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03/10/2010 Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527
György Melis (Don Giovanni), Rudolf Asmus (Leporello), Herbert Rössler (Le commandeur), Klara Barlow (Donna Anna), John Moulson (Don Ottavio), Anny Schlemm (Donna Elvira), Eva-Maria Baum (Zerlina), Fritz Hübner (Masetto), Chor der Komischen Oper Berlin, Dieter Hänsel (chef de chœur), Orchester der Komischen Oper Berlin, Zdeněk Kosler (direction), Walter Felsenstein (mise en scène), Reinhart Zimmermann (décors), Sylta-Maria Busse (costumes), Willibald Kämmer (lumières), Georg F. Mielke (réalisation)
Enregistré à Berlin (2 et 3 décembre 1966) – 230’25
Album de deux DVD Arthaus 101 299 (distribué par Intégral) – Son PCM stereo – Format 4/3 – Region code: 0 – Notice en anglais et en allemand, sous-titres en anglais, allemand, français et espagnol
Toujours dans le cadre l’édition consacrée à Walter Felsenstein (1901-1975) par Arthaus (voir ici et ici), ce Don Giovanni (1787) de Mozart constitue l’une des trois productions marquant, en décembre 1966, la réouverture du Komische Oper. Elle y fut présentée à 31 reprises en deux saisons, bien que le metteur en scène autrichien la considérât, selon ses propres termes, comme un «échec».
Komische Oper oblige, il a adapté le livret de da Ponte avec Horst Seeger, autant d’interventions qui vont bien au-delà du détail: ainsi, les paroles de l’air d’Ottavio au second acte sont profondément modifiées tandis qu’un bien curieux «ici en Allemagne» s’insère dans l’air du catalogue. Elles s’accompagnent de coupures, plus ou moins traditionnelles (airs d’Ottavio au premier acte ainsi que de Leporello et d’Elvira au second), voire franchement inhabituelle, entre le quatuor du premier acte et l’air d’Anna – mais peut-être faut-il simplement l’attribuer à un problème d’enregistrement, à l’instar d’une réalisation un peu artisanale (flous passagers, micros visibles, plan fixe sur le rideau baissé durant une grande partie de l’Ouverture). Point de playback, à la différence des Noces: ainsi que l’indique la notice à nouveau très documentée d’Ilse Kobán, le film (en noir et blanc) a été tourné durant la troisième répétition avec orchestre et complété par des sons additionnels (applaudissements, toux, changements de décors, ...) captés le lendemain durant la couturière.
La conception de Felsenstein est fondée sur un double postulat. Le premier, devenu classique, énonce qu’Anna, sans avoir cédé à ses avances ni même avoir souhaité le faire, n’est pas pour autant restée insensible au charme de l’homme masqué devenu l’assassin de son père et qu’elle en conçoit donc une culpabilité. Le second, plus original, voit dans l’opéra la narration du déclin du personnage principal, d’emblée inquiet et sur ses gardes, sans superbe, à peine arrogant: une démythification au vitriol, qui lui confère un caractère veule et pitoyable; presque aussi comique et peureux que celui de son valet, il n’est qu’un pantin à la merci de ses propres instincts et dont la résistance finale au commandeur n’est que l’expression ultime d’un aveuglement complet. Quelques marches, des statues, des fontaines, des chandeliers, un balcon et des bâtiments esquissés qui se prolongent par des toiles peintes, en fond de scène: la relative précarité du document ne rend sans doute pas pleinement justice aux décors de Reinhart Zimmermann, ni même aux costumes de Sylta-Maria Busse, l’ensemble oscillant entre l’académisme des paysans endimanchés et l’amateurisme de la scène finale, avec stroboscope et fumigènes. L’expression des visages, leurs mimiques outrées comme dans un film muet des années 1920, ont également pris un coup de vieux.
Le plateau vocal apparaît moins homogène que dix ans plus tard dans Les Noces, du moins au vu de la prestation de la distribution qui a eu les honneurs de la caméra et qui alternait avec une autre, entièrement différente. On y retrouve des fidèles de la compagnie berlinoise, comme le Leporello truculent de Rudolf Asmus (1921-2000) et l’Elvira d’Anny Schlemm (née en 1929) – pas à son meilleur, quant à elle, timbre tour à tour perçant et nasal, justesse incertaine: comment Don Giovanni ne fuirait-il pas une telle mégère? Pour incarner le dissoluto, Felsenstein comptait sur George London, mais ce fut finalement le Hongrois György Melis (1923-2009): spécialiste d’un rôle qu’il chantait encore vingt ans plus tard, il se prête non sans courage à la vision fort peu gratifiante qu’en donne Felsenstein. La présence dans la fosse d’un ressortissant d’un autre «pays frère», le Tchèque Zdeněk Kosler (1928-1995), qui avait obtenu le premier prix au concours de Besançon en 1959 et avait ensuite été durant un an l’assistant de Bernstein à New York, étonne peu: il s’y montre malheureusement assez routinier – mais il est vrai qu’on n’est sans doute plus accoutumé à un Mozart aussi lent, qui aurait mérité davantage d’engagement dramatique. En revanche, il est plus surprenant de trouver deux Américains parmi les chanteurs: la composition de Klara Barlow (1928-2008) en Anna hallucinée et puissante frappe davantage que l’Ottavio scéniquement et techniquement limité de John Moulson.
Truffé de fautes d’orthographe et, à un moindre degré, d’inexactitudes, le sous-titrage (français) demeure décidément le point faible de cette «édition Felsenstein». Il n’est pas davantage possible de s’y fier dans les riches compléments qui accompagnent ce double DVD, à commencer par le texte «Que s’est-il passé dans la chambre d’Anna entre elle et Don Giovanni?». D’un intérêt moindre, notamment pour les non-germanistes, les notes manuscrites de Felsenstein comparant, pour le duo du début du premier acte entre Anna et Ottavio au début du premier acte, sa version du livret avec la traduction usuelle de Georg Schünemann défilent à l’écran en même temps que l’extrait correspondant de l’opéra.
Le bonus du second DVD permet d’assister à près de 40 minutes de répétitions. Plus de trois mois avant la première, dans une vaste salle de travail placée sous la surveillance d’un écriteau «Rauchen polizeilich verboten» et avec le seul accompagnement d’un piano, Felsenstein veille à tout et à chacun, jusqu’au moindre récitatif et au moindre mot, jusqu’au moindre choriste et au moindre figurant, et ce pour chacune des deux distributions: une vision scrupuleuse, quasi scientifique, soulignant l’importance du texte pour se mettre au service d’une minutieuse reconstitution de la réalité des sentiments, des gestes et des comportements – cela n’empêche pas le ténor de marcher par inadvertance sur la main de la soprano... Le DVD se conclut sur un très bref reportage tourné à l’occasion de la fin des travaux du nouveau bâtiment du Komische Oper.
Simon Corley
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