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09/08/2013
«Der Frankfurter Ring»
Richard Wagner : Der Ring des Nibelungen, ein Bühnenfestspiel für drei Tage und einen Vorabend: «Das Rheingold» [1], «Die Walküre» [2], «Siegfried» [3], «Götterdämmerung» [4]

Terje Stensvold (Wotan, Der Wanderer), Susan Bullock (Brünnhilde), Lance Ryan (Siegfried), Jochen Schmeckenbecher (Alberich), Peter Marsh (Mime [4]), Frank van Aken (Siegmund), Amber Wagner (Sieglinde), Ain Anger (Hunding), Gregory Frank (Hagen), Martina Dike (Fricka), Magnús Baldvinsson (Fafner), Alfred Reiter (Fasolt), Meredith Arwady (Erda, 1. Norn), Kurt Streit (Loge), Johannes Martin Kränzle (Gunther), Anja Fidelia Ulrich (Gutrune), Claudia Mahnke (Waltraute, 2. Norn), Hans-Jürgen Lazar (Mime [1]), Barbara Zechmeister (Freia), Dietrich Volle (Donner), Richard Cox (Froh), Robin Johannsen (Waldvogel), Britta Stallmeister (Woglinde), Jenny Carlstedt (Wellgunde), Katharina Magiera (Flosshilde, Schwertleite), Angel Blue (3. Norn), Anja Fidelia Ulrich (Gerhilde), Elizabeth Reiter (Ortlinde), Brenda Rae (Helmwige), Lisa Wedekind (Siegrune), Tanja Ariane Baumgartner (Grimgerde), Bernadett Fodor (Rossweisse), Chor der Oper Frankfurt, Frankfurter Opern- und Museumorchester, Sebastian Weigle (direction), Vera Nemirova (mise en scène), Jens Kilian (décors), Ingeborg Bernerth (costumes), Olaf Winter (lumières), Marcus Richardt (réalisation)
Enregistré en public à l’Opéra de Francfort (juin et juillet 2012) – 918’ + 23’ (bonus «The Making of Der Ring des Nibelungen an der Oper Frankfurt»)
Coffret de 8 DVD Oehms Classics OC 999 – Format : 16/9. Region code : 0 (worldwide) – Notice de présentation en anglais et sous-titres en anglais et allemand, espagnol, italien, japonais et néerlandais





On avait eu un aperçu sonore de cette Tétralogie francfortoise lors de sa parution en CD (lire notre compte-rendu de La Walkyrie et de Siegfried). La publication par Oehms d’une intégrale en DVD permet de découvrir la mise en scène de Vera Nemirova. Alors qu’on sort à peine du Ring percutant monté par Pierre Audi à Amsterdam (récemment réédité par Opus Arte), on est moins convaincu par cette mise en scène sobre (dont on peut visionner un aperçu ici) mais parfois simpliste – sorte de deuxième pression des principes prodigués par Wieland Wagner, assortie d’un zest de Regietheater. Un élégant plateau incliné (... encore un!) organisé en quatre cercles concentriques et mobiles constitue l’élément de décor commun. Les transitions – longuettes – manquent, du coup, soit de réalisme, soit de magie – comme lorsque le Prologue voit se succéder les entrées et sorties des chanteurs sur le même plateau, pendant les interludes. Si le symbolisme voulu par la native de Sofia est plutôt élégant et illustratif (grâce à une scénographie efficace), le plateau est souvent vide et la récitation l’emporte sur le jeu de scène: bref, il s’agit d’une simple lecture du Ring – une mise en espace de la Tétralogie (comme le reconnaît d’ailleurs Vera Nemirova dans le documentaire figurant en bonus: «we rather wanted to tell the story clearly than make a totally new interpretation. And for that it needed an abstraction»).


