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12/27/2006 Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte, K. 620 Nicolai Gedda (Tamino), Edith Mathis (Pamina), William Workman (Papageno), Cristina Deutekom (La Reine de la nuit), Hans Sotin (Sarastro), Franz Grundheber (Monostatos), Carol Malone (Papagena), Dietrich Fischer-Dieskau (Sprecher), Leonore Kirschstein (1re dame), Paula Page (2e dame), Cvetka Ahlin (3e dame), Kurt Marschner, Herbert Fliether (prêtres), Kurt Moll, Helmut Melchert (hommes en armes), Bernd Rüter, Klaus Reimers, Axel Pätz (trois garçons)
Peter Ustinov (mise en scène)
Chœur et Orchestre philharmonique de l’opéra de Hambourg, Horst Stein (direction)
Enregistré à l’Opéra de Hambourg en 1971 - 156’
1 DVD Arthaus 101265 (zone 0). (distribué par Intégral)
Durant son mandat à la tête du Staatsoper de Hambourg, Rolf Liebermann a fait enregistrer deux belles productions des opéras de Mozart: Le Nozze di Figaro en 1967 et Die Zauberflöte en 1971. La distribution est d’une très grande qualité, à faire pâlir bon nombre de scènes actuelles, puisqu’elle comprend des musiciens aussi exceptionnels que Nicolai Gedda, Dietrich Fischer-Dieskau, Edith Mathis… qui évoluent dans une mise en scène classique.
La production de Sir Peter Ustinov est très traditionnelle… mais agréable à regarder. Le metteur en scène ne propose pas une vision originale et recherchée de l’œuvre de Mozart, mais il a le mérite de rester très proche de l’intrigue: il se contente simplement d’illustrer la musique sans contresens ni faute de goût. Les décors sont sommaires (quelques arbres, etc…) , la direction d’acteurs presque inexistante et tous les clichés sont plus ou moins respectés: Papageno a, comme il se doit, un costume avec des plumes et il porte une volière sur le dos. Le personnage de la Reine de la nuit est tout aussi classique, car elle arbore une couronne scintillante. Les hommes armés sont... armés au sens propre du terme, avec leurs costumes dorés. Le serpent est particulièrement réussi, car il a deux têtes et sa gestuelle est presque humaine, puisqu'il est animé par un figurant. La scène où Tamino ensorcelle les animaux “Wie stark ist nicht dein Zauberton” est absolument savoureuse car les bêtes se meuvent au son de la musique avec élégance et paraissent tristes quand il évoque Pamina. Les quelques changements d’ambiance ont lieu à l’arrivée de Sarastro: le décor s’ouvre derrière Pamina lorsqu’elle chante “die Wahrheit” et le fond de scène devient jaune (couleur du soleil). L’épreuve du feu est symbolisée par de la lumière jaune et rouge tandis que celle de l’eau montre de l’eau avec des moyens vidéographiques dignes de nos productions actuelles, le mauvais goût en moins. La dernière partie est plus décorée avec de très beaux “hommes-arbres”: ils portent des costumes verts intemporels et sont entourés de branches. Ainsi costumés ils semblent tout droit sortis de l’univers de Cocteau et de La Belle et la Bête.
Cette production n’a pas été captée lors d’une représentation. Il s’agit donc d’un opéra filmé mais avec beaucoup moins de décalages entre les mouvements des lèvres des chanteurs et la musique que dans les films de Jean-Pierre Ponnelle.
Nicolai Gedda est un Tamino idéal, raffiné et élégant. Dans “Dies Bildnis ist bezaubernd schön”, il distille son chant avec finesse en mettant en valeur les “ie” de “Ihre Liebe”: on sent la joie du jeune prince monter progressivement. Le ténor suédois fait également de Tamino un personnage déterminé avec des “Paminen retten” pleins de fougue et d’énergie. Son chant est très facile et sa voix se coule naturellement dans le moule de l’écriture mozartienne.
Edith Mathis forme un charmant couple avec lui. Dès son entrée en scène dans le duo avec Monostatos, elle décrit Pamina comme une jeune fille décidée et courageuse. Elle se débat autant physiquement que vocalement contre ses geôliers en s’affirmant avec une voix franche et nette. La soprano possède un très beau phrasé qui lui permet d’aborder sans peine les légères vocalises ascendantes de “Ach ich fühl’s” et de “Bei Männern”. La chanteuse possède une grâce exceptionnelle que met en valeur son discours à Sarastro au moment où il la surprend en train de fuir avec Papageno à la fin du premier acte. Son air “Ach ich fühl’s” est un petit peu moins réussi vocalement car les aigus ne sont pas toujours très bien assurés. Mais quel désespoir elle parvient à exprimer en quelques minutes! Son arrivée avant les épreuves (“Tamino mein”) est chantée avec une pureté remarquable.
William Workman est un excellent Papageno, même si sa voix n’est pas très particulière. N’est pas Hermann Prey qui veut… Il apporte au personnage la naïveté nécessaire mais également l’humanité et la sincérité. Dans “Ein Mädchen oder Weibchen”, il se montre touchant tant il exprime le bonheur simple de l’oiseleur devant une table bien garnie. Il compense une voix assez neutre par une aisance scénique étonnante.
Cristina Deutekom déçoit beaucoup dans le rôle de la Reine de la nuit. En effet, son chant est assez monotone et, même si ses aigus sont précis et percutants (les contre-fa de “Der Hölle Rache”), les vocalises manquent cruellement de legato: les notes se succèdent sans lien entre elles. Elle est en outre affublée d’un vibrato important dans les piani.
Hans Sotin est un solide Sarastro: ses graves sont nourris et profonds et la tessiture ne lui pose aucune difficulté. Il montre une belle ligne de chant stable et musicale dans “O Isis und Osiris”, en parvenant même à apporter des nuances plus lumineuses dans la montée de la seconde partie de l’air. “In diesen heil’gen Hallen” est un pur moment de beauté musicale! Le chef adopte un tempo assez lent, ce qui permet au chanteur de développer toutes les notes. Son Sarastro est emprunt d’une incroyable bonté et d’une humanité qui transparaissent dans son phrasé, dans son maintien scénique et dans son visage très expressif.
Monostatos est interprété par Franz Grundheber, curieux choix puisque le rôle est en général chanté par un ténor aigu et non par un baryton. Son aisance scénique lui permet de camper un Maure drôle mais pas ridicule et sa voix plus lourde que celle entendue d’habitude apporte une nouvelle dimension au personnage: il paraît plus posé, plus réfléchi et moins piquant.
Dietrich Fischer-Dieskau est un véritable luxe dans le rôle du Sprecher. Dès les premières notes, il confère souveraineté et noblesse au personnage. Sa voix chaleureuse est parfaite pour apporter la dimension sacrée à ses interventions.
Les hommes-branches frétillent et Papagena fait son entrée en scène. Carol Malone est une charmante petite Papagena, pleine de plumes elle aussi, avec une voix très fraîche et agile.
Les trois dames sont très honnêtes, avec une mention spéciale pour la mezzo Paula Page qui montre une belle voix et un phrasé doux et élégant. Dans les ensembles, elle adoucit quelque peu les notes criardes de la première dame, Leonore Kirschstein. Les rôles plus secondaires sont fort bien tenus avec des prêtres, Kurt Marschner et Herbert Fliether, très statiques vocalement et physiquement, ce qui convient parfaitement aux personnages. Les hommes en armes sont luxueusement interprétés par Kurt Moll, futur grand Sarastro, et Helmut Melchert.
La direction de Horst Stein est inspirée et consciencieuse, car le chef rend bien les atmosphères successives. Ainsi, l’introduction du second acte est absolument magnifique et cohérente avec la mise en scène qui montre solennellement l’arrivée de Sarastro et des différents prêtres.
Grâce à ce DVD, il est possible de se replonger dans une production d’opéra classique, respectueuse de l’œuvre et surtout servie par une distribution homogène. Nos théâtres ne nous permettant plus ce genre de bonheur musical et artistique, qui privilégie la musique sur le spectaculaire.
Manon Ardouin
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