeth Steiner dont la voix corsée lui permet de donner davantage de consistance au personnage que Natalie Dessay, qui était époustouflante dans les vocalises: elle reste frivole, mais sans verser dans l’hystérie. La mise en scène en fait une jeune femme assoiffée d’amour et prête à être séduite par n’importe quel homme, sauf John Styx. La chanteuse ne manque pas d’abattage et de souplesse dans les aigus et elle est une piquante Eurydice.
Kurt Marschner est un Orphée ridicule à souhait. Sa voix est toutefois assez étrange, car le chanteur alterne le parlando et le cantando: parfois la voix est plate, sans rondeur et à d’autres moments, elle est superbe et pleine.
Aristée est admirablement interprété par William Workman. La voix est suffisamment souple pour qu’il puisse moduler et nuancer son chant. Il est un très bon acteur et sait rendre son personnage ridicule mais attachant. Il devient plus arrogant et sûr de lui quand il revêt les habits de Pluton et ne redoute pas la puissance de Jupiter. Coiffé d’une perruque rousse, il est irrésistible quand il fait du tricot en décrivant la vie avec ses moutons…
Le couple Jupiter-Junon est caricatural! Junon est une dame d’un certain âge ridiculisée par les frasques de son mari et leurs disputes tournent vraiment au vaudeville bourgeois, la reine des dieux finissant par sombrer dans l’alcool avec un grand verre de nectar… L’actrice Inge Meysel, très connue en Allemagne, est excellente dans ce rôle et elle est très crédible dans les scènes de ménage. Jupiter est également très bien tenu par Toni Blankenheim. Le roi des dieux est présenté comme un vieux dieu qui espère encore avoir des aventures avec de jeunes filles, ce qui le rend encore plus ridicule dans son duo de la mouche avec Eurydice. Il possède une bonne voix profonde mais qui le fait plus ressembler à Agamemnon qu’à Jupiter.
Enfin John Styx est inénarrable! Theo Lingen n’a aucune voix - et il s’en moque d’ailleurs à un moment - mais la remplace par un excellent jeu d’acteur. Il campe un John Styx sensible et ne pousse jamais son personnage vers le ridicule: il devient attachant et l’on se prendrait à compatir à ses malheurs “souterrains”. L’acteur est très habile pour rendre expressif son discours: ainsi dans l’air “Quand j’étais roi de Béotie”, il remplace les “ah, ah…” descendants par des sanglots de plus en plus forts.
Les rôles plus secondaires sont très bien tenus sans que l’on puisse vraiment distinguer un chanteur. Le personnage de la nymphe Macquilla est chanté par Uta-Maria Flake, dont les sonorités vocales sont assez proches de celles d’Elisabeth Steiner: dans le premier air d’Eurydice, la nymphe, amoureuse d’Orphée, reprend en écho le chant d’Eurydice, mais en y exprimant son amour pour le musicien. Parmi les dieux, il faut retenir Mars, interprété par Franz Grundheber, qui met sa voix tonnante au service du dieu de la guerre. Diane, Regina Marheineke, possède une jolie petite voix, parfois un peu aigre, mais qui convient bien au rôle de la déesse chasseresse… et désespérée d’avoir perdu Actéon. Mercure arrive en vélo pour annoncer les nouvelles à Jupiter et Peter Haage joue de sa voix agile et frêle pour chanter son air “Eh hop! Eh hop!”. Les principaux dieux de l’Olympe sont présents ainsi que d’autres figures mythologiques puisque l’on croise Cérès, Hercule, Charon, Erato et même Cerbère fait une apparition remarquée.
La direction de Marek Janowski met bien en valeur la musique d’Offenbach et, sans se lancer dans des tempi aussi infernaux que ceux de Marc Minkowski, donne une bonne dynamique à l’ensemble.
Cette production d’Orphée aux Enfers est très originale et complète bien la vidéographie déjà riche de cet “opéra”. Sans faire oublier la version désopilante et géniale de Laurent Pelly-Marc Minkowski à Lyon en 1997 (voir ici) et celle moins inspirée de Herbert Wernicke à la Monnaie dans les années 1990 (voir ici), ce spectacle mérite une grande attention et il permet de passer un bon moment avec les dieux de l’Olympe et des Enfers.
Manon Ardouin
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