About us / Contact

The Classical Music Network

DVD

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

12/09/2008
Herbert von Karajan, Maestro for the screen

Georg Wübbolt (réalisation)
52’
Arthaus Musik 101 459 (distribué par Intégral) – Son PCM Stereo – Format 16/9 – Région Code 0





Au-delà des multiples concerts (de Bach à Leoncavallo), l’année Karajan a permis aux télévisions et aux éditeurs de diffuser de nombreux documentaires d’ordre biographique consacrés au célèbre chef d’orchestre. Outre les désormais bien connus Maestro, maestro ! de Claire Alby et Alfred Caron, le Karajan, la beauté telle que je la vois de Robert Dornhelm ou le Herbert von Karajan de Gernot Friedel, et en attendant un jour la réédition du poignant Karajan à Salzbourg de Peter Gelb et Susan Froemke, voici le film de Georg Wübbolt, Karajan, le culte de l’image. Il était en effet intéressant de se pencher sur les rapports étroits que Herbert von Karajan (1908-1989) entretint avec l’image ou, pour être plus exact, avec son image dont il souhaitait qu’elle soit parfaite afin qu’elle serve à la fois la musique et sa propre personne.


Le déclic de l’impact télévisuel survint en 1957 lors d’une tournée de l’Orchestre philharmonique de Berlin au Japon (un trop court extrait nous montre d’ailleurs Karajan dirigeant l’ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg au cours d’un concert à Tokyo, le 3 novembre). Alors que les représentations avaient eu lieu devant un public de 3 000 personnes au plus, les concerts télévisés touchèrent en réalité 18 à 20 millions de personnes au point, racontent certains musiciens de l’orchestre, qu’on les arrêtait dans la rue le lendemain pour les féliciter de leur prestation… Par ailleurs, Karajan connaissait l’immense influence des Young people’s concerts de Leonard Bernstein (1918-1990) outre-Atlantique, permettant aux enfants dans la salle de concert, à l’ensemble des Etats-Unis par le biais de la télévision, de découvrir la musique classique. Si l’envie le taraudait depuis quelques années, il fallut néanmoins attendre la rencontre avec Henri-Georges Clouzot (1907-1977) pour que le pas soit franchi. Cinéaste reconnu, Clouzot accepta de collaborer avec Karajan, avec lequel il réalisa six films (notamment celui, très instructif sur la façon de faire travailler un orchestre, consacré aux répétitions de la Quatrième symphonie de Schumann avec l’Orchestre symphonique de Vienne).


Le chef d’orchestre profita de sa proximité avec Clouzot pour apprendre dans le moindre détail les techniques filmographiques et audiovisuelles, qu’il a notamment expérimentées dans la réalisation d’un légendaire Requiem de Verdi (filmé à la Scala) musicalement exceptionnel mais très imparfait du point de vue de l’image, le documentaire le qualifiant même de « plus mauvais film de Karajan »… Néanmoins, les désaccords entre Clouzot et Karajan se multiplièrent au point que ce dernier préféra recourir aux services d’autres cinéastes, comme le français François Reichenbach (1921-1993) qui filma aussi bien un Troisième concerto brandebourgeois que, plus intéressant, la Naissance d’un opéra, documentaire fascinant nous montrant Karajan (chef d’orchestre et metteur en scène) en répétition avec le Philharmonique de Berlin dans La Walkyrie pour le Festival de Pâques 1967 à Salzbourg.


Le documentaire passe alors à une période charnière. En effet, un autre cinéaste avec lequel Karajan travailla durant ces années fut Hugo Niebeling : cette collaboration s’avéra fondamentale. En effet, dans le cadre de l’intégrale filmée des Symphonies de Beethoven dirigées par le maître autrichien (distribuée aujourd’hui par Deutsche Grammophon), Niebeling se vit confier la réalisation de la Pastorale en 1968 : plans saccadés, contre-jours, caméras jouant avec les musiciens, axées sur les archets ou sur les seuls instruments, jeux d’ombres et de lumières… Le résultat, certes novateur, mit Karajan en rage : « Son visage n’était pas livide, il était vert » rapporte Niebeling avec humour ! En effet, s’attachant uniquement aux effets visuels, le réalisateur avait ni plus ni moins « oublié » la musique au point que l’image avait véritablement tué le son. Sauvé de justesse par le réalisateur (Karajan ayant essayé de faire détruire la bande !), le film fut plutôt bien accueilli par le public, ce qui permit à Niebeling de réaliser ensuite l’Héroïque et la Septième symphonie ; néanmoins, Karajan et sa chef-monteuse, Gela Marina Runne, détricotèrent le film initial pour en faire quelque chose qui correspondait davantage à ce que souhaitait le chef d’orchestre.