Certaines incongruités ou recettes «tartes à la crème» risquent aussi de titiller les allergiques au Regietheater. Les nains d’Alberich sont des braqueurs de banque qui entassent les liasses de billets. Loge est un parachutiste qui vient sauver la «team » divine. Alberich le tripote lorsqu’il revêt le Tarnhelm pour devenir un gros serpent (... explorant une métaphore phallique un peu lourdingue). A côté de quelques bonnes idées – comme celle consistant, lors du prologue du Crépuscule des dieux, à convoquer sur scène tous les protagonistes de la Tétralogie – et, finalement, d’une relative sobriété de l’ensemble, on doit subir des récits de Wotan (à l’acte II de La Walkyrie comme à l’acte I de Siegfried) explicités à la craie par des inscriptions façon tableau d’école, une chevauchée des Walkyries d’un statisme ostentatoire (en forme de funérailles militaires) ou encore, pendant le «Voyage de Siegfried sur le Rhin», des Filles du Rhin venant manifester sur un canot de sauvetage (avec hygiaphone et pancarte «Rettet den Rhein») puis batifoler avec Siegfried qu’elles accostent pour l’occasion.


L’équipe vocale est moyenne – et ce, dès L’Or du Rhin – mais pas indigne. Même s’il parvient à phraser une malédiction saisissante, l’Alberich de Jochen Schmeckenbecher laisse, en raison d’un format vocal étroit, plutôt froid – diseur plus que chanteur. C’est davantage encore le reproche que l’on peut formuler à l’encontre du Wotan de Terje Stensvold, d’une justesse parfois approximative, à l’intonation très nasale voire laide. Si le Fasolt d’Alfred Reiter livre une prestation honnête, Magnús Baldvinsson semble déjà forcer sa voix de Fafner rocailleux. Meredith Arwady étrangle Erda dans son organe large mais pâle. Hans-Jürgen Lazar est un Mime poupon et bien chantant, mais d’un lyrisme qu’on n’imagine pas du tout adapté à la Deuxième Journée (où il ne tient effectivement plus le rôle). Face à la Freia poussive (et assez nunuche) de Barbara Zechmeister, la Fricka à l’intonation expressive de Martina Dike paraît agressive. Poussif aussi le Donner de Dietrich Volle, surtout face au Froh de Richard Cox. Les Filles du Rhin s’appliquent pour offrir un chant juste mais rarement gracieux. Cependant, surclassant par son style comme par sa technique la distribution du Prologue, Kurt Streit – qui a fière allure en Loge, auquel il apporte une fraîcheur toute mozartienne – est fort heureusement une source de satisfaction sinon de bonheur.


On peut aisément considérer problématique une Walkyrie dans laquelle Hunding apparaît à la fois vocalement plus séduisant et scéniquement plus charismatique que les jumeaux. C’est du reste tout autant le fait de la performance magnétique d’Ain Anger que de l’insuffisance du Siegmund nasal et chevrotant de Frank van Aken (d’une rare laideur, par moments). D’une justesse sans faille, la Sieglinde – remarquablement appliquée – d’Amber Wagner est malheureusement bien pâle sur les planches de l’Opéra de Francfort (... dans la version CD, on avait droit à Eva-Maria Westbroek!). Plus à l’aise que dans L’Or du Rhin, Martina Dike s’époumone mais donne toute sa chair à Fricka. L’intonation nasale de Terje Stensvold se fait, à l’inverse, de plus en plus difficile à supporter et gâche ses qualités de diseur. Un timbre sans beauté particulière empêche également l’endurante mais déroutante Susan Bullock de s’imposer et d’émouvoir en Brünnhilde.


Comme souvent, Siegfried achoppe sur la distribution du rôle-titre. Tirant sur ses endurantes cordes vocales, Lance Ryan maîtrise le texte comme les ressorts psychologiques du héros. Mais la (suicidaire) virtuosité de la partition le malmène plus d’une fois. Si l’on salue ses efforts et sa vaillance – notamment dans le premier acte, où le ténor canadien en impose –, ils ne suffisent pas à masquer les failles dans le vibrato ni à jeter un voile sur l’âpreté d’un timbre érodé. Les deux derniers actes souffrent ainsi d’une instabilité et d’un épuisement général de la ligne de chant. Comme lors de la Première Journée, la Brünnhilde de Susan Bullock manque d’assise vocale et de puissance, mais révèle une féminité et une fébrilité touchantes. Parce que son jeu d’acteur se fait plutôt paresseux, la voix enrhumée du Wanderer de Terje Stensvold devient rédhibitoire. Ordinaire au premier acte, anonyme au deuxième, le baryton norvégien fait néanmoins preuve d’une certaine dignité au pied du rocher où il a confiné sa fille. Dommage, car le Mime de Peter Marsh est assez épatant – avec son organe vif-argent (d’une clarté déroutante), instable mais pénétrant. Un Mime hautement personnel, au timbre empoisonné et au charisme scénique immédiat. De même, Jochen Schmeckenbecher réussit enfin à convaincre – donnant à Alberich quelques accents déchirants (même si la voix pèche souvent en justesse comme en puissance). Si Robin Johannsen offre un soprano précis mais sec à l’Oiseau (dont le rôle est dansé sur scène par un homme, Alan Barnes), Magnús Baldvinsson livre un Fafner toujours rocailleux – qui s’essouffle moins vite que dans le Prologue –, alors que Meredith Arwady continue d’incarner une Erda sculpturale mais poussive.


Quant au Crépuscule des dieux, il confirme que, malgré leurs mérites, les titulaires des deux rôles principaux sont loin d’égaler les grandes pointures wagnériennes. La Brünnhilde de Susan Bullock tient le choc mais bute sur un timbre sans héroïsme ni beauté. La stature comme la plastique de Lance Ryan continuent d’en faire un Siegfried physiquement crédible, mais la voix bouge à l’excès (paradoxalement plus au début qu’à la fin de l’œuvre). Gregory Frank est un Hagen moins noir qu’à l’accoutumée, au format vocal plutôt modeste – comme décalé des exigences de la partition (ou, du moins, des basses qu’on distribue ne général dans ce rôle), mais avec une douceur pernicieuse dans la voix. Enfermé dans un rôle de composition, le Gunther de Johannes Martin Kränzle (génial Beckmesser) tente de faire oublier la légèreté lyrique d’une voix décalée face aux exigences wagnériennes. Anja Fidelia Ulrich est, à l’inverse, une Gutrune bien chantante. Pour le reste, l’Alberich de Jochen Schmeckenbecher assure l’essentiel – sans plus – lors de sa brève apparition. La voix de Claudia Mahnke n’est pas tout à fait à la hauteur des exigences de Waltraute. Et, si les Filles du Rhin sont irréprochables, quelques pailles viennent se glisser dans le timbre des Nornes, qui investissent toutefois l’espace avec une rare conviction.


La direction d’orchestre demeure intéressante. Il faut dire que Sebastian Weigle – un familier de Bayreuth – tente beaucoup de choses, à commencer par un allégement général des phrasés et des tempos et par une baguette souple, curieusement lente mais colorée. A ce jeu, sa Walkyrie manque de nerf – plombée par l’engourdissement du discours. Siegfried y gagne à l’inverse en lumière et en finesse. Malgré quelques moments de faiblesse (les vents et les cuivres dans L’Or du Rhin, une tonitruance un peu pompière dans Le Crépuscule des dieux...), l’Orchestre de l’Opéra de Francfort répond présent, notamment lors d’une Deuxième Journée d’une immédiateté et d’une clarté admirables. Au total, le Ring de Sebastian Weigle intéresse sans convaincre. Et si l’on ajoute que, bien qu’elle bénéficie d’une réalisation soignée, la vidéo est découpée en plages beaucoup trop longues et ne bénéficie pas de sous-titrage en français (y compris s’agissant des bonus), on peut considérer que sa diffusion auprès du public francophone ne constitue pas une priorité.


Gilles d’Heyres

 

 

 

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