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12/11/2006 Airs extraits d’opéras de Verdi, Puccini, Rossini, Donizetti… Ghena Dimitrova, Ileana Cotrubas, Montserrat Caballé, Sona Ghazarian, Aprile Millo, Eva Marton, Natalia Troitskaya (sopranos), Elena Obraztsova (mezzo), Giacomo Aragall, Peter Dvorsky, Luca Canonici, René Kollo, Vincenzo La Scola, Antonio Ordonez, José Carreras (ténors), Leo Nucci, Juan Pons, Silvano Carroli (barytons), Ruggero Raimondi, Samuel Ramey, Ferruccio Furlanetto (basses), La Orquesta Sinfonica de Madrid, José Collado & Carlo Franci (direction)
Enregistré aux Arènes de Vérone (8 août 1988) - 120’
1 DVD Arthaus 101403 (zone 0)
Le 8 août 1988, José Carreras organise un somptueux gala pour fêter les soixante-quinze ans du lieu en tant que grand festival lyrique. Guéri depuis peu, il donne cette soirée au bénéfice de sa fondation pour la recherche contre la leucémie. Les plus grands chanteurs ont répondu présents et mettent leur art au service des plus célèbres airs du répertoire lyrique.
C'est le propre de ce genre de concert que de donner à entendre l’exceptionnel, le très bon, le moyen et le franchement mauvais. Ce gala à Vérone n’échappe pas à la règle, même s’il est, de manière générale, d’une grande qualité.
Leo Nucci ouvre le concert avec un éblouissant “Largo al factotum” du Barbiere di Siviglia. Il offre un grand numéro d’acteur avec des gestes qui remplacent n’importe quel artifice de théâtre et il se montre d’une aisance vocale presque insolente. Il s’approprie la partition pour les divers “Bravo” qui concluent les phrases de la première partie, car il les chante avec une véritable autorité et en allongeant le silence qui les suit. Quel artiste!
Samuel Ramey est très impressionnant dans “Mentre gonfiarsi l’anima…” d’Attila. Sa voix était, à cette époque, à son zénith et il en fait ce qu’il veut: des demi-teintes sur une note, des aigus puissants… tout cela avec une violence contenue. Il est également très brillant dans la cabalette qui achève l’air, apportant une noblesse et une classe au personnage du Roi!
Ghena Dimitrova glace l’assistance avec son “Suicidio!” (tiré de La Gioconda), lancé avec autorité. Elle développe ensuite son air avec davantage d’humanité que quelques notes profondes viennent entacher (“fra le tenèbre”). La chanteuse est absolument convaincante pour exprimer la douleur du personnage même dans les passages plus doux. Une immense force d’expression!
Ruggero Raimondi chante “Ella giammai m’amò” de Don Carlos avec un calme confondant: les premières phrases sont dites avec résignation et distance. La suite de l’air est interprétée avec une sorte de froideur qui convient bien au personnage. Cette impassibilité n’empêche toutefois pas de sentir dans quelques intervalles la cruauté glaciale et le désespoir du Roi.
Giacomo Aragall n’a pas forcément la plus belle voix du monde mais il sait apporter une intensité dramatique à tout ce qu’il chante, ici “L’anima ho stanca” d'Adriana Lecouvreur. Un Neil Shicoff espagnol!
Juan Pons est toujours aussi éblouissant dans les emplois de baryton chez Verdi. Il apporte toute l’humanité nécessaire à G. Germont dans un “Di Provenza il mar” distillé avec cœur: la reprise en mezza-voce lui permet de mieux exprimer le désespoir du père d’Alfredo mais aussi sa nostalgie des jours heureux.
Ileana Cotrubas, comme toujours, offre un moment de pure magie, de pure poésie, de musique dans “Azrael! Pourquoi m'as-tu quittée?” de L'Enfant prodigue de Debussy. En quelques notes elle crée tout un monde, elle raconte une histoire d’autant plus que son français est très compréhensible. Une grande artiste!
Ferruccio Furlanetto n’a pas tout à fait l’étoffe d’un Don Basilio, surtout à cette époque où sa voix était beaucoup plus légère que maintenant. Sa prestation n’en est pas moins magnifique, car, précisément, il atteint les notes de “canone” avec facilité. Il met sa vis comica au service du personnage pour lui apporter toute une humanité et pour ne pas en faire un vieux pervers. Toutefois son interprétation évolue, car Don Basilio devient de plus en plus machiavélique, avec des notes données une par une avec lenteur et retenue. Mais quelle belle voix!