Au-delà de ces nombreuses péripéties, l’expérience Niebeling fut essentielle car elle permit à Karajan de savoir que l’image devait servir la musique et de découvrir certains principes esthétiques qu’il utilisera jusqu’à ses derniers films (les attitudes parfaitement parallèles des musiciens, le fait de filmer les travées avec le chef comme seul véritable point de repère). La dernière conséquence de cette collaboration fut plus fondamentale encore : Karajan n’étant jamais véritablement satisfait des résultats précédemment obtenus, il franchit le pas en décidant de tout faire lui-même et de filmer sa musique comme il l’entendait…


Se donnant les moyens de son ambition, Karajan fonda successivement la Cosmotel en 1966 (avec le magnat des médias Leo Kirch) puis Telemondial (dirigée par son fidèle complice Uli Märkle) qui produisit et distribua la majorité des films qu’il devait réaliser jusqu’à sa mort. L’amitié durable qu’il forgea avec Akio Morita, président historique de Sony, et Norio Ohga, président de la firme de 1982 à 1989, permit à Karajan de se tenir informé des dernières avancées technologiques dans le domaine audiovisuel. C’est l’époque où, souhaitant tout régenter, Karajan doubla le perfectionnisme technique de quelques manies un peu ridicules (interdisant par exemple aux musiciens de porter la barbe ou leur imposant de mettre une perruque s’ils étaient chauves), ce qui donna lieu à des films plus ou moins réussis aux images parfois artificielles.


C’est la raison pour laquelle, au final, le legs vidéo de Karajan apparaît certes abondant mais de qualité inégale. Plutôt que les enregistrements en studio, il vaut donc mieux privilégier ceux effectués en concert, qu’il s’agisse des enregistrements Sony (de magnifiques Richard Strauss avec une Mort et transfiguration, des Métamorphoses et une Symphonie alpestre à couper le souffle, une Neuvième symphonie de Bruckner avec Berlin intense et douloureuse sans oublier, naturellement, un inoubliable Neujahrskonzert) ou Deutsche Grammophon (avec, ici encore, de légendaires Huitième et Neuvième symphonies de Bruckner avec l’Orchestre philharmonique de Vienne respectivement captées à Saint-Florian et au Musikverein)


Le film est riche en témoignages divers, qu’il s’agisse des hommes d’image (Ernst Wild, chef-cameraman de Karajan, Gela Marina Runne, chef-monteuse, Humphrey Burton, réalisateur connu de concerts et opéras filmés, Norio Ohga, ancien patron de Sony) ou des musiciens (Thomas Brandis, Helmut Stern, Dietrich Gerhardt de l’Orchestre philharmonique de Berlin, Peter Schmidl et Werner Resel de l’Orchestre philharmonique de Vienne). Néanmoins, bien que disposant ainsi d’un riche matériau, il déçoit quelque peu, la dernière partie s’écartant de la finalité initiale du documentaire pour se réfugier dans les stricts aspects biographiques (les brouilles de Karajan avec Berlin, ses retrouvailles avec Vienne…), une trop grande importance étant par ailleurs conférée aux aspects strictement mercantiles des concerts filmés. Mais, surtout, de nombreuses questions restent en suspens. Ainsi, rien n’est dit sur la volonté pédagogique de Karajan, qui a justifié de parfois filmer certains concerts de façon un peu laborieuse, soit que l’image montre le musicien en train de jouer son thème, soit qu’au contraire on fasse un gros plan sur tel ou tel instrument afin de faire prendre conscience au spectateur d’un contre-chant qu’il n’aurait peut-être pas remarqué en tant qu’auditeur.


Il n’est pas davantage fait allusion aux évolutions dans la façon de filmer une même œuvre : il était pourtant facile de comparer les trois versions filmées de la Neuvième symphonie de Bruckner, ô combien différentes, ô combien révélatrices. Il n’est pas non plus fait mention du répertoire filmé par Karajan : certes, on dispose des grandes symphonies de Brahms, Beethoven et Tchaïkovski mais pas d’une seule symphonie de Mozart… On trouve naturellement certains grands poèmes symphoniques de Richard Strauss (notamment Don Quichotte à deux reprises avec Rostropovitch et Meneses) mais pas une seule symphonie de Haydn ou de Sibelius, deux compositeurs qui ont pourtant été toujours chers à son cœur… A contrario, on peut écouter et regarder le Magnificat de Jean-Sébastien Bach ainsi que les Quatre saisons de Vivaldi alors que Karajan n’est peut-être pas le chef le plus emblématique dans le répertoire baroque. Il aurait été intéressant d’approfondir ces pistes.


Le caractère inachevé de ce documentaire, néanmoins intéressant, montre bien que la personnalité et l’œuvre musicale de Herbert von Karajan restent encore à découvrir : sans nul doute, la vidéographie qui lui est consacrée devrait connaître de nouveaux développements à l’avenir…


Sébastien Gauthier

 

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com