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04/21/2009 Benjamin Britten : Owen Wingrave, opus 85 Benjamin Luxon (Owen Wingrave), Nigel Douglas (Lechemere), John Shirley-Quirk (Spencer Coyle), Sylvia Fisher (Miss Wingrave), Heather Harper (Mrs Coyle), Jennifer Vyvyan (Mrs Julian), Janet Baker (Kate), Peter Pears (Général Sir Philip Wingrave, le Narrateur), English Chamber Opera, Benjamin Britten (direction)
Enregistré à la BBC (1er-5 décembre 1970) – 109’
Decca 074 3330 (distribué par Universal) – Format : 4:3. Region code : 0 (worldwide) – Notice trilingue
Un opéra pour la télévision : une façon comme une autre de renouveler le genre et de l’inscrire dans la modernité. Un moyen, aussi, pour Britten, de réaffirmer en 1970 son engagement en faveur du pacifisme, à l’heure où la Guerre du Vietnam remuait des consciences en rupture avec toute forme d’establishment. Un quart de siècle après Le Tour d’écrou, il revenait ainsi à Henry James, à travers une nouvelle ambiguë, qu’adaptait la même Myfanwy Piper : la fin relève du fantastique alors que l’ensemble dénonce la cruauté et la folie des va-t-en-guerre. Le héros, en farouche opposition au militarisme forcené de sa famille, veut en effet montrer à sa fiancée qu’il n’est pas un lâche pour autant et se laisse enfermer par elle dans une chambre hantée : on y a jadis trouvé le cadavre de l’un de ses ancêtres, qui avait tué son fils parce que celui-ci avait refusé de se battre contre un camarade l’ayant traité de menteur ; il y est à son tour retrouvé mort.
Deux autres opéras de Britten, destinés à la scène, avaient déjà fait l’objet de captations télévisées : Billy Budd et Peter Grimes. Cette fois, le compositeur exploitait musicalement les moyens offerts par la télévision, notamment en matière de juxtaposition, de fondu-enchaîné et de flash-back, tout en s’adaptant à son public au moyen d’un retour à la tradition des airs et des ensembles. Et tout le monde se trouvait dans le même studio, tandis que chef et orchestre, pour Budd et Grimes, se trouvaient dans un autre studio – il est vrai que l’effectif est ici beaucoup moins imposant. Presque quarante ans après la création télévisuelle en 1971, l’ensemble n’a rien perdu de son impact. Le décor, d’abord, avec toute la pesanteur du style pseudo-médiéval revu par l’époque victorienne, offre un cadre idéal pour l’expression de la raideur d’un militarisme aveugle comme pour les mystères du fantastique – l’animation des portraits, par exemple. Les chanteurs, d’autre part, pourtant habitués aux planches de l’opéra, s’avèrent parfaits comédiens et s’adaptent à l’intimisme du studio de télévision, à jamais identifiés à leurs rôles – inoubliable scène du dîner.
Et quels chanteurs ! Membres de l’Englih Opera Group fondé par Britten, la fine fleur du chant britannique, toutes générations confondues. Sylvia Fisher, après une carrière de soprano dramatique bien remplie, impressionne encore, malgré l’usure de la voix, en Commandeur féminin engoncé dans ses certitudes – elle a un côté Astrid Varnay. Sexagénaire, l’indispensable Peter Pears, émouvant en Narrateur, est impayable en vieux général sénile et méchant. Jennifer Vyvyan, qui chanta avec Sargent, Beecham et Boult, est hallucinante, au second acte, dans le lamento hystérique de Mrs Julian voyant s’écrouler ses rêves de mariage pour sa fille. Janet Baker, justement, parvient à rajeunir de vingt ans, Kate ambiguë et duplice, à la fois fielleuse et blessée, aux aigus superbes. Ce DVD offre aussi l’occasion de redécouvrir la sous-estimée Heather Harper, que Covent Garden choyait et que Bayreuth avait repérée pour Elsa, Mrs Coyle pétrie de tendresse et de pitié, au timbre lumineux, associée au magnifique Coyle de John Shirley-Quirk. A l’opposé du Lechemere exalté de Nigel Douglas, Benjamin Luxon construit progressivement l’itinéraire d’Owen : il oppose d’abord à sa famille un pacifisme tranquille et doux, étranger, presque indifférent, à un univers qu’il renie, avant de cracher, sans le moindre dérapage stylistique, sa rébellion haineuse et désespérée dans son grand monologue du second acte.
Si l’on éprouve, à regarder ce DVD, une impression de malaise, elle tient aussi à la direction anthologique de Britten, qui fait peser sur l’histoire une atmosphère oppressante, grâce à une tension où le tragique le dispute à la dérision – ces percussions, ces appels de cuivres associés à la guerre, qu’on a, à tort, jugés parfois trop illustratifs, alors que la surenchère dans le convenu ne vise qu’à dénoncer les tares d’une caste.
Didier van Moere
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