Montserrat Caballé charme l’assistance avec un “Pleurez mes yeux” du Cid de Massenet bien dans sa manière, malgré quelques notes graves un peu laides.
Quelques chanteurs offrent des prestations satisfaisantes sans pour autant être impérissables. Peter Dvorsky est un Des Grieux un peu apprêté: il cherche à trop bien faire et son interprétation devient assez vite ennuyeuse.
Luca Canonici s’essaie au Lamento de Federico (L'Arlesiana de Cilea) avec une voix assez étrange, parfois à la limite de la justesse. Il pose le même problème que Peter Dvorsky, à savoir qu’il est trop soucieux de bien faire au détriment d’un peu de spontanéité.
Sona Ghazarian campe une Mimi sensible et docile. La voix est très agréable à écouter mais elle n’a pas forcément la musicalité nécessaire pour réussir le passage “ma quando viene”. La chanteuse ne manque pas d’enthousiasme et peu de Mimi parviennent actuellement à être aussi homogènes sur la tessiture. Est-elle pour autant inoubliable?
La prestation de Silvano Carroli dans le Credo de Iago est à saluer, mais s’il parvient à créer une tension grandissante, il n’a toutefois pas la carrure assez large pour être un Iago exceptionnel.
Aprile Millo chante assez bien le “Pace, pace, mio dio” de La Forza del destino, même si sa voix est parfois affublée d’un trop fort vibrato. Elle est capable de très beaux mezza-voce et son premier “pace” est assez magnifique puisqu’elle l’exécute sur un crescendo puis decrescendo. Mais l’ensemble reste assez froid et son interprétation ne semble pas avoir de ligne directrice.
D’autres chanteurs déçoivent quelque peu. Elena Obraztsova tente tant bien que mal de chanter “Voi lo sapete” de Cavalleria rusticana, mais la voix est très fatiguée: elle n’est pas stable et surtout elle est affublée d’un important vibrato.
René Kollo apporte sa contribution à la soirée, non sans originalité au regard du reste du programme: “In fernem Land” de Lohengrin. Cet immense ténor wagnérien commence à donner des signes de fatigue, notamment dans la tenue de la ligne de chant. Mais il est difficile de résister aux mezza-voce qui concluent la première partie de l’air…
Eva Marton campe une terrible Manon Lescaut: le personnage de l’Abbé Prévost devient très volontaire, presque furieux dans “Sola, perduta, abbandonata”, mais on n’y sent jamais le désespoir et la peur de mourir. Les derniers aigus, en revanche, sont plus expressifs et la soprano commence à approcher le personnage. Pourquoi n’a-t-elle pas plutôt chanté un extrait de Turandot, où elle était insurpassable?…
Oublions Vincenzo La Scola qui, visiblement mort de trac, ne se sent pas très à l’aise avec les aigus et qui dessine un Nemorino bien sage dans “Una furtiva lagrima”.
Deux intéressantes découvertes en revanche: Antonio Ordonez offre une très belle prestation dans “Sento avvampar nell’anima” de Simone Boccanegra. Sa voix est très expressive et le chanteur n’hésite à sur-prononcer, à faire des effets faciles pour souligner les mots comme, par exemple, “pianto”.
Natalia Troitskaya possède un instrument impressionnant, car la voix est large, puissante. Son interprétation de “Ritorna vincitor” d’Aida est peut-être un peu violente, mais la chanteuse défend cette esthétique jusqu’au bout de l’air avec une certaine cohérence.
José Carreras ferme le concert avec Granada. Il a véritablement marqué cette mélodie, car il lui apporte une douleur et une sincérité en partie liées à son phrasé. En pleine forme, il termine la première phrase par un aigu en forte tenu très longuement. Succès assuré… Visiblement tendu mais heureux de chanter, José Carreras offre une de ses plus touchantes prestations. Dommage que l’orchestre soit si poussif et le tempo si lent…
Ce concert offre quelques passages exceptionnels et il permet d’entendre en deux heures les plus grands airs d’opéra et quelques-uns des plus grands chanteurs. Pour Leo Nucci, pour Ruggero Raimondi, pour Ghena Dimitrova, pour José Carreras, et pour bien d’autres, ce DVD mérite pleinement son existence.
Manon Ardouin
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