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02/12/2007 Charles Gounod : Roméo et Juliette Roberto Alagna (Roméo), Angela Gheorghiu (Juliette), Tito Beltran (Pâris), Vratislav Kriz (Mercutio), Ales Hendrych (Capulet), Frantisek Zahradnicek (Frère Laurent), Zdenek Harvanek (Paris)
Karel Vacek (décors), Christian Gasc (costumes), Donna Feore (chorégraphie et mise en scène), Barbara Willis Sweete (réalisation)
Choeur Kühn’s Mixed Choir de Prague, Orchestre de Chambre philharmonique tchèque, Anton Guadagno (direction)
Enregistré au château de Zvikov (image) et au Rudolfinum Dvorak Hall à Prague (bande-son) en 2002 - 73’
1 DVD Arthaus 100 706 (zone 0) (distribué par Intégral)
Définir cet enregistrement n’est pas chose aisée: est-ce un film-opéra? Non, parce que l’opéra est tronqué. Un opéra filmé? Non plus, parce qu’il ne s’agit pas de la retransmission d’une production scénique. Ce film est un résumé de l’opéra de Gounod dans la mesure où seuls les grands moments, les grands airs de l’opéra ont été conservés: point de “Reine Mab”, “Ah lève-toi soleil” amputé de sa première partie…
Le film est très joli, mais la mise en scène est un peu naïve. L’action se déroule dans un superbe château tchèque, le château de Zvikov, particulièrement bien conservé avec des douves, un tombeau… en somme tout ce qu’il faut pour planter le décor de Roméo et Juliette. La scène du balcon pourrait s’appeler la scène des balcons, puisque Juliette s’appuie aux arcades du premier étage du château pour répondre au chant de Roméo. La direction d’acteurs est tout à fait conventionnelle. Les quelques essais d’originalité ne sont pas très convaincants: pendant la scène du balcon, justement, Roméo adresse son chant à Juliette, mais lui tourne le dos jusqu’à ce qu’elle l’appelle. De même, quand Juliette revient à elle à la fin de l’opéra, il s’éloigne d’elle. Juliette assiste également à la mort de son cousin Tybalt. De nombreuses naïvetés parsèment le film, notamment quand Roméo croise pour la première fois le regard de Juliette au cours du bal et que celle-ci est bouleversée: tout semble sonner un peu faux. La réalisatrice a à cœur de montrer le superbe paysage et le château: Juliette court beaucoup, notamment pendant la valse du premier acte, ce qui permet de faire la visite du château, des fossés, du parc, etc…
Roberto Alagna aura marqué le rôle de Roméo, déjà par son brillant enregistrement sous la direction de Michel Plasson et par sa prestation scénique au Covent Garden avec une autre roumaine, Leontina Vaduva. Il est un Roméo idéal car on le sent amoureux dans les moindres détails, dans les moindres notes. Il s’enflamme progressivement pour Juliette, comme le montre le début du duo “De grâce, demeurez”, où l’émotion ne cesse de grandir dans sa voix: il fait de très beaux piani dans le début de ce duo puis clôt une phrase avec un point d’orgue sur “un baiser”. Le plus beau passage et de l’opéra de Gounod et de ce DVd est l’air de Roméo “Va, repose en paix”: on y retrouve le Roberto Alagna que l’on aime, ce fin musicien qui sait distiller les notes, qui utilise ses fabuleux moyens pour fasciner le public avec des sonorités tendres et chaleureuses.
Angela Gheorghiu est nettement plus douée pour exprimer la douleur que le bonheur. Sa valse “Ah je veux vivre” au premier acte, est correctement chantée, mais on ne perçoit pas vraiment le bonheur enivrant de la jeune fille et, en tant qu’actrice, elle en fait beaucoup trop. En revanche, sa marche dans les fossés du château quand elle se rend compte que le jeune homme qu’elle aime est Roméo, est poignante et elle trouve des notes sombres, profondes et très belles. L’air “Amour ranime mon courage” est d’une grande beauté, malgré quelques vocalises escamotées: elle donne une grande force à son interprétation grâce à une énergie remarquable.
La scène du tombeau est particulièrement belle: le début de “Console-toi” est magnifique, avec des notes en mezza-voce de Roberto Alagna dans lesquelles on sent toute la douleur et l’anéantissement du personnage. Angela Gheorghiu n’est pas en reste: elle chante ses dernières notes sur un tempo très lent et les deux chanteurs s’unissent sur un dernier magnifique “Pardonnez-nous” à tirer des larmes.
Le reste de la distribution est honnête, mais aucune voix ne se détache vraiment. Les chanteurs, recrutés en République tchèque, sont doublés par des acteurs et quelques décalages sont à relever au niveau des respirations, de l’ouverture de la bouche, etc…
Ce film est très agréable à regarder, mais laisse un peu frustré tout amateur de Gounod. Passionnés de cinéma, Roberto Alagna et Angela Gheorghiu ont voulu raconter l’histoire de Roméo et Juliette dans ses grandes lignes en s’écartant du carcan de l’opéra, mais parfois au détriment de la musique. Reste la présence de deux acteurs et chanteurs exceptionnels!
Manon Ardouin
